La salle des profs : un thriller anti-policier glaçant
Après Un métier sérieux, sorti l’année dernière et qui s’inscrivait dans la longue lignée des films d’école traitant le sujet de la vocation d’enseignant, plongez-vous dans La salle des profs, afin de vous assurer de ne plus jamais vouloir remettre un pied dans une école !
Le film nous présente Carla Nowak, professeure de mathématiques et d’éducation physique dans un collège allemand. Elle est très appréciée de ses élèves, le leur rend bien, et entretient des relations cordiales et harmonieuses avec ses collègues. Mais cette atmosphère paisible est vite perturbée par les mystérieux vols qui se multiplient dans l’enceinte du collège, touchant autant les professeurs que les élèves.
S’ensuit alors ce qui semble se présenter comme une enquête policière, multipliant les suspects et les indices. Lorsque Carla, en cherchant à filmer le voleur à son insu, trouve des preuves contre Mme Kuhn, secrétaire de l’administration de l’école et mère de l’un de ses élèves, la situation se dégrade encore d’un cran. Le spectateur assiste alors impuissant à l’enfermement de plus en plus étouffant de l’héroïne. Progressivement antagonisée par ses élèves et désertée par le corps enseignant, seule sa persévérance et sa passion pour l’enseignement pourront lui permettre de naviguer entre les diverses accusations et sa propre culpabilité.
Vouloir bien faire : l’ambiguïté d’un cadre “progressiste”
Dans le film, le collège se présente comme un environnement moderne et accueillant pour tous, fondé autour de méthodes pédagogiques innovantes et d’une grande attention portée aux règles de vivre ensemble. Mais très vite, la politique de “tolérance zéro” pour les vols et les violences mène à la mise en place de méthodes autoritaires et intrusives qui débutent dès l’ouverture, lorsque les deux délégués de classe sont encouragés à dénoncer leurs camarades.
On assiste alors, à partir de ce cadre au premier abord idyllique, à la mise en place quasi schématique d’un système autoritaire. Le pouvoir du corps enseignant repose alors sur la surveillance, l’exhortation à la délation, les accusations humiliantes et l’information partielle. En réaction se dresse presque nécessairement une force résistante chez les élèves, qui emploient des outils de protestations bien connus avec la mise en place de sit in, de réseaux secrets, de journaux qui se retrouveront censurés, ou encore de refus d’obtempérer. Le film prend à cœur de faire voir ce basculement à travers le fonctionnement de l’école, permettant une double tension : d’une part, faire voir la facilité à basculer dans un système autoritaire dans les cadres les plus tolérants, il pourrait d’autre part suggérer un conditionnement dès l’enfance à des rapports de force inégaux, posant la question de l’éducation à la vie civique.
Comment faire voir ? Une question de transmission
Que ce soit au cœur de l’histoire avec le thème de l’enseignement ou à l’échelle du film, une question persiste : comment transmettre quelque chose à son auditoire ? L’œuvre semble constamment s’interroger sur ce qu’elle voit et fait voir : ce n’est pas pour rien que la preuve de la culpabilité de Mme Kuhn est une vidéo. Média imparfait, il demeure insuffisant pour faire voir la vérité (le film ne révèle jamais l’identité de l’auteur des vols). D’ailleurs, tous les modèles d’expression mis en place échouent : la parole ne fait qu’envenimer la situation (comme le montre la première tentative de Carla pour évoquer le problème des vols avec Mme Kuhn), l’écriture, représentée par le journal du collège, devient le lieu du mensonge et de la désinformation tandis que la vidéo finit par ne rien prouver. Chaque fois qu’il y a communication, il y a transformation de la vérité.
Par conséquent, chacun est contraint au contrôle minutieux de son image, dans un lieu où le préjugé finit par primer. Le film s’ouvre sur l’accusation d’un élève turc, allant jusqu’à la convocation des parents qui sont sommés de parler allemand alors qu’ils s’entretiennent entre eux. Plus tard, la pudeur de Carla à parler Polonais, sa langue d’origine, montre l’enjeu de la conformité. Finalement, le pire n’est pas d’être coupable, mais d’être accusé. C’est d’ailleurs par la réputation que Mme Kuhn se venge de celle qui l’a soupçonnée, en la confrontant devant tous les parents d’élèves.
L’anti-policier : le refus du manichéisme?
De ce dur enseignement, que faire ?
Malgré lui, le spectateur participe lui aussi à faire du collège un espace de surveillance et de dénonciation (on peut presque aller jusqu’à parler d’état policier ?) : le film se présentant comme une sorte de film d’enquête nous pousse à vouloir soupçonner tout le monde. Des élèves profitant d’une pause pour aller dehors deviennent des suspects sérieux, et le comportement laxiste des deux professeurs pourrait bien être un indice de leur culpabilité.
En refusant de faire aboutir l’enquête, le film nous ramène à son sujet premier : l’école. Le cadre n’est pas un simple prétexte pour laisser entrevoir les mécanismes d’un système autoritaire, il pose réellement la question de l’enseignement et de la transmission.
L’héroïne serait peut-être l’élément qui permettrait de ne pas faire sombrer l’intrigue dans une métaphore simpliste du nazisme. Elle essaie continuellement de lutter contre les forces mises en place, que ce soit les préjugés du corps enseignant ou les méthodes de plus en plus agressives des élèves. Mais en voulant bien faire, Carla ne fait qu’aggraver la situation. Faire du fonctionnel dans un système dysfonctionnel ne crée qu’un chaos de plus. Le dénouement semble apporter une lueur d’espoir dans toutes ces problématiques entremêlées, et permettrait un retour à une interaction entre une professeure et son élève, émancipée de ses enjeux plus vastes.
Pour conclure, La salle des profs est un film qui mène avec brio ce qu’il veut mettre en place, grâce au jeu magistral de Léonie Benesch (Carla Nowak) et à ses dialogues particulièrement efficaces. S’il pourrait refroidir certains à exercer le métier d’enseignant, il n’en demeure pas moins un très beau film sur l’éducation et parvient à mettre le spectateur dans une situation d’angoisse perpétuelle dont il se remettra difficilement.