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How to have sex : l’ivresse de la jeunesse (et de la vodka bon marché)

Vous rêvez d’une semaine surchauffée à boire de la bière à même le maillot de bain d’un homme doté d’un tatouage de baiser dans le cou ? Non ? Allez quand même voir How to have sex qui le fera pour vous !

Trois meilleures amies, Em, Tara et Skye, arrivent dans une station balnéaire en pleine fête pour fêter la fin du lycée. Tous les clichés sont là : piscine bondée et assourdie par les cris de fête et des remix techno de chansons populaires, tatouages de palmiers sur le torse et concours de t-shirts mouillés…  Nos amies plongent avec délice dans l’atmosphère toujours un peu moite d’alcool bon marché, de cigarettes dépannées et de lumières stroboscopiques.

Les jeunes filles ont deux projets bien définis : ne passer aucune soirée sobre et coucher le plus possible. L’enjeu est d’autant plus important pour Tara, la seule du groupe à n’avoir jamais eu de relations sexuelles et qui compte bien perdre sa virginité pendant les vacances. Elle est particulièrement poussée par son amie Skye, plus expérimentée et qui entretient avec elle un rapport ambigu entre mentor et adversaire jalouse.

Un plongeon dans une piscine sociale et à bulles

D’abord, le film brille par son réalisme : la caméra prend à cœur de rendre le milieu et les scènes quasi documentaires, à travers des plans filmés à l’épaule ou de longues séquences laissant le temps aux acteurs de parler avec une sensation de naturel qui n’est pas sans rappeler le film Aftersun, sorti l’année dernière et retraçant également l’ambiance des hôtels vacanciers.

Ici, le cadre est poussé à l’extrême, et questionne la dimension éthique de ces pôles touristiques. Le film alterne entre des scènes de fêtes nocturnes bondées et de longs plans de la rue vide le matin, dégradée et jonchée de détritus. Il fait voir les dessous d’un tourisme estival sans considération pour les lieux ou la vie locale. 

Mais c’est aussi un moyen de jouer sur l’esthétique, avec des couleurs fluorescentes, des tenues provocantes, des soirées à concepts qui permettent de travailler la couleur jusqu’à la saturation de l’œil : l’excès est ressenti tant au niveau de l’histoire que de la rétine du spectateur.

La culture du sexe

Tout au long du film, le cadre semble inciter – de façon de plus en plus insistante – au sexe. Il y a comme un rapport de défi avec le spectateur, qui doit lui-même décider de ses propres limites : commence-t-on à être mal à l’aise quand notre héroïne doit boire une bière à même le pantalon d’un garçon devant toute la foule qui l’acclame ? Ou la gêne survient-elle un peu plus tard, quand les organisateurs font monter deux hommes sur scène, qui ont pour mission de bander le plus vite possible, avec l’aide de filles dans l’assistance ?

Les interactions sont contaminées par le sexe, qui envahit tous les rapports, détraquant l’harmonie entre les trois jeunes filles et opérant un basculement dans le ton de l’intrigue : cette culture du plaisir vire lentement à l’horreur, comme on peut le voir avec l’évolution du personnage de Tara.

La jeune fille, qui au début du film ne peut être décrite que comme « celle qui est bruyante », s’efface peu à peu, avalée par le bruit de la fête. Son collier « Angel » qui ne la quitte jamais change lui aussi de sens, partant d’abord d’un banal code de la mode chez les jeunes filles pour prendre une portée symbolique glaçante à mesure qu’elle expérimente sa sexualité. Loin d’être vécues comme une libération, ses relations avec l’un des garçons de l’hôtel la renferment, elle devient de plus en plus discrète, jusqu’à devenir quasiment mutique à la fin des vacances. La caméra se concentre de plus en plus sur son visage à mesure qu’on l’entend de moins en moins, comme pour compenser cet effacement sonore, et on assiste à la déchéance du petit « Ange » joyeux. L’horreur trouve son paroxysme à la fin du séjour, avec une scène de viol explicite et désespérément réaliste, particulièrement choquante par sa simplicité et sa rapidité.

Le film fait voir un système organisé autour de la fête dont l’irresponsabilité dévore les êtres, les dépossède de leurs voix et de leur capacité à disposer de leur corps : Les filles sont mineures et ne sont jamais contrôlées, aucune contraception n’est évoquée, et le consentement est un sujet presque tabou.

Amitié et refuge

Mais loin de se contenter d’être un tableau moralisateur de la jeunesse actuelle, le film se veut l’observateur réaliste d’une génération pour en montrer les travers, mais aussi la délicatesse et subtilité.

L’attention particulière portée aux liens d’amitié le montre bien : au milieu de tout ce fracas, les amis sont les piliers permettant de rester en sécurité. La trahison est dès lors beaucoup plus intense lorsque ses copines faillissent à leur tâche. Pour autant, le film s’ouvre et s’achève avec les trois jeunes filles, avant et au retour de leur voyage. L’amitié touchante entre Badger et Tara est aussi un bel exemple de cette attention aux relations amicales, présentées comme bien plus intimes que les aventures passagères. Au-delà de la fête, de ses plaisirs et de son horreur, demeure l’espoir de trouver refuge parmi ses amies, particulièrement montré par l’écoute bienveillante d’Em.

En bref, How to have sex est paradoxalement un film autant nuancé que sans compromis : sans jamais perdre de vue l’objectif de dépeindre un tableau vraisemblable de la jeunesse, il dresse un portrait acerbe d’un système plaçant la performance du plaisir au-dessus de tout, et qui tient fermement la main à la culture du viol. C’est donc avec cette réserve qu’il vous est recommandé : ce film aborde des sujets difficiles avec une vérité et un réalisme qui en mettra plus d’un mal à l’aise, et pourrait être déconseillé si ces thèmes sont particulièrement sensibles pour vous. Pour les autres, le prochain beer pong va bientôt commencer…