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Exposition des collections du FIAA du Mans.

Du 24 mai au 13 octobre 2024, découvrez l’Exposition des collections du FIAA du Mans. Un fond de 350 oeuvres de la collection privée de Lucien Ruimy dont 70 nous sont ici présentées. Le but de l’exposition : “offrir aux publics une vue d’ensemble de l’art d’aujourd’hui.” Laissez-moi vous dire que ce but est atteint. Je vous propose ici une visite personnelle et contemplative d’un panel d’art actuel.

Avant-propos

L’ art actuel m’a toujours questionné. Les influences sont tellement diverses que j’ai facilement l’impression de me perdre dans des styles peu subtils, dans des œuvres fourre-tout. Le domaine de l’art est comparable au vin, il prend de la valeur avec le temps, c’est sûrement dommage mais c’est comme cela que ce monde marche. Les génies se forment avec le temps. Je me rends bien compte que, moi-même, je ne donne pas la même valeur à l’art actuel qu’à l’art plus ancien. J’ai réappris ici, à lui donner de la valeur à cet art actuel. Après tout, il nous raconte, il raconte notre temps, notre présent.

Tout compte fait, ce que j’aime dans l’art actuel c’est que je me pose moins de questions. J’essaie moins de chercher des références, ma posture est plus spontanée, presque enfantine. Au premier abord je ne cherche pas à comprendre mais plutôt à ressentir. Alors qu’avec de l’art plus ancien, je vais faire fonctionner ma mémoire pour trouver les codes de la peinture. 

Durant cette visite, j’ai conservé cette posture. J’ai décidé de prendre ce que cette exposition me donnait, en me concentrant sur ce que je ressentais. J’ai décidé de, par cette exposition, visiter mon être intérieur. 

La peur

Ma première réaction en entrant fut la peur… Comment écrire sur une collection si diverse ? Comment trouver un mouvement ? ou une unité ? Est-ce même pertinent de trouver une unité ?

Laissons-nous néanmoins porter par ce massif artistique désordresque. 

La première œuvre à m’avoir tapée dans l’œil fut le travail coloré de Jean-Louis Vibert. Il dit que par ses œuvres, il ne veut surtout pas transmettre la tristesse et le désespoir, car le monde en est déjà plein. Il ne souhaite transmettre rien d’autre que la joie. Dans une actualité  difficile où se mêlent transphobie gouvernementale et complicité de guerre et génocide, une oeuvre éclatante de couleur ouvre une micro fenêtre de joie. 

Opposée à cette œuvre, deux encres sur papier, plus sombres, qui ouvrent la voie à un mur rempli de peintures anatomiques, déformantes, cauchemardesques. Je retrouve ici une œuvre du peintre manceau Guy Brunet, artiste exposé au FIAA l’année dernière. 

Orok, litographie de Jean-Louis Vibert opposée à deux encres de Sébastien Thomasson (2019) © Anaë Leffray

Plus loin, Marie-Christine Palombit joue aussi d’une dimension anatomique dans son travail en “reliant l’aspect charnel de ses personnages à leur entité spirituelle”. Cette artiste parisienne puise dans le corps, le mouvement et la femme et présente des productions riches qui jouent avec les sens et la perception de cellui qui les reçoient. Son travail fait écho à un Sans titre de Patrick Paufert qui joue de cette même dimension anatomique, couplée d’un aspect abstrait. Cette œuvre interpelle par ses couleurs pâles en même temps qu’elle dégoûte. 

Sans titre, Patrick Paufert © Anaë Leffray

Élever l’âme par l’étude anatomique du corps. Est-ce là la quête picturale de tout artiste ? Se découper pour mieux se comprendre ? Ces œuvres ont un aspect cathartique. Agissent-elles comme un exorcisme ? 

À la recherche de la couleur

Après cela, me voilà à la recherche de la couleur. À la recherche de la joie. Dans une petite salle, une œuvre attire soudain mon attention. Kristian Desailly est entouré d’artistes dès son plus jeune âge. Lui-même peintre, il présente ici un travail abstrait composé notamment de touches d’un bleu électrique. “Il retrouve la spontanéité de l’enfance”, que nous retrouvons sûrement toustes face à des œuvres colorées aux formes imaginaires. 

Sans titre, Kristian Desailly, 1995 © Anaë Leffray

Plus loin, me voilà face à un collage. Ce type de production artistique est quelque chose que j’aime tout particulièrement. Je trouve fascinant la possibilité de créer à partir d’une matière déjà existante. Découper, coller, superposer. Tant de possibilités pour créer une agglomération de matière, une unité, à partir de pièces diverses. La toile face à moi est l’œuvre de Georges Fho Madison. Diplômé des beaux-arts du Mans et d’Orléans, ses toiles utilisent diverses techniques dont la peinture et le collage. Il aime travailler la couleur et notamment plus récemment les couleurs fluos.

D’autres collages sont présents sur les murs de l’exposition dont l’un de l’artiste Ivan Sigg (couverture de l’article). Membre du collectif Banlieue-banlieue, je reconnais des influences directes de la mouvance underground de Basquiat. Né à Casablanca, Sigg, artiste du monde, s’amuse depuis des années à détourner des unes de journaux en les agrémentant de touches de peinture vive. Dans 500 truites sur le lit-oral, il détourne la une du Maine libre et en fait une œuvre humoristique et colorée. 

Sans titre, Fho Madison, 2000 © Anaë Leffray

De la couleur, ces toiles en regorgent. Je tombe par exemple nez à nez avec une toile de Sylvette Carlin. De la couleur, des femmes, des formes, nous sommes décidément faites l’une pour l’autre. Cette toile est magique, elle plonge dans un imaginaire océanique. Les deux femmes qui s’enlacent semblent être sirènes. Les coulures rendent ce travail vivant, d’un plaisir incommensurable à regarder. Les protagonistes semblent paisibles, dans les bras l’une de l’autre, elles paraissent amoureuses, apaisées. Cette toile pourrait-elle être un emblême du rêve queer ? Une société dans laquelle être queer serait apaisant. Un monde dans lequel être queer serait paisible. 

Sans titre, Sylvette Carlin, 1995 © Anaë Leffray

À la recherche des émotions

Après le collage et la peinture, je m’intéresse à une sculpture de Roland Devolder dénommée : L’envol (Icar). Icare est un célèbre personnage de la mythologie. Enfermé avec son père Dédale dans le labyrinthe du Minotaure, il s’échappe grâce à des ailes confectionnées en cire et en plumes. Avant qu’il parte, Dédale le prévient : il ne doit pas trop s’approcher de l’eau pour ne pas mouiller ses plumes, ni trop s’approcher du soleil pour ne pas les faire fondre. Aventureux, curieux, souhaitant en savoir plus, Icare brave l’interdit et vole près du soleil. Il meurt d’une chute dans la mer après que ses ailes aient fondu. Ce mythe aborde la transgression de l’interdit, les relations parents/enfants, l’avidité de toujours vouloir en savoir plus, la nature humaine curieuse.

Dans sa sculpture, Robert Devolder nous propose un Icare gris, brûlé, déjà trop près du Soleil. Sur son visage se lit de la terreur, de l’incompréhension. La mort est déjà là, la réalisation est en cours dans son esprit, il sait, il a bravé l’interdit, il en paie à présent les conséquences. Qu’y a-t-il dans la tête de quelqu’un.e sur le point de mourir ? Robert Devolder nous en donne un aperçu. Cette sculpture me subjugue. Je la trouve magnifiquement expressive. Malgré sa petite taille, elle est inspirante, pleine de vie, remplie d’émotions. 

L’envol (Icar), Roland Devolder © Anaë Leffray

Sur un mur proche, un grand format, rempli de couleurs. Une peinture de Marion Robert, pleine de jets, d’éclaboussures, de mouvements, de traces de doigts. À côté, j’entends des chuchotements. Je sens que cette œuvre questionne. On se demande si on aime, si on n’aime pas. Si on comprend, si on ne comprend pas. On se demande ce que ça veut dire, ce que ça transmet.

Et si on ne se demandait pas ? Et si on se contentait d’apprécier ? Il est pertinent de tenter de trouver un sens, c’est dans notre nature humaine, je suppose, de donner du sens. Néanmoins, il faut penser à se laisser porter, parfois. Ici, j’apprécie le fond blanc et rose pâle. J’aime le rouge sang qui dégouline, il me fait penser à une main qui vient de tuer et qui étale le sang de sa victime. Je chéris ces touches de vert, de noir, de bleu qui rendent cette peinture éclatante, équilibrée, belle. Je trouve ce tableau purement et simplement beau. Intéressant, questionnant mais aussi simplement beau. 

Sans titre, Marion Robert © Anaë Leffray

À la recherche de l’être intérieur

La collection de Lucien Ruimy est vaste et survole des décennies d’art contemporain, de références artistiques, de techniques. Ces œuvres révèlent un certain goût de l’art. Elles prouvent qu’il est personnel, intime. Ici, il se résume pour moi par la couleur, par l’étude anatomique du corps, par les formes et par l’abstraction. 

Finalement, cette exposition m’a reconnecté avec mon être intérieur. Elle m’a reconnecté avec mes sens, mes émotions. Elle a réveillé ma perception de la couleur, des formes, de la lumière. Ma mémoire artistique a été mise à l’épreuve également. Certaines œuvres ont fait sens, d’autres pas. 

Cette exposition m’a d’abord fait peur car il est complexe de trouver un mouvement et une unité dans un fond si divers. Finalement j’ai réussi à tirer de cette visite un gain d’expérience personnelle. Une visite de mon être intérieur. Je vous invite à faire de même lors de la prochaine exposition que vous visitez. Revisitez votre être intérieur au passage. 

© Citations : documentation sur place.