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Harriet Backer prend possession du musée d’Orsay

Passez par les grandes portes. Descendez les escaliers. Déambulez devant la Liberté, Sappho et Napoléon 1er pour vous retrouver devant un nouvel escalier. En haut de celui-ci vous trouvez Harriet Backer, vous trouvez la musique des couleurs. Avec une scénographie douce et simple, le musée d’Orsay nous plonge dans l’univers bucolique d’une peintresse qui, entre réalisme et impressionnisme, a forgé les imaginaires de toute une génération d’artistes en Norvège.

Harriet Backer et ses amies

Harriet Backer est née en 1845 dans le sud norvégien. Elle grandit dans une famille d’artistes qui va la pousser à entreprendre des activités artistiques. Sa soeur est une grande compositrice, la musique sera donc centrale dans sa peinture. Dans la première salle, son Autoportrait inachevé de 1910 nous la présente comme une femme déterminée, à l’air grave, quelque peu austère. Or, sa peinture, c’est le contraire. Son utilisation de la couleur est riche et fascinante. Elle a peint de nombreuses scènes de plein air, en pleine période impressionniste. Elle s’est aussi intéressée aux intérieurs, qu’elle peint lumineux, vivant, colorés. Son travail est complet et nous propose un magnifique panorama de la peinture scandinave de la fin du XIXème siècle au début du XXème.

Autoportrait inachevé, Harriet Backer, 1910 © Anaë Leffray

Tout au long de sa vie, Backer s’est entourée de femmes. Elle habite notamment pendant de nombreuses années avec Kitty Kielland, ce compagnonnage privilégié entre les deux femmes questionne d’ailleurs beaucoup à l’époque. Ces relations profondes qu’elle entretient avec ses amies artistes sera d’une influence infinie dans son travail. Elles se peignent, se soutiennent, s’écoutent. Elles peignent dans le même atelier, un lieu de vie et de travail, une intimité partagée. Backer est restée indépendante toute sa vie, autant professionnellement que personnellement et c’est à mon sens, ce qui fait toute la force de son travail. Elle peint les sujets qui lui plaisent, quand il lui plaît. Elle a également beaucoup voyagé pour se former. Liberté de penser, liberté de bouger, oui, Harriet Backer était une femme et une artiste profondément libre.

Voyages et influences

Après avoir appris la peinture dès son plus jeune âge en Norvège, elle poursuit sa formation artistique en Europe de l’Ouest. Entre Munich, Florence et Paris, elle se forge un style, elle rencontre des artiste, des ami.e.s. En copiant les tableaux de grands maître.sse.s sa technique se perfectionne. Elle s’intéresse également au travail des impressionnistes, influence que l’on retrouve beaucoup dans ses peintures.

Si l’on parle des influences de Harriet Backer, il faut évidemment parler de la musique. Comme évoqué précédemment, la musique fait partie de sa vie, sa soeur et son neveu étant d’illustres compositeur.ice.s. Backer joue du piano, instrument central dans son quotidien, dans son lieu de vie. Pour elle la peinture constitue « une musique pour l’oeil ». Elle s’évertue alors à composer des toiles harmonieuses autant dans les couleurs que dans les lignes. On retrouve dans Au piano de mon arrière grand-mère des traits vivants et doux, une atmosphère paisible, un semblant de geste impressionniste. La lumière qui s’échappe de la fenêtre pour engloutir la pièce donne un âme à la scène . Cette âme est transmise aussi dans la scénographie de l’exposition par des enregistrements de piano d’Agathe, sa soeur. La rotondité de la salle et ses murs marron-mauve rendent l’atmosphère chaleureuse. Nous sommes chez nous, nous sommes chez Backer, dans son salon, en train d’écouter Agathe jouer du piano.

Au piano de mon arrière grand-mère, Harriet Backer, 1921 © Anaë Leffray

Entre intérieur et extérieur

L’artiste norvégienne peint la musique mais aussi ce qu’elle voit, en intérieur comme en extérieur. Les intérieurs, elle en a beaucoup peint des rustiques. Des intérieurs de fermes au mobilier en bois pouvant parfois paraître froids et sans âme, Backer en fait des scènes chaleureuses. Sa fascination pour la lumière et les fenêtres rend les scènes vives et magnétiques. Notre regard est capté par ces rayons qui fendent le paysage. Les fenêtres ainsi que la présence répétée de petits brins de verdure apportent un contraste chaud-froid saisissant. C’est lumineux, c’est doux, c’est profondément joli.

À son retour en Norvège à la fin du XIXème et dans un contexte de revendication d’une identité nationale propre, Backer se met à peindre de nombreux intérieurs d’églises. Elle se penche plutôt sur des bâtiments anciens, datant d’avant les diverses colonisations. Les églises sont d’ailleurs souvent luthériennes (protestantisme), culte majoritaire en Norvège. L’ intérieur de la Stavkirke ( église typique de Norvège) d’Uvdal m’a frappé. L’édifice date du Moyen-Âge mais le décor a été peint au XVIIe. Les couleurs vives sont typiquement norvégiennes et Backer leur rend divinement hommage. Le vert y est saisissant. En haut à droite, deux fenêtres illuminent la pièce, illustration de l’omniprésence de l’extérieur dans les intérieurs de l’artiste.

L’intérieur de la Stavkirke d’Uvdal, Harriet Backer, 1909 © Anaë Leffray

L’extérieur donc, le dehors, est un sujet tout aussi important dans la travail de la peintresse. Elle s’intéresse plus tard à ce sujet, quand il devient populaire chez les impressionnistes de peindre en extérieur. Elle passe du temps dans la nature norvégienne et propose des scènes théâtrales avec beaucoup de mouvement. On y décèle le vent des côtes, le bruit des vagues, l’intensité du travail des lavandières… Avec plusieurs de ses ami.e.s artistes scandinaves, Backer initie un néoromantisme norvégien qui renforce le désir d’indépendance, d’identité culturelle propre du pays et plus largement des pays scandinaves.

À la fin de sa vie

Au début du XXème siècle elle s’installe à Oslo où elle restera jusqu’à ses derniers jours. Elle peint beaucoup de natures mortes, à côté de son métier de professoresse de peinture au sein de l’école mixte qu’elle a créée. Elle se concentre également sur les fenêtres et continue de produire des tableaux d’une grande douceur. En témoigne la Bibliothèque de Thorvald Boeck. Dans des tons orangés et bruns agrémentés d’un vert subtil et d’un blanc lumineux sortant de la fenêtre, Backer réussit brillamment à « figer un lieu de connaissance » dans le temps, dans la couleur, dans l’espace.

Bibliothèque de Thorvald Boeck, Harriet Backer, 1909 © Anaë Leffray

Avec une scénographie claire et simple, le commissariat d’exposition rend un bel hommage à une artiste importante, connue de son vivant, qui eut une influence considérable sur l’école de peinture norvégienne. Un exposition colorée et complète, sur une grande femme, à découvrir jusqu’au 12 janvier 2025.

Lien de l’exposition