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JR – Déplacé.e.s

Avant-propos

De l’autre côté de l’Europe, à Stockholm plus exactement, quelle fut ma surprise de tomber sur une exposition du street artiste français JR. Déplacé.e.s est une exposition noire, blanche, grise. Déplacé.e.s récapitule l’oeuvre de JR. Déplacé.e.s c’est l’essence même de son travail. Déplacé.e.s ce sont des inconnu.e.s qui ont traversé des frontières. Ce sont des « nobody » que JR a souhaité transformer en oeuvre d’art. Déplacé.e.s c’est mettre la lumière sur un phénomène de société que nous comprenons mal, qui nous dépasse, que nous stigmatisons. Déplacé.e.s c’est le mouvement, le voyage, l’exil, la migration.

JR

Tout d’abord, JR c’est Paris. Il grandit à Belleville, étudie à Stanislas et commence son épopée artistique par le graffiti, dont il recouvre la capitale. 

Ensuite, JR c’est le monde. Il passe sa vingtaine à explorer l’Europe muni d’un appareil photo avec lequel il photographie les street artists de différents pays. C’est avec ces portraits qu’il débute le collage, technique qui devient vite sa marque de fabrique.

JR est un artiste pluridisciplinaire mais ce qu’il aime par dessus tout ce sont les gens, les histoires, les vies, les instants. Il aime les inconnu.e.s, celleux dont on ne raconte pas l’histoire. Son amour des gens l’incite à coller des portraits grands formats de jeunes de banlieue parisienne sur leurs immeubles. 

JR © capture vidéo, site web de l’artiste : jr-art.net

Un projet : Women are Heroes, Brésil

Parmi ses plus grands projets, on peut bien évidemment penser à Women Are Heroes, déployé dans de nombreux pays. Les collages de la favela Morro da Providencia de Rio de Janeiro réalisé de 2008 à 2009 m’ont personnellement marqué depuis de nombreuses années.

Providencia est la plus ancienne favela de Rio de Janeiro. En 2008, JR apprend dans la presse française que 3 jeunes originaires de Providencia ont été sauvagement assassinés. Il décide de s’y rendre sans grandes intentions étant donné la difficulté à entrer dans cet endroit, géré par des gangs liés à la drogue. Après de multiples rencontres, un photographe de Providencia lui conte l’histoire du lieu. Il finit par produire un exemple du projet qu’il a en tête et toque aux portes d’une soixantaine d’habitant.e.s afin de leur demander l’autorisation de coller sur leur maison. Frileux.euses au départ, tout le monde finit par accepter. Petit à petit, le projet prend forme, avec son lot d’imprévus. 

« Pour rendre hommage à celles qui occupent un rôle essentiel dans les sociétés, mais qui sont les principales victimes des guerres, des crimes, des viols ou des fanatismes politiques et religieux, JR a habillé l’extérieur de la favela avec ses immenses photos de visages et de regards de femmes, réunissant subitement la colline et le village dans un regard féminin » 

Ce projet a été énormément médiatisé, mettant Providencia sur le devant de la scène. Le maire a ensuite été obligé d’entreprendre des améliorations dans la favela, beaucoup de médias dénonçant la très mauvaise qualité de vie. 

JR est engagé, il se débrouille avec les « moyens du bord » pour donner vie à des projets comme celui-ci, dans des zones géographiques sous tension. Surtout, l’oeuvre plastique en elle-même paraît secondaire face aux histoires, aux anecdotes. En effet, il documente par vidéo tous ses projets, il en explique les enjeux, la mise en place, les difficultés rencontrées, la réception par les médias…

Son site internet est une véritable mine d’or permettant de comprendre l’entièreté de son travail. 

Déplacé.e.s

L’exposition se trouve au dernier étage de la maison culturelle européenne, Kulturhuset Stadsteatern, en plein centre de Stockholm. Nous sommes accueilli.e.s par une vidéo projetée sur un grand écran, dans laquelle JR explicite le projet Déplacé.e.s.

Il a puisé son inspiration dans les histoires de jeunes enfants ayant été obligé de quitter leur foyer, se trouvant donc aujourd’hui dans des camps de réfugié.e.s, loin de chez elleux. Après avoir tiré leur portrait en pied, il les a « imprimé » en très très grande taille sur du tissu. Ensuite, dans d’autres villes, sur des grandes places, des inconnu.e.s ont tendu les draps. Des photos ont ensuite été prises par drône. Tout est très très grand, très très haut. Pourtant ce sont des enfants très très petit.e.s et surtout très très inconnu.e.s, très très marginalisé.e.s, très très peu considéré.e.s dans les sociétés. C’est donc là tout l’intérêt du projet : rendre visible les invisibles, rendre connu.e.s les inconnu.e.s. Parler des histoires dont on ne parle pas ou peu. 

Une rétrospective

Déplacé.e.s c’est aussi une grande retrospective sur le travail de JR. À l’aide de vidéos, d’audios, de photos de ses différents projets, la salle puis le large couloir qui succèdent le début de l’exposition retrace le parcours du street artist. Un dispositif a été mis en place devant les écrans de vidéos, il suffit de se positionner sous une petite plaque accrochée au plafond pour entrer dans une bulle et entendre les explications de JR. Un moment à soi où, seul.e, il nous dévoile secrets et anecdotes de voyage. Ce qui est extrêmement intéressant c’est que JR documente parfaitement son travail. Vidéos, photos, textes, documents explicatifs, tout y est.

Vidéos explicatives présentes tout au long de l’exposition © Anaë Leffray

La suite de l’exposition s’ouvre sur une immense salle. C’est ici que l’on comprend à quel point le lieu est clé dans la scénographie d’une exposition. Ici, le lieu est idéal. La salle présente de larges proportions, parfaite pour accueillir deux des toiles du projet ainsi que des grands écrans vidéos qui projettent des images de la mise en place des tissus dans les différentes villes. Dans cette salle, nous comprenons explicitement le but du projet, la démarche. 

Grande salle © Anaë Leffray

Un phénomène de société vs des déplacé.e.s

La crise migratoire a dépassé en 2022 le chiffre de 100 millions. Aujourd’hui, plus de 100 millions de personnes ont été forcé.e.s de quitter leur domicile. En cause : la guerre, la crise climatique, les conditions déplorables dans lesquelles iels vivaient dans leurs pays. Ce sujet est sur-médiatisé. On en parle beaucoup, tout le temps. Il est devenu le cheval de bataille des politicien.ne.s d’extrême droite. Il est omniprésent mais le problème est là, il est traité en tant que sujet. Néanmoins, la migration ou devrait on dire les migrations ce sont des gens, des familles, des histoires. C’est ce que Déplacé.e.s veut nous rappeler. JR souhaite nous parler des migrations depuis une perspective d’enfant. Des enfants qui jouent, qui courent, qui pleurent, qui dansent. Des êtres encore innocent.e.s mais déjà forgé.e.s par leur parcours. Êtres qui portent encore un peu d’espoir. 

Déplacé.e.s, triptyque, Turin (Italie), 2023 © Anaë Leffray

Déplacé.e.s nous rappelle qu’aujourd’hui les camps de réfugié.e.s sont des lieux chargés de paradoxes. Ils permettent une organisation confortable de la société. Organisation dans laquelle on parque celleux qu’on ne préfère pas voir. Ce sont des endroits qu’il est urgent de repenser, d’humaniser, de considérer. Déplacé.e.s nous vide des préjugés dont les médias traditionnels nous gavent. 

La dernière salle est carrée, remplie d’écrans nous présentant des vues panoramiques, des moments vidéos filmés sur les différents lieux du projet. Une plongée immersive dans la beauté des paysages mais surtout dans le quotidien des déplacé.e.s. 

Salle des projecteurs © Anaë Leffray

Visuellement, cette exposition est une claque. Scénographiquement, c’est un pari admirablement réussi. La démarche est explicitée, l’immersion est totale. Les locaux portent l’exposition et permettent une déambulation libre et sans encombres. Les équipes encadrées par Camille Pajot, scénographe et directeur créatif, et Quentin Besnard, directeur artistique ont permis un travail cohérent, accessible et esthétique. 

L’ Institut Français de Suède soutient cette exposition qui est présentée jusqu’au 11 janvier 2025.