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« Ceux qui rougissent » : petite ode aux Option théâtre

Ceux qui rougissent. Ceux qui clament, crient, pleurent, jouent, sourient. Timidement, les yeux baissés parfois. Mais qui se relèvent progressivement.

Bienvenue au cœur de l’Option théâtre. Dix lycéens répètent pour leur prochain spectacle qui sera un des grands classiques de la littérature shakespearienne, Songe d’une nuit d’été. Au programme, passions amoureuses et désirs ardents sur fond de pressions sociales et familiales. Mais l’équilibre fragile de leurs répétitions est bouleversé par l’arrivée d’un nouveau professeur remplaçant, qui vient dynamiter la routine un peu trop mécanique des adolescent.e.s.

Sous forme de mini-série de 8 épisodes oscillant entre la fiction et le documentaire, nous accompagnons le temps d’une heure et demi ces jeunes dans l’exploration du jeu théâtral et des grandes intrigues de la pièce.

Réalisée par Julien Gaspar Olivieri  qui incarne ce même artiste-enseignant, cette série, accessible sur la plateforme arte.fr, m’a fortement remuée. Parce que je m’y suis reconnue, ayant moi-même été en option théâtre au lycée. Mais plus encore, c’est le regard sensible et délicat qu’elle porte sur des expériences universelles qui m’a saisie. L’adolescence, les rites de passage qui l’accompagnent, les questionnements intérieurs, ces émotions débordantes qu’on peine à contenir et puis ce poids implacable du regard des autres.

Petit tour d’horizon de cette série. 

Cher.e.s lycéen.ne.s / comédien.ne.s

Quelques voix, pas vraiment affirmées, qui muent pour certains, sont portées dans un immense terrain de jeu qu’est le gymnase du lycée, décor que l’on connait tous.tes. Lieu de nos merveilleux cours de sport et de quelques mauvais souvenirs pour certain.e.s. Ici c’est de la prose qui est déclamée. Mais pas que. 

Dans cette série, le professeur déconstruit tout ce que les lycéen.ne.s pouvaient préjuger du théâtre par le biais d’exercices de mise en situation. Il tente de leur apprendre à lâcher prise, à traverser leurs émotions et à les exprimer physiquement et verbalement. 

Une expérience exigeante à un âge où les normes sociales exercent une pression intense et la peur du ridicule est d’autant plus forte. Pourtant, au fur et à mesure de leur progression, nous les voyons s’épanouir, leurs regards s’animer peu à peu.

Moi j’ai l’impression qu’on ne me regarde pas, donc je vois pas pourquoi je regarderai les autres. 

La justesse de la série tient en particulier dans les portraits brossés des lycéen.ne.s. 

Une toile de fond vient rappeler le quotidien du.de la lycéen.nne type: les discussions sur les cours, les relations amoureuses à l’heure des réseaux sociaux,  les déceptions, les trahisons, les cours séchés pour aller voir un garçon, les disputes, les bagarres devant les casiers, etc. 

Mais, au-delà de l’expérience collective à laquelle on s’identifie facilement, cette série est aussi un petit kaléidoscope de visages tous très différents, dépeints avec beaucoup de tendresse et d’humanité. Les plans rapprochés viennent ajouter de la profondeur à ces personnages qui hâpent le téléspectateur au fil des épisodes. 

Crédit: Arte.fr
Crédit: Arte.fr

L’un d’entre eux a particulièrement retenu mon attention. Marie. Marie est très présente à l’image mais ne s’exprime peu. Elle est timide et ne parvient pas à s’imposer face à des personnalités plus fortes souvent présentes en option théâtre. Cachée derrière son carré noir, les mains tremblantes, elle joue pourtant bien. Très bien. Son jeu est dénué de tout artifice. Ses yeux sont portés vers l’intérieur, mais sa voix vient transmettre au monde toute sa douceur et sa sensibilité. Et porte un texte d’une grande beauté qui saura vous toucher. Mais Marie a aussi une colère à faire entendre qu’elle va libérer à travers les exercices proposés.

Jouer la vie

Cette série, c’est aussi un regard porté sur le jeu. Pour interpréter, incarner des rôles faut-il être un ou une autre ? Et que faire de ses émotions dans tout ça ? Le professeur va amener les adolescent.e.s à explorer ce qu’il y a de plus profond en eux, donnant lieu à des scènes percutantes, parfois dures aussi. 

Je pense en particulier au deuxième épisode “Des Bras” dont les images sont bouleversantes. 

Crédit: Arte.fr

Les lycéen.e.s doivent à tour de rôle se prendre dans les bras, puis se rejeter, en y mettant toute l’énergie nécessaire afin d’explorer la violence du sentiment amoureux. Des larmes perlent sur les joues de certains d’entre eux/elles. Est-ce leur vécu qui parle ? Des projections ? L’épisode résonne dans tous les cas pour tous.tes, montrant ce qu’il y a de plus profond chez l’être humain. L’amour, la folie, la colère, et la tristesse qui accompagnent parfois le rejet. Dans ce qu’il y a de plus brut.

Je suis seule. J’ai peur. J’attends. De me sentir à nouveau vivante. A nouveau animée. Habitée par quelque chose ou quelqu’un. En attendant, je vais au théâtre le mardi soir. J’y ris. J’y cris. Et c’est seulement à ce moment-là que ça va. Ce moment où je sens mon coeur tout entier brûler, cramer même. Des fois ça fait du mal mais ça fait aussi du bien. Parce que ça me rappelle que je suis toujours vivante.

Cela m’amène à un autre questionnement. Est-ce que le théâtre se veut thérapie ?

Les lycéen.e.s explorent ce qu’ils/elles refoulent habituellement, et portent un regard nouveau sur elleux-mêmes par le biais des personnages qu’ils/elles incarnent. Un exercice particulièrement difficile tellement il peut être bien plus simple parfois de se cacher derrière un rôle lorsque le réel devient trop dur à assumer. Ce trouble entre fiction et réalité vient nourrir leur jeu et donne de l’épaisseur au groupe, qui s’empare de cette matière pour devenir “collectif”. Les lycéen.e.s se soudent et s’entraident dans cette quête d’une vérité, personnelle et/ou théâtrale.

Et plongent dans les abimes de la pièce.  Le Songe d’une nuit d’été, c’est avant tout  une invitation à explorer les profondeurs du subconscient, à s’aventurer dans les recoins de notre imagination. Les songes plânent dans le gymnase et s’entrechoquent, apportant un peu de poésie dans ce lieu d’ordinaire si froid.

Posture de l’artiste-enseignant 

Crédit: Arte.fr

La figure du professeur m’a troublée et ouvre la voie à de multiples interrogations. Pour guider les lycéen.ne.s vers davantage d’authenticité, est-il nécessaire de les déstabiliser à ce point ? Il convient de rappeler que le théâtre n’est pas une discipline comme les autres. Il abolit certaines frontières, notamment dans le rapport au corps et aux émotions, rendant la posture de l’artiste-intervenant.e particulièrement délicate. 

Combien d’élèves ont été marqué.e.s par l’expérience d’un.e professeur.e ou d’un.e comédien.ne les poussant à leurs limites ?

Face à des adolescent.e.s souvent mal dans leur peau, il semble crucial de définir un cadre clair afin d’éviter toute intrusion ou abus dans cette relation asymétrique. Bien que complexe, ce rapport est essentiel lorsqu’il s’agit d’explorer la vulnérabilité. Julien explique : « Il faut savoir, quand on joue, ce qu’il nous manque. » C’est bien ce qu’il cherche à faire tout au long de ces épisodes avec ses élèves tout en frôlant  une limite qu’il ne faudrait pas dépasser.

Que vous ayez fait du théâtre ou non, allez regarder cette série. Pour le jeu des adolescent.e.s si spontané qu’on pourrait croire à une série documentaire. Pour la beauté de leurs émotions qui sont si bien portées à l’écran que vous basculerez vous aussi du côté de ceux qui rougissent. Et pour capter l’énergie du collectif qui se crée au fil des épisodes tout en s’interrogeant sur le lien élèves-professeur et les travers qui surgissent à l’écran. So pour 2025, visionnez et exultez, encore, toujours, sans répis 🙂