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Beyrouth-sur-Seine de Sabyl Ghoussoub

En 1975, les parents de Sabyl Ghoussoub sont arrivés à Paris alors que la guerre ravageait le Liban. Prévoyant de rester seulement deux ans pour leurs études, ils ont fini par s’établir durablement. Des décennies plus tard, leur fils Sabyl Ghoussoub, né en France, entreprend de sonder leur histoire, explorant ainsi ses propres liens au Liban à travers son livre au nom franco-libanais, inventant la charmante bourgade de « Beyrouth-sur-Seine ».

Succession de fragments de mémoire : une guerre vécue par procuration

À travers les souvenirs marquants de ses parents, l’auteur découvre avec émotion leur vécu, depuis leur départ du Liban, croyant alors à un exil temporaire. Leurs récits, parfois chaotiques et contradictoires, dévoilent progressivement leur réalité passée, filtrée par leurs émotions et leur subjectivité, telle une succession de fragments de mémoire et de vives émotions. L’auteur s’approprie cette histoire, navigue entre la douleur de l’éloignement des proches et l’horreur des attentats au Liban qui les touchent jusque sur le sol français. Il tisse sa propre mythologie personnelle, se fraye un chemin parmi les dilemmes des êtres chers, parfois victimes, parfois bourreaux.

Le conflit dont il est question ici est la guerre civile libanaise, qui a eu lieu de 1975 à 1990. Complexes, ces affrontements ont été dévastateurs et le casus belli est difficile à établir : conflits politiques internes, tensions sociales accumulées pendant des décennies, elle a impliqué de multiples factions ethniques et religieuses au Liban. Il s’agit également de ne pas négliger les influences extérieures, notamment de la part d’Israël et de la Syrie. Les accords de paix de Taëf en 1989 ont officiellement mis fin au conflit, mais les séquelles de cette guerre continuent de marquer la société libanaise jusqu’à aujourd’hui. De nombreuses tensions persistent entre différentes factions politiques et religieuses, et la mémoire collective du pays est meurtrie par de profondes cicatrices.

Ce livre offre une peinture vive et imaginaire d’un Liban martyrisé, recréé au quotidien dans des foyers exilés et au sein de vastes communautés virtuelles. Pour l’auteur, c’est un cheminement intime, une quête existentielle explorant ses racines, son identité et son sentiment d’appartenance. En refermant ce livre, le cœur serré pour les Libanais éprouvés par une actualité incessante de souffrance, on ressent une profonde affection pour ces personnages si humains.

Conter l’importance de la famille : entre roman historique et journal intime

Lorsque défilent les pages de ce livre, le sentiment profond que ce récit est depuis longtemps ancré en l’auteur est frappant. D’autant qu’interroger ses parents sur leur histoire n’est pas une tâche aisée : dans leur appartement parisien, Sabyl enregistre successivement les récits de Hanane et Kaïssar. Ils relatent les faits l’un après l’autre, afin d’éviter leurs querelles incessantes. Au fil du temps, les souvenirs s’entremêlent, les dates se modifient, et des périodes d’incertitude s’installent. Depuis que la guerre a frappé le Liban, ses parents ne se sentent ni français ni libanais, considérant que « leur véritable pays, c’est la famille », selon sa mère.

Ainsi donc, le livre se divise en trois parties, centrées sur sa sœur, ses parents, et leurs frères et sœurs respectifs. La première retrace leur arrivée à Paris et le début de la guerre. La deuxième se concentre sur la violence et la politique au Liban, qui finissent par atteindre la France. Quant à la troisième, elle met en lumière le dégoût et la fatigue des Libanais face à la guerre, exprimant le désir de la famille de Sabyl de « rentrer au pays ». Le côté « roman historique » de la guerre rend le récit absolument captivant.

Cependant, en tant que personne n’ayant pas vécu ce conflit, sa compréhension de celui-ci s’avère compliquée. L’auteur cherche pourtant précisément à dépeindre cette complexité qui finit par affecter les familles immigrées : « La vie de mes parents, c’est comme la guerre du Liban. Plus je m’y plonge, moins j’y comprends quelque chose ». Le côté « journal intime » du livre est également appréciable. La guerre n’est pas abordée comme dans un manuel d’histoire, mais à travers le quotidien d’une famille. Sabyl Ghoussoub nous transporte dans la vie de ses parents, touchés par ce conflit, avec des souvenirs peut-être altérés, des points de vue différents selon les personnes ou les affiliations politiques du moment. Malgré le côté dramatique du conflit, cette histoire est contée avec légèreté et simplicité, offrant un regard original sur les familles libanaises et sur le Liban. Cependant, étant donnée la complexité de la très épineuse guerre civile libanaise, l’œuvre ne fournit que quelques clés pour en comprendre les enjeux, et incite à l’explorer davantage.

Beyrouth-sur-Seine a été récompensé du prix Goncourt des lycéens 2022

Une réponse sur « Beyrouth-sur-Seine de Sabyl Ghoussoub »

Ça donne envie de lire le livre. Pour illustrer la complexité de ce conflit, il faut savoir que la France, les USA, la Libye, l’Irak, l’Iran, l’Arabie Saoudite, l’Égypte ont également participé directement ou indirectement à cette guerre…. Souhaitons aujourd’hui Paix et Prospérité au Liban

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