Glas – La mer et la mort en Bretagne
Je suis bretonne : il fallait bien qu’un jour j’écrive sur le pays de mes pères. Vous qui connaissez la fierté bretonne, qui savez que nous ne tenons jamais longtemps avant de dire que nous venons du bout du monde, vous devez sourire.
Ce titre, glas, a en Bretagne un double sens, et c’est de ce double sens, justement, que m’est venue l’idée de cet article. En français, le glas est la cloche qui sonne pour annoncer un décès. En breton, c’est la couleur de la mer et du ciel, oscillant entre bleu, gris et vert, un terme intraduisible que l’on retrouve dans les autres langues d’origine celtique.
Deux sens très différents, mais qui se trouvent finalement être liés en pays breton. L’un sonne souvent à cause de l’autre. Le glas de l’église, c’est la religion et la société, et la mer, c’est le décor de la Bretagne, l’ennemie et l’amie. Tous deux sont finalement, tristement, liés par la mort (en breton mer se dit d’ailleurs mor ; le mot n’est pas lié à la faucheuse, mais la coïncidence est étonnante).
Parlons donc de ma Bretagne, de sa culture, de ses croyances, de ses paysages.
Je suis bretonne : il fallait bien qu’un jour j’écrive sur le pays de mes pères. Vous qui connaissez la fierté bretonne, qui savez que nous ne tenons jamais longtemps avant de dire que nous venons du bout du monde, vous devez sourire.
Ce titre, glas, a en Bretagne un double sens, et c’est de ce double sens, justement, que m’est venue l’idée de cet article. En français, le glas est la cloche qui sonne pour annoncer un décès. En breton, c’est la couleur de la mer et du ciel, oscillant entre bleu, gris et vert, un terme intraduisible que l’on retrouve dans les autres langues d’origine celtique.
Deux sens très différents, mais qui se trouvent finalement être liés en pays breton. L’un sonne souvent à cause de l’autre. Le glas de l’église, c’est la religion et la société, et la mer, c’est le décor de la Bretagne, l’ennemie et l’amie. Tous deux sont finalement, tristement, liés par la mort (en breton mer se dit d’ailleurs mor ; le mot n’est pas lié à la faucheuse, mais la coïncidence est étonnante).
Parlons donc de ma Bretagne, de sa culture, de ses croyances, de ses paysages.
Le glas de l’eau
Ce tableau de Cottet, parfaite illustration de la côte bretonne, montre bien ce que veut dire glas quand il s’agit de l’eau. Il illustre mieux, avouons-le, le sens de ce terme que je n’ai su le faire avec des mots.
Au bout de la terre, la mer est omniprésente, rythme la vie des hommes, elle qui est à la fois une adversaire redoutable et une partenaire, la mort et la vie, la peur et la liberté.
Je ne peux m’empêcher, lorsque je la vois, de me réciter un poème de Baudelaire, L’homme et la mer.
Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !Et cependant voilà des siècles innombrables
Charles Baudelaire, L’homme et la mer
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !
Puisque nous parlons Bretagne et poésie, je vous citerai également un poète trop méconnu, sinon inconnu, Jean-Paul Kermarrec, et ses Chants parlés de la dune et du vent.
Dans les oyats de sable tendre
Jean-Paul Kermarrec, Les chants parlés de la dune et du vent
coquille et plume entortillées
chants d’alouette grise éprise
d’embruns pastels piquant de brise
les verts et bleus chardons mouillés
et sous les pluies de mi-novembre
des souches tristes
de goéland
La mer, fascinante muse
Henri Moret et Wladyslaw Ślewiński
À la Belle Époque, de nombreux artistes se rendent en Bretagne – sans doute connaissez-vous la fameuse école de Pont-Aven. Fascinés par les paysages, ils vont peindre sans relâche cette mer qui, partout dans le monde, ce privilège n’est pas réservé aux paysages bretons, inspire les artistes depuis toujours.
Il y a tant de marines bretonnes qu’il m’a été difficile de choisir comment illustrer cet article : parlons des glas d’Henri Moret et Wladyslaw Ślewiński, qui gagnent à être plus connus. Tous deux tombent amoureux de la côte bretonne, et n’en repartent jamais vraiment.
Wladyslaw Ślewiński découvre la mer lors d’un voyage en Bretagne dans les années 1900 : il s’y installe et consacre sa peinture aux paysages marins. On raconte qu’il passait des heures à errer sur la côte, fasciné par l’inconstance de l’eau et de sa couleur, par ce glas si particulier qu’il savait parfaitement rendre sur la toile.
Henri Moret découvre la Bretagne en visitant un ami, peintre lui aussi, à Doëlan (où Ślewiński avait d’ailleurs acheté une maison). Il s’installe au Pouldu et rejoint l’école de Pont-Aven. Amoureux de la mer, il la peint sans relâche, et réalise notamment de très nombreux tableaux des paysages de l’île d’Ouessant, où l’eau a cette couleur que le français ne sait nommer, et où le vent et les embruns font leur loi : cela fascine Moret.
Quotidien au pays de la mer
Les artistes ressentent l’appel du large : les hommes aussi. La société bretonne est une société de paysans, de pêcheurs et de marins, dont la vie est toujours tournée vers l’eau. Et cette dernière est souvent synonyme de mort. On vit avec la mer et on la craint. Des siècles durant, les naufrages furent fréquents, la pêche dangereuse. Souvent, le glas des églises sonne la mort d’un marin – d’un père, d’un mari. Veuvage et deuil furent longtemps monnaie courante.
Ślewiński comme Moret représentent la vie quotidienne des Bretons (le premier réalise même, à la fin de sa vie, un autoportrait coiffé d’un chapeau de paysan breton). Paysans promenant leur troupeau ou s’occupant des champs au bord d’une falaise, goémonières, pêcheurs, marins, quel que soit le métier qu’ils exercent, la vie se passe au bord de la mer, au rythme des marées.
Le glas qui sonne
La Bretagne est une terre historiquement profondément catholique. Lorsque sont peints ces tableaux qui illustrent mon article, on se rend encore à la messe tous les dimanches, on prie pour les marins et les siens. Le glas qui sonne, c’est à la fois le son de la mort et celui de la religion : penchons-nous donc sur les croyances bretonnes et leur rapport à la mort.
Légendes et catholicisme breton
La Bretagne est depuis le IXe siècle une terre très catholique, mais d’un catholicisme très particulier, mêlé aux légendes locales, héritées de la culture celtique. Une très grande part des légendes, et c’est chose triste me direz-vous, est tournée autour de la mort. Si cela vous intéresse, je vous conseillerais de lire La légende de la mort d’Anatole Le Bras, recueil de légendes bretonnes.
La mer y joue également, et toujours, un grand rôle. Prenons deux légendes qui l’illustrent bien : le Bag-Noz et le miracle de Saint-Houardon.
Comme beaucoup de saints évangélisateurs bretons, Houardon vient d’Irlande. Les légendes veulent que ces Saints aient traversés la mer sur un bateau de granit, poussés par les anges. Dans ce tableau de Yan’ Dargent, vous retrouvez le glas de l’eau. Il est vêtu à la celte, ce qui illustre bien la dualité des croyances bretonnes, entre héritage celtique et héritage catholique.
Pour ce qui est du Bag-Noz, littéralement « bateau de nuit », il est le pendant marin de l’Ankou (la faucheuse bretonne). Sorte de bateau fantôme, il recueille les marins morts naufragés, pour les emmener vers le Paradis. Il passe au large des côtes, la nuit, afin que ces derniers puissent voir une dernière fois leur pays et leurs veuves et orphelins, avant de rejoindre le royaume céleste. Là encore, c’est un bel héritage celte, ces derniers croyaient qu’un navire emmenait les défunts vers le Sidh, dernier royaume où la vie était éternelle.
Autre légende illustrant bien le lien entre l’eau et la mort, les Kannerez noz, lavandières de nuit. En marchant la nuit, vous passerez peut-être devant un groupe de femmes lavant du linge, dans un lavoir ou dans la mer. Elles vous demanderont de l’aide. Si vous acceptez, vous mourrez de suite, si vous refusez, dans l’année : c’est votre linceul qu’elles lavent.
On croit en Bretagne que le Purgatoire est sur Terre. Un marin trépassé doit revoir le pays afin de reposer en paix ; l’Ankou, personnification de la mort, vient sur sa charrette chercher les défunts. Dieu est omniprésent, mais il travaille avec les légendes, comme le fait le Diable qui fait danser les korrigans et chanter les créatures fantastiques qui peuplent la nuit.
Les âmes des morts, les anaons, errent sur la côte, et il est bien dangereux de les croiser : ce serait croiser la Mort. Yan’ Dargent les représentent dans le tableau ci-dessous : en guise de décor, le glas de l’eau.
Le glas de l’église : quand la mer et la religion se croisent
Longtemps, puisque peuple de marins, la Bretagne est une terre de veuves et d’orphelins. Quand un enfant du pays part en mer, on ne sait jamais s’il reviendra. Le glas de l’eau fait sonner le glas sur la terre.
On érige donc calvaires et chapelles sur la côte, pour aller y prier pour ceux partis en mer. On organise également des pardons, grandes processions religieuses, qui souvent rallient le bourg à une de ces chapelles côtières.
Le quotidien est régi par ces légendes et cette religion catholique, rythmé par le son du glas et celui de l’eau.
Artistes et écrivains se sont passionnés pour cette mer et ces hommes, lutteurs éternels, frères implacables. J’espère avoir réussi à vous transmettre un peu de ma fascination pour cette terre et cette mer.