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En quête du Graal : légendes arthuriennes et préraphaélisme

Certaines histoires traversent les âges et fascinent les Hommes, parce que ce qu’elles racontent est éternel : les Légendes du Roi Arthur en sont. Les Préraphaélites s’y sont particulièrement intéressés, et de nombreux parallèles sont possibles entre leurs vies et les aventures des Chevaliers de la Table Ronde : j’aimerais ici vous raconter la quête du Graal préraphaélite.

Il est des histoires qui traversent les âges et fascinent les Hommes depuis des millénaires, sans doute parce qu’elles racontent ce qui est éternel : les doutes, les peurs, les amours, les joies. Les Légendes du Roi Arthur en sont. Il y a beau ne plus avoir de chevaliers ou de magiciens dans notre monde, et ce depuis des siècles déjà, elles continuent à nous parler.
Elles ont surtout beaucoup parlé aux artistes du XIXe siècle, et notamment aux Préraphaélites : il y a beaucoup d’étonnantes similitudes entre l’histoire de la Fraternité Préraphaélite et celle des Chevaliers de la Table Ronde.

Dante Gabriel Rossetti, How Sir Galahad, Sir Bors and Sir Percival Were Fed with the Sanct Grael; but Sir Percival’s Sister Died by the Way, 1864
© Tate Britain

Les légendes arthuriennes

Origine et re-découverte

Les légendes arthuriennes sont fixées à l’écrit au Moyen-Âge. Elles sont cependant probablement plus anciennes, héritages de différentes légendes celtes et bretonnes. Elles font partie de ce que l’on appelle la matière de Bretagne, soit l’ensemble des écrits médiévaux construits autour des légendes armoricaines, anglaises et galloises.
Chrétien de Troyes les retranscrit dans Les contes du Graal, Érec et Éride et d’autres écrits qui ont permis à ces légendaires chevaliers de Bretagne de nous parvenir. Malgré cela, il faut attendre 1845 et la publication d’un autre texte médiéval portant sur ces légendes pour qu’elles nous reviennent : Le Morte d’Arthur de Thomas Malory (écrit au XVe siècle). La société victorienne se prend alors de passion pour les aventures d’Arthur et de sa cour. Les textes sont réécrits, réinterprétés, et circulent dans la haute société et le milieu artistique. Cette popularité nouvelle atteint son summum en 1859, lorsque Lord Tennyson publie les Idylles du Roi, recueil de poèmes inspiré par les amours qui peuplent les récits arthuriens et qui rencontre un franc succès.

Le cycle arthurien

Le cycle raconte les aventures du Roi Arthur et de ses chevaliers. Sans doute connaissez-vous la célèbre épée Excalibur, sans doute le nom du Graal vous dit-il quelque chose, avez-vous déjà entendu parler de Brocéliande, Merlin et Viviane, ou encore lu Yvain ou le chevalier au lion au collège.

On raconte qu’Arthur naît en 497 et est confié au magicien Merlin, qui l’entraîne à devenir chevalier sans lui révéler ses origines royales. Arthur devient roi de Bretagne en décrochant la mythique épée Excalibur. Il s’entoure de chevaliers, et part en quête du Graal, objet mythique dont personne ne sait réellement ce qu’il est – une coupe, dira-t-on le plus souvent. Les chevaliers affrontent des ennemis fantastiques comme des dragons, vivent des amours exemplaires des amours galantes médiévales, sauvent et défendent avec bravoure. Les récits sont fortement influencés par les légendes celtes : le meilleur exemple de cela est la mort du roi, blessé au combat, qui s’en serait allé vers Avalon, paradis celtique, d’où, dit-on, il reviendra un jour.

Il y a ici matière à fasciner les Préraphaélites.

Le Pre-Raphaelite Brotherhood, chevaliers de la Table ronde

Littéralement traduisible par « Confrérie Préraphaélite », le Pre-Raphaelite Brotherhood est fondé en 1848 par trois artistes, alors élèves à la Royal Academy : Dante Gabriel Rossetti, John Everett Millais et William Holman Hunt.
Ils sont rejoints par d’autres artistes, comme Burner-Jones ou Leighton.
Comme leur nom l’indique, les Préraphaélites s’inspirent des peintres d’avant Raphaël. Ils ont un style très particulier, reconnaissable entre mille, à coups de fleurs, de couleurs crues, de femmes aux long cheveux et de références.

Pour lire un autre article qui aborde les Préraphaélites et pourra vous donner plus de détails, cliquez ici.

Edmund Blair Leighton, Accolade, 1901
© Collection particulière

Chevaliers de la Table Ronde

Comme des Chevaliers de la Table Ronde modernes, les Préraphaélites forment une confrérie, travaillent et vivent ensemble. Leur groupe fonctionne comme la cour d’Arthur : un groupe d’hommes, sujet des histoires, et des femmes, personnages secondaires pas moins importants. Au centre, l’Histoire de l’art place indéniablement Rossetti en Arthur.

Ils sont en quête des mêmes idéaux, partagent une même vision de l’art : il faut le renouveler, lui redonner ses lettres de noblesse en s’inspirant du passé, de l’âge d’or de la peinture.
Les voilà donc, comme Arthur et sa suite, en quête du Graal, le leur étant cet inatteignable idéal artistique, entourés de leur cour. Il n’y a pas de pouvoir magique ou de monstres fantastiques chez les Préraphaélites, mais des ennemis à combattre, comme le laudanum qui dévore Lizzie Siddall.

Parlons donc de cette femme, centrale dans l’histoire des préraphaélites, femme de Rossetti, et idéal préraphaélite par excellence, et des autres. Les amours (peut-être pas toujours si galantes), et les femmes en général, occupent en effet une place centrale dans la confrérie préraphaélite comme dans les légendes arthuriennes.

Amours galantes : femme victorienne, femme arthurienne

La femme préraphaélite, chimère

Dante Gabriel Rossetti, Étude de Guenièvre pour Lancelot in the Queen’s chamber, 1857
© Birmingham Museum and Art Gallery

La femme préraphaélite, car il existe bien une femme préraphaélite, a un physique très particulier, et ressemble, de près ou de loin, aux femmes des légendes arthuriennes. (voir plus bas, La vierge du Saint Graal). Visage long, long nez, yeux clairs, teint diaphane et longue chevelure rousse, la femme préraphaélite rappelle la femme celte, donc l’imaginaire arthurien.

Les Préraphaélites sont de l’époque victorienne : les femmes de leurs tableaux correspondent également à l’idéal féminin victorien. Une femme soumise à son mari, plus proche de l’héroïne en détresse que de la guerrière : c’est Guenièvre (femme d’Arthur, amante de Lancelot qui la sauve plusieurs fois) plus que Morgane (magicienne et reine d’Avalon, royaume où Arthur serait parti après sa mort, où la vie est éternelle, et qui rappelle l’au-delà celtique). Une femme faible mais belle, maladive mais cultivée, qui rappelle parfaitement la femme des idéaux médiévaux, des amours galantes, cette belle demoiselle oisive attendant d’être libérée de sa prison de verre.

Il va sans dire que cette femme n’est qu’une chimère, et que les muses préraphaélites sont en réalité bien plus que de simples princesses attendant leur preux chevalier, autant qu’aient pu en rêver lesdits chevaliers. C’est là aussi un autre Graal, que cette femme qui n’existe pas.

Elisabeth Siddall, Lady of Shalott

John William Waterhouse, The Lady of Shalott, 1888
© Tate Britain

La Dame de Shalott, nom tiré du poème éponyme de Tennyson, ou Élaine d’Astolat, est condamnée à ne regarder la réalité qu’à travers un miroir. Amoureuse de Lancelot jusqu’à l’obsession, elle est éconduite et en meurt de chagrin. À sa demande, son corps est placé dans une barque, une fleur de lys (symbole de pureté) dans une main, une lettre dans l’autre, afin qu’il dérive sur la Tamise jusqu’à Camelot, où se trouve la cour d’Arthur.

Elle est la parfaite représentation de la femme victorienne, de l’héroïne tragique des amours galantes. On pourrait faire un parallèle entre elle et Elisabeth Siddall, qui se perd dans son amour pour Rossetti et son rôle de muse. Elisabeth Siddall, l’Ophélie de Millais, liée à jamais à ce tableau, et donc à l’eau de la Tamise elle aussi, qui lui vaut d’attraper une pneumonie qui la suivra toute sa vie.
Toutes deux sont des héroïnes tragiques, mortes par amour, mortes de s’être trop données. Elisabeth Siddall tombe dans le laudanum, dont elle meurt d’une overdose, peut-être un suicide, elle se perd dans son rôle de muse à ne plus savoir si elle est elle-même ou la chimère préraphaélite.

La quête du Saint-Graal

Dante Gabriel Rossetti, La demoiselle du Saint Graal, 1874
© Andrew Lloyd Webber Collection

Il est difficile de définir exactement le Graal : quête symbolique, rite de passage, héritage celte (il viendrait du chaudron de Dagda, et cela expliquerait qu’il soit souvent représenté comme une coupe). La quête du Saint Graal, c’est la quête d’un objet magique et mystérieux, mais surtout, dans le langage courant et symbolique, celle de quelque chose qui n’existe pas. Être en quête du Graal, c’est courir après une chimère.

Les Chevaliers de la Table Ronde passent toutes les aventures arthuriennes à chercher ce Graal, justement, qui n’est jamais réellement défini. Après quel Graal courent les Préraphaélites?

Je l’évoquais plus tôt : leur Graal est double. D’un côté, ils cherchent l’Art, ils veulent lui redonner sa noblesse, atteindre la perfection, et vous savez comme moi que tout cela est utopique. De l’autre, il y a cette femme-chimère qu’ils inventent, qui ne saura jamais exister.

Le Graal est un objet d’un ancien temps que cherchent des chevaliers comme les Préraphaélites cherchent un art nouveau dans l’art ancien. Les étonnantes similitudes entre leur confrérie et celle des chevaliers de la Table Ronde prouvent bien qu’il est des choses éternelles et que légendes arthuriennes et préraphaélisme en sont.

Elisabeth Siddall, La Quête du Saint Graal, 1857
© Collection privée