Catégories
Culture & Arts

Construire par la couleur, La Baie.

Aujourd’hui, je vous propose d’entrer dans un tableau monumental, parfait exemple d’un grand courant artistique américain du 20ème siècle : La Baie, d’Helen Frankenthaler.

Une artiste majeure

Helen Frankenthaler est une peintresse américaine marquante de l’expressionnisme abstrait. D’abord intéressée par le cubisme, elle se tourne vers l’expressionnisme abstrait après de nombreuses rencontres avec les plus grands et grandes représentant.e.s du mouvement. Son travail est toujours balancé entre rigueur et spontanéité, sensibilité et technique. Comme on va le voir avec La Baie, Frankenthaler a été un élément clé de l’expressionnisme abstrait dans le passage vers le colorfield painting. 

Elle peint La Baie en 1963, période à laquelle son approche de la peinture change : elle commence à entièrement construire ses œuvres par la couleur. 

Helen Frankenthaler au Centre Pompidou le 23 janvier 1981. © Elles@centrepompido

Un monument de l’expressionnisme abstrait

La Baie est une acrylique sur toile de 2m par 2m. Monumentale donc. Pour le second plan, on observe en bas une épaisse ligne d’acrylique grise. Au dessus de celle-ci un aplat de vert et encore au dessus un aplat de blanc crème. Au premier plan maintenant, un large aplat bleu difforme et à gauche, une petite tâche marron. Je me permets de découper cette toile en deux plans car à mon avis, le bleu est la pièce majeure du tableau, elle domine sur les autres. Néanmoins, libre à chacun.e de la décrire tout autrement. Les couleurs ont l’air d’avoir été emboîtées entre elles, comme un puzzle. Preuve de la spontanéité de Frankenthaler, on distingue des éclaboussures de bleu en haut à droite. Le but n’était pas d’avoir un résultat parfait mais d’avoir un résultat vrai. 

L’aspect intéressant du grand aplat bleu est que l’on n’observe pas un bleu mais des bleus. Différentes teintes depuis l’indigo jusqu’au violet se mélangent pour former une tâche floue. En zoomant sur le tableau, on distingue de la peinture bleue se fondant même dans les couleurs d’arrière-plan. Comme si ce bleu s’étendait, souhaitant occuper toute la place. De plus, sa technique est particulière. Helen Frankenthaler a inventé en 1952 la technique du soak-stain (qui veut littéralement dire en français tâche trempée) un processus de création visant à verser de la peinture préalablement diluée sur une toile directement fixée au sol. 

Un regard qui rejette l’intime

L’artiste prône que l’abstraction est l’art le plus à même de laisser s’exprimer les émotions, les traumatismes, les réactions et ce qui est beau et poétique c’est la réponse que chacun.e apporte à cette tâche de bleu. L’ interprétation unique et personnelle des spectateur.ice.s. C’était l’un des objectifs de Frankenthaler : éliminer tout caractère intime de son œuvre. 

Personnellement j’aime beaucoup ce tableau et en général le travail de Helen Frankenthaler. Pour moi, elle est l’une des maîtresses de la couleur. J’aime énormément le caractère spontané et d’une certaine manière hasardeux de son travail. 

Le groupe des expressionnistes choisit ce tableau pour les représenter à la Biennale de Venise en 1966. Il est aujourd’hui conservé à l’Institut des arts de Détroit.

Pour en savoir plus sur l’artiste et découvrir notamment l’évolution de son travail, voici une vidéo de l’une de ses expositions en France, à Bordeaux, en 1981 : https://fresques.ina.fr/elles-centrepompidou/fiche-media/ArtFem00220/helen-frankenthaler.html