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L’avènement de l’image au théâtre : vers un nouveau genre artistique ? 

L’image monte désormais sur scène. Elle trouve grâce auprès d’un nombre croissant de metteurs en scène, et devient une des nouvelles obsessions du théâtre contemporain. Jean Chollet, journaliste, comédien et metteur en scène explique : « A travers son histoire, le théâtre a toujours su faire place à de nouvelles techniques qui pouvaient être bénéfiques à son expression et à son renouvellement. L’évolution des mécanismes des machineries, les outils de la lumière et de la sonorisation mis au point depuis le XIXe siècle en témoignent. »  1 Le théâtre se métamorphose alors au XXe siècle. L’usage du numérique et en particulier de la vidéo offrant de nouvelles possibilités de scénographie et plus largement de mise en scène. Cette “domination des écrans” décrite par certains est telle qu’elle semble donc avoir aussi investi le spectacle vivant.  

Julien Gosselin, Wajdi Mouawad, ou encore Paulo Correia. De plus en plus de metteurs en scène explorent l’utilisation des dispositifs filmiques sur scène. Mais c’est avant tout de Cyril Teste dont il est question lorsqu’on aborde ces questions.   

Focus sur Cyril Teste et le Collectif MxM

Ce dernier a en effet souhaité intégrer le numérique à travers un dispositif vidéo sur scène qu’il codifie afin de proposer ce qui peut relever d’un nouveau genre artistique : la « performance filmique ».  Ce concept est le fruit de son travail mais aussi plus largement du Collectif MxM (Monkey Ex Machina) cocrée par ce dernier en 2000 et composé de comédiens, de créateurs de lumières, de vidéastes, scénographes, compositeurs contemporains et même webmasters. Il sert à désigner une « œuvre théâtrale qui s’appuie sur un dispositif cinématographique en temps réel et sous le regard du public. Il s’identifie par une charte qui définit en sept points son territoire de création. »2 

Ses différentes pièces (Nobody, d’après les textes de Falk Richter, Festen d’après les cinéastes du Dogme Thomas Vinterberg et Mogens Rukov en 2017, ou encore leur dernière création La Mouette d’après les textes d’Anton Tchekhov en 2021) sont estampillées “performances filmiques”. 

Concrètement, la vidéo investit le champ théâtral et la narration. Des caméramans déambulent sur le plateau au milieu des comédiens et l’image filmée est retranscrite sur un écran placé au-dessus du plateau. Cyril Teste a choisi ce dispositif car il s’intéresse aux images au théâtre et à leur spatialisation.  Un jeu entre “le montré et le caché” via ce dispositif permet d’explorer l’ensemble des espaces scéniques : le plateau, ce qui est visible depuis notre siège, et ce qui ne l’est pas, mais aussi les coulisses. L’image ne vient donc pas se substituer au jeu mais en multiplier les perspectives. 

Cette tendance à vouloir intégrer la vidéo au théâtre a cependant suscité de vives inquiétudes comme en témoignent les propos de Jean-François Peyret, qui, il y a vingt ans, avait dit : « Mettez un comédien sur une scène ; projetez ensuite une image vidéo, le regard du spectateur sera immédiatement attiré par elle. Qu’est-ce qui le fera revenir, ce regard, au comédien ? La promesse de quelle émotion ? C’est pour moi la seule question posée désormais au théâtre ».3 C’est justement pour faire face à ces inquiétudes et au risque de domination d’un genre sur l’autre, d’un « écrasement » du jeu théâtral par le dispositif écranique, que le metteur en scène Cyril Teste a souhaité codifier rigoureusement l’usage du numérique dans le cadre de ses performances filmiques afin de s’engager dans un « contrat de confiance » avec le spectateur et lui assurer qu’il ne triche pas avec le temps. Il en a élaboré une charte en 7 points s’appliquant pour ses créations :  

1  La performance filmique est une forme théâtrale, performatice et cinématographique 

2  La performance filmique doit être tournée, montée et réalisée en temps réel sous les yeux du public 

3  La musique et le son doivent être mixés en temps réel 

4  La performance filmique peut se tourner en décors naturels ou sur un plateau de théâtre, de tournage 

5  La performance filmique doit être issue d’un texte théâtral, ou d’une adaptation libre d’un texte théâtral 

6  Les images préenregistrées ne doivent pas dépasser 5 minutes et sont uniquement utilisées pour des raisons pratiques à la performance filmique 

7  Le temps du film correspond au temps du tournage4  

Ce travail de codification s’inspire grandement du Dogme95 réalisé dans les années 1990 par trois cinéastes danois afin de réglementer la technique dans leurs films.  Il participe à une ambition plus large de (re)conceptualisation de l’univers théâtral et de ses nouvelles pratiques à travers le cas de la performance filmique.  

La performance filmique à travers la pièce Festen

© Simon Gosselin

 

La pièce Festen de Cyril Teste, s’appuyant directement sur l’histoire du film de Thomas Vinterberg, tire sa force de ce jeu avec les caméras. 

Elle reprend quasiment à l’identique l’histoire d’un repas familial qui vire au cauchemar.  Les révélations d’un fils victime d’inceste, Christian, vient faire éclater les faux-semblants d’une famille bourgeoise qui se veut être respectable. Thomas Vinterberg, explique lors du Festival de Cannes de 1998 : « Ce film est un film sur un anniversaire et pas un film sur l’inceste.  On y prend le café, le dessert, on va se coucher, tous les rituels d’un anniversaire. A côté de ça, ils parlent un peu de l’inceste. Je l’ai écrit comme ça. Bien sûr que le film qu’on voit, c’est autre chose. On y voit un tabou qui explose devant nos yeux mais en tant qu’écrivain, c’est la vie et l’anniversaire qui m’a poussé en avant au départ. Pour moi, Festen, c’est une toute petite fente vers une vie plus grande que le film lui-même ».5  

Cyril Teste joue alors de ces propos à travers la performance filmique en allant explorer ce qui se cache derrière cette « petite fente » grâce au dispositif filmique. La pièce, se présente sous la forme d’un plan séquence d’une heure et demie dans lequel le chef opérateur traverse les murs, les fenêtres et les miroirs. Elle vient en partie explorer ce qui n’es pas montré dans le film en nous introduisant dans les coulisses mais aussi au plus près des personnages à travers des gros plans. Comme il est précisé par Cyril Teste, une « double action se dessine entre celle du repas et celle de l’arrière du décor » mettant en avant cette interconnexion entre les espaces, les genres et les usages techniques. Ce retour radical à la vérité nue du cinéma s’allie aux sujets glaçants dévoilés au grand jour : abus sexuels au sein d’une grande famille accompagné d’alcoolisme, violence, racisme et mépris de classe se perpétuent grâce au mépris de chacun. 

Pour ce qui est de l’actualité de Cyril Teste et du Collectif MxM, ces derniers se font plus discrets ces derniers temps, la compagnie ayant assuré les dernières représentations de leur spectacle La Mouette une libre adaptation de la pièce d’Anton Tchekhov en 2023. Toutefois, le collectif est actuellement installé à Annecy pour répéter Sur l’autre rive, toujours d’Anton Tchekhov. La pièce qui se voudra une nouvelle fois être une performance filmique explorera les non-dits, le poids de l’héritage familial, le dispositif filmique venant appuyer les regards et émotions des personnages. Une belle occasion de découvrir l’art de ce metteur en scène et cette compagnie qui ont su conquérir la scène française et qui sont prêts à briller sur la scène internationale.  


  1. Chollet Jean, « Théâtre occidental – Le mélange des genres », Encyclopædia Universalis [en ligne], 2006
  2. Peyret Jean-François, Les écrans sur la scène, Texte, scène et vidéo (sous la dir. de Béatrice Picon-Vallin), L’âge d’homme, 1998
  3. Ibis
  4. Cf. définition « performance filmique » in [https://www.collectifmxm.com/]
  5. Vinterberg Thomas, Festival de Cannes, 1998