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Connemara de Nicolas Mathieu

Cinq ans après le sacre par l’Académie Goncourt, l’auteur vosgien Nicolas Mathieu renoue avec ses racines par son roman reprenant le titre de la célèbre chanson populaire de Michel Sardou.

Une histoire d’amour sur fond d’ascension sociale

Comme par le passé, Nicolas Mathieu fait de l’opposition entre un personnage masculin et féminin un dénominateur commun de ses histoires. Il nous les présente à un moment précis de leur existence, au sein d’une intrigue qui se révèle finalement secondaire.

Sans qu’ils ne se rencontrent immédiatement, le regard de l’auteur passe d’un côté sur Hélène, une lycéenne sérieuse, ambitieuse mais un peu taciturne ; et de l’autre sur Christophe, un jeune homme séduisant, sportif et joueur de hockey pour le club d’Épinal. Puis leurs chemins se recroisent, vingt ans plus tard. Cette fois-ci, nos deux protagonistes se rencontrent réellement et entament une relation. Christophe, désormais en fin de carrière de hockeyeur, travaille en tant que représentant dans le secteur de la nourriture pour chiens. Il est resté fidèle à sa région natale, et élève son fils Gabriel en alternance. De son côté, Hélène a tout quitté pour explorer le monde. Elle établit sa résidence près de Nancy, dans une maison d’architecte aux côtés de son mari Philippe, cadre supérieur souvent absent, et de leurs deux filles. Malgré son emploi dans une entreprise prospère de conseil en gestion des ressources humaines et les perspectives prometteuses qui s’offrent à elle, Hélène est déçue tant par sa vie professionnelle que personnelle. La vie de ces deux personnages nous est présentée par un va-et-vient lancinant entre les époques.

Des parcours de vie ancrés dans la France « profonde » : le thème de prédilection de Nicolas Mathieu

Les lecteurs de son roman Goncourisé (Leurs enfants après-eux) qui entament Connemara se posent tous la même question à la lecture des premières pages de ce dernier : Nicolas Mathieu s’est-il réinventé ? La réponse est négative. Dans Connemara, tout comme dans Leurs enfants après eux, on explore la vie des deux personnages en remontant aux origines familiales, à l’enfance et à l’adolescence. Comme toujours, c’est là que réside la force de Nicolas Mathieu : dépeindre l’adolescence, cette période intermédiaire qui semble s’étirer lorsque nous y sommes plongés, mais que nous regrettons dès que nous en sortons.

Comme dans sa première œuvre récompensée, son histoire prend place dans cette France « profonde » ou « périphérique », victime des changements industriels et de l’évolution du monde. En portant toute son attention sur les parcours de vie des deux quadragénaires lorrains, il adopte une approche encore plus sociologique. L’un s’est enraciné sur son lieu de naissance, ce petit univers où chacun se connait et où les destins semblent figés d’avance ; et l’autre l’a quitté pour Paris, où elle a gravi les échelons sociaux.

Hélène, en particulier, est un personnage fascinant. Elle incarne l’ascension sociale, dans laquelle son adolescence et son parcours scolaire dans le secondaire jouent un rôle crucial. Mathieu ne manque pas de souligner l’importance de l’éducation, de la mixité sociale qui dépasse le simple symbole d’une politique publique, et du savoir comme libérateur ouvrant les portes à toutes les possibilités, même intellectuelles. Mais tout ceci retombe comme un soufflé lorsqu’elle se rend compte de sa posture de transfuge de classe, à la manière d’Annie Ernaux.

Plus de place consacrée par la critique politique

On peut néanmoins apprécier la nouveauté dans la plume de Nicolas Mathieu, de plus en plus acerbe contre la société néolibérale. A travers le quotidien de consultante d’Hélène, il met en lumière l’un de ses aspects les plus intrusifs : les cabinets de conseil. Il souligne aussi la réforme des régions de 2015 abordée par le cabinet, et dénonce la volonté d’efficacité et de rationalisation à outrance.

Toutefois, l’auteur n’explore pas assez profondément cette dimension politique et se contente de jeter quelques pistes, ce qui peut être frustrant. La longueur du roman explique ce choix : s’il avait voulu faire une fresque socio-politique façon Les raisins de la colère, il aurait fallu à Nicolas Mathieu augmenter drastiquement la longueur de son histoire.

En bref, Connemara, tout en oscillant entre le roman d’amour et le roman politique, conserve la signature distinctive de Mathieu : une anthropologie de la Lorraine et une exploration de la jeunesse, dont il ne semble jamais se lasser, et tant mieux !

Mathieu SALAMI