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Indignez-vous ! de Stéphane Hessel

Dans ce petit essai d’une trentaine de pages, l’écrivain et militant Stéphane Hessel, au crépuscule de sa vie, expose ses engagements. Inégalité des richesses, conflit israélo-palestinien, éducation, non-violence… Le caractère succinct de l’ouvrage semble montrer ce qui, pour Stéphane Hessel, vaut véritablement la peine d’être défendu.

« La pire attitude c’est l’indifférence » déclare-t-il liminairement.

Le néolibéralisme menace la paix

Stéphane Hessel est né en 1917 dans une famille de confession juive qui émigre en France lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate. Lui même résistant, il assiste lors de la fin de celle-ci à la mise en place du Conseil National de la Résistance (CNR) – à ne pas confondre avec le Conseil National de la Refondation, qui est une récupération politique. Portant les idées de feu Jean Moulin, ce programme proposait un vaste plan pour reconstruire le pays et la confiance en l’avenir de ses habitants. C’est l’atmosphère de ce programme et sa comparaison avec aujourd’hui qui pousse Stéphane Hessel à écrire ce pamphlet.

Stéphane Hessel, en 2011

La logique entre dominants et dominés est au coeur de son idée. En 2011, lors de la parution de son ouvrage, le monde connaît un vaste mouvement de rejet du monde politico-financier, notamment avec le mouvement Occupy Wall Street aux États-Unis. Il met en avant le paradoxe en vertu duquel on demande de plus en plus à baisser les dépenses publiques, alors même que la richesse mondiale est en constante augmentation depuis la Libération. Il déclare « la dictature internationale des marché financiers menace la paix et la démocratie ». Le projet sociétal du néolibéralisme anesthésiant les corps est donc un fardeau. Il exhorte donc particulièrement la jeune génération par cette injonction : « Indignez-vous ! »

Stéphane Hessel rapproche l’histoire de l’avènement du fascisme et de la Seconde Guerre mondiale de la même manière qu’il revient aujourd’hui : « les possédant avec leur égoïsme se sont laissés guider par leurs peurs ». Il explique donc son engagement personnel en reprenant les théories philosophiques de l’existentialisme de Kierkegaard, reprises ensuite par Jean-Paul Sartre, notamment en déclarant « ma longue vie m’a donné une succession de raisons de m’indigner ». D’indignations en indignations, on arrive à l’idée que la responsabilité humaine doit être essentiellement vue d’un point de vue de l’individu humain qui réagit face à l’insupportable. Ce sont des individus qui forment un pouvoir et non pas un pouvoir formé par des individus. Il explique également, en reprenant la philosophie de Hegel, que l’on souhaite par optimisme naturel que tout ce qui doit arriver de souhaitable à l’humanité se produise. Sur ce point, il pense que cette idée est battue en brèche par ce qu’il nomme la « course au toujours plus »

A travers le CNR, il aborde le système éducatif français, dont on doit doter de moyens à la hauteur de ses ambitions, de quoi grincer des dents face à l’organisation récente de « job-dating » pour combattre la pénurie d’enseignants, et plus généralement la déliquescence manifeste de notre éducation nationale. Il aborde également le sort des médias, le fameux « quatrième pouvoir » dont les ordonnances sur la presse de 1944 était censées garantir l’indépendance, et dont l’organisation présente fait surtout penser à une vaste mise sous tutelle de l’information des citoyens par une poignée de millionnaires, contre-balancée toutefois par l’audiovisuel public.

Conflits au Proche-Orient et pacifisme

Le point le plus débattu de ce court pamphlet de Stéphane Hessel est le conflit israélo-palestinien. Hessel appartient à la très petite minorité d’écrivains de confession juive à prendre une position publiquement hostile aux agissements d’Israël vis-à-vis de la Palestine.

Sans soutenir le terrorisme antisémite, ce qui lui a été reproché, l’ancien résistant adopte un ton purement factuel sur les exactions de l’armée israélienne, qui faisaient déjà rage à la parution de l’ouvrage en 2011 et qui, douze ans après, sont tristement toujours d’actualité. Il reprend le rapport Richard Goldstone de 2009 accusant l’armée israélienne de « crime de guerre », et dans certaines circonstances de « crimes contre l’humanité ». A ce titre le silence et les biais flagrants de certains médias depuis toutes ces années sur le sujet est à signaler.

Enfin, tout en reprochant aux palestiniens de riposter de manière violente, ce qu’il poursuit dans sa dernière partie sur la non-violence, Stéphane Hessel apporte une nuance sur un sujet qui, d’un point de vue occidental, est aujourd’hui majoritairement traité sous l’angle pro-israélien. Ici, le sujet de politique étrangère peut se révéler compliqué à prendre en compte. En effet, le domaine régalien de la diplomatie française est globalement dicté par l’alliance de l’OTAN essentiellement pro-israélienne, ce qui rend difficile l’opposition. C’est pourquoi Hessel appelle par un joli oxymore à une « insurrection pacifique » dans la dernière partie de son ouvrage qui se veut résolument portée sur l’espoir. Mais à la manière de l’existentialisme sartrien, c’est l’optimisme qui crée l’engagement et non pas l’inverse. Il faut donc continuer à s’indigner même si les cyniques ne verront pas forcément la portée d’un ouvrage qui est surtout porté sur la subjectivité et le sentiment de l’auteur.

A une époque où les décisions sont prises en Europe et même dans le monde de plus en plus loin du vote du citoyen comme le rappelait François Bégaudeau dans son intervention sur le média indépendant Le Crayon, la révolte doit-elle justement se faire, à l’opposé de ce que Stéphane Hessel prétend, par l’indifférence vis-à-vis de nos dirigeants ?

Mathieu SALAMI