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Monde Contemporain

L’hôpital : un nouvel espace pour l’exercice d’une politique culturelle ?

L’accès à la culture et à la création artistique est un catalyseur de guérison, en témoignent de récents rapports internationaux de l’OCDE et de l’OMS. L’art influence positivement la santé tant individuelle que collective – en d’autres mots, il aide à mieux vivre et à mieux se soigner.

Des concepts tels que l’« art-thérapie » ou les « prescriptions artistiques » fleurissent actuellement dans le domaine du soin. Ils permettent de dépasser une vision purement médicale de celui-ci et l’ouvrent à des horizons plus larges, créant ainsi ce qui s’apparente à une double sphère culture-santé.

Les initiatives artistiques réalisées en hôpital amènent alors à repenser le lieu, non plus comme un espace de souffrance, mais comme synonyme de vie et de liberté. Toutefois, au-delà d’une série d’actions artistiques éparses en milieu hospitalier, peut-on parler de politique culturelle structurée et structurante à l’hôpital ? Zoom sur la culture comme politique publique, prenant corps dans la réalisation d’une nouvelle architecture hospitalière. 

Quand la culture s’invite à l’hôpital : bref historique d’une politique interministérielle

C’est sous l’impulsion de Jack Lang, alors ministre de la Culture, et Jack Ralite, ministre de la Santé, que les relations entre hôpital et culture s’institutionnalisent en 1985. Il faudra néanmoins attendre 1999 pour qu’une convention entre ces deux ministères soit signée, établissant la volonté commune de favoriser le développement d‘activités culturelles et artistiques dans les hôpitaux. Nait de cette convention le programme national « Culture à l’hôpital », dont l’objectif est d’inciter acteurs culturels et directeurs d’établissement de santé à construire ensemble une politique culturelle, inscrite dans le projet d’établissement de chaque hôpital et adaptée à ses besoins. 

En 2010, Frédéric Mitterrand, alors ministre de la Culture et de la Communication sous le gouvernement François Fillon ; et Roselyne Bachelot, ministre de la Santé et des Sports, signent une nouvelle convention « Culture-santé » afin de réaffirmer la pérennisation d’une politique d’animation culturelle et artistique en milieu hospitalier et instaurer un élargissement de la politique aux établissements médico-sociaux.

La promotion et le financement des actions culturelles dans les hôpitaux sont portés par les collectivités territoriales, les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), mais aussi les agences régionales de santé (ARS), ces dernières étant chargées de l’inscription des projets culturels dans les schémas régionaux d’organisation sanitaire (SROS). Actuellement, plus de 200 jumelages entre établissements hospitaliers et culturels sont financés, et plus de 400 projets sont portés en lien avec des compagnies artistiques.

Une multiplication des partenariats entre institutions culturelles, artistes et unités de soins

Nous avons voulu resserrer les liens entre santé et culture, soutenir les soignants tout en défendant l’idée d’un véritable théâtre public » explique Emmanuel Demarcy-Mota. (1) 

Le déploiement de partenariats avec des institutions culturelles et des artistes de la part d’un nombre de plus en plus important d’hôpitaux témoigne de cette logique d’ouverture du milieu hospitalier encouragée par les pouvoirs publics. Les projets de résidence d’artistes et d’écrivains, financés par le ministère de la Culture et les collectivités, se développent de plus en plus. Le travail, quand il se fait avec les patients et s’inscrit dans un projet de création, est valorisé dans le cadre d’appels à projets.

La réciproque est vraie, et de grands lieux culturels, tels que le Théâtre de la Ville, font également le pari de s’engager en milieu hospitalier. L’établissement parisien de renom, sous la direction d’Emmanuelle De Marcy Mota, se montre exemplaire en la matière. Son programme « Académie Art et Santé » notamment, permet des dialogues croisés entre étudiants en médecine, médecins, chercheurs et artistes autour de thématiques communes. Le théâtre a également monté « La Troupe de l’Imaginaire » qui mobilise plus de 150 comédiens, danseurs, musiciens, auteurs, mais aussi médecins. Cette initiative prend la forme de consultations adaptées selon les pathologies de chaque patient, dispensées de manière hebdomadaire et tous services confondus, dans les locaux de l’AP-HP (2).

A titre d’exemple, le théâtre a développé une expérience pilote de consultations poétiques, musicales et dansées à l’Hôpital Charles-Foix à Ivry-sur-Seine, en collaboration avec la professeure Amina Lahlou. Ces interventions se font au chevet des patients ou dans les espaces de vie de l’hôpital. Ces actions artistiques sont également source de lien avec les soignants impliqués lors des interventions. Le Théâtre de la Ville est toutefois loin d’être la seule institution à travailler en milieu hospitalier. D’autres établissements parisiens comme le Louvre, la BnF, la Cité des Sciences ou encore la Philharmonie de Paris se sont engagés auprès de l’AP-HP et coconstruisent des projets et actions en milieu hospitalier, mais aussi in situ. 

En se décentrant de la région parisienne, le projet innovant du professeur Philippe Courtet, chef des urgences psychiatriques du CHU de Montpellier, intitulé « L’Art sur ordonnance » témoigne de cette envie de considérer l’art comme thérapie. Le dispositif, créé et porté en 2022, est destiné aux personnes ayant vécu une crise dépressive, parfois suicidaire, secourues par les services d’urgences montpelliérains mais non hospitalisées. Il a récemment été élargi aux membres de l’association France dépression. Ses bénéficiaires se voient donc prescrire un programme complet au sein des deux centres d’art du Montpellier Contemporain, mêlant rencontres avec des artistes, visites des expositions et ateliers de pratiques artistiques conçus par des artistes invités. Ils sont accompagnés durant toute la durée du programme par l’équipe soignante  du centre hospitalier. 

La structuration d’une équipe culturelle hospitalière

En parallèle des projets artistiques et culturels qui se développent à destination de la sphère médico-sociale, c’est tout un nouveau pan du secteur culturel qui émerge et se structure à l’hôpital pour accueillir au mieux ces projets.

De nouvelles unités apparaissent, comme cela peut-être le cas à l’AP-HP avec la création d’un service Culture et mieux-être. Ce sont aussi des professions, comme celle de responsable culturel en milieu hospitalier, qui voient le jour grâce à la Convention de 1999.  Plus récemment, une formation diplômante pour les soignants a été créée à l’université Claude Bernard- Lyon 1 à destination des professionnels du soin : le diplôme universitaire « Prescriptions culturelles : arts et santé ». 

Cette configuration laisserait à penser à une véritable structuration des hôpitaux autour de ce qui pourrait être une politique culturelle. Toutefois, il ne serait correct de parler de politique culturelle propre à l’hôpital que si une stratégie pluriannuelle composée d’objectifs et de moyens était instaurée, ce qui n’est pas encore le cas. C’est ce que précise Barnabé Louche, Directeur du Mécénat et de la Culture de l’AP-HP à l’occasion d’une interview pour France Culture sur l’art à l’hôpital depuis l’arrivée du Covid (3).

La culture, grande sauveuse ou pansement social des hôpitaux en crise ? 

A l’heure où l’hôpital est en souffrance, pâtissant d’un manque cruel de moyens et de personnel, réfléchir en termes de politique culturelle hospitalière peut paraître illusoire, d’autant que de nombreuses structures hospitalières ne sont pas en mesure de s’engager dans de telles démarches. Si l’AP-HP est en capacité de structurer une équipe responsable de la vie culturelle du centre, qu’en est-il de l’hôpital d’une ville moyenne qui se voit contraint de fermer des services faute de personnel soignant ?  

Bien que les projets culturels soient financés par l’ARS, les DRAC ou encore les collectivités territoriales avec des lignes budgétaires spécifiquement dédiées, une dichotomie entre les grands centres hospitaliers, souvent présents en métropoles, et les plus petits sur le reste du territoire se fait ressentir. Ces derniers peuvent beaucoup plus difficilement s’engager dans une politique culturelle et artistique, même de manière très ponctuelle.  

Pour autant, au-delà d’un idéal parfois chimérique, faire résonner droit du patient à la santé et droit du citoyen à la culture est porteur de sens et permet de faire de l’hôpital un espace de rencontres, d’échanges, d’émulation – tant artistique, qu’intellectuelle et émotionnelle – pleinement enraciné dans la vie citoyenne. (Re)donner aux hôpitaux une place forte dans la vie de la cité en lien avec les acteurs du territoire relève de l’idéal démocratique, et semble nécessiter une réforme systémique du système hospitalier. 


  1. Propos d’Emmanuel Demarcy-Mota lors de l’interview « Culture et santé, l’art à l’hôpital, ce que le Covid a changé » pour France Culture – 2023
  2. Assistance Publique des Hôpitaux de Paris
  3. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/soft-power/culture-et-sante-l-art-a-l-hopital-ce-que-le-covid-a-change-1425128