Discover the Pre-Raphaelite Brotherhood
Le préraphaélisme est un mouvement artistique britannique qui s’épanouit dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Bien connu en Angleterre où il passe rapidement outre les réticences pour s’imposer comme style national, il l’est moins en France où très peu d’œuvres sont conservées.
La confédération préraphaélite (Pre-Raphaelite Brotherhood, PRB) est créée en septembre 1848 par trois jeunes artistes élèves de la Royal Academy : John Everett Millais, Dante Gabriel Rossetti, William Holman Hunt. Ils s’opposent au manque d’idéal de l’ère industrielle, matérialiste et artificielle, ainsi qu’à la sclérose créative issue des conventions académiques victoriennes partagées avec le continent : apprentissage par la copie d’antiques, valorisation de la peinture d’histoire comme genre le plus élevé, références à émuler post-Raphaël.
Leur démarche est explicitée dans leur revue (The Germ) et ultérieurement résumée par William Michael Rossetti (frère de Dante Gabriel) dans The PRB Journal (1895). La règle d’or est d’ « avoir des idées véritables et sincères à exprimer » ; les artistes puisent ces valeurs authentiques dans de nouvelles références non-canoniques (les « Immortels ») visibles dans Isabella de Millais, la première toile du mouvement exposée en 1849 à la Royal Academy. L’artiste propose un manifeste préraphaélite ; la signature « PRB » au sens encore inconnu intrigue les critiques, le renouvellement esthétique interpelle le public. Millais rejette le maniérisme et la tradition de l’école britannique s’inscrivant dans le sillage d’Antoon van Dyck. Il y substitue la référence aux artistes ayant précédé Raphaël, notamment les primitifs italiens du XVIe siècle pour les couleurs acidulées et la position du couple Lorenzo/Isabelle (à droite) qui est inspirée du retable de San Benedetto par Lorenzo Monaco, entré à la National Gallery en 1848.
La Renaissance italienne n’est pas en reste : la découpe stricte des visages rappelle les profils de médaille de Pisanello, quand les vêtements des frères d’Isabelle (à gauche) semblent tout droit sortir d’un des nombreux tableaux de Botticelli représentant un jeune homme à couvre-chef rouge. Enfin, les détails profus et le traitement sobre de la matière sont à comparer à la minutie léchée de Jan Van Eyck, un primitif flamand du XVe siècle. Le préraphaélisme présente ainsi toutes les caractéristiques définissant les avant-gardes de la fin du siècle : une position en rupture avec la tradition artistique qui crée un coup d’éclat médiatisé lors de la première exposition publique des œuvres, un manifeste (bien que postérieur aux œuvres) et un organe de presse diffusant les principes du mouvement.
Les artistes s’émancipent également des références traditionnelles de la peinture d’histoire (antiquité, mythologie…). Ils puisent notamment leurs sujets dans l’histoire anglaise (Elizabeth Sidall, Lady Clare, v.1857, coll.part.), les nombreuses réécritures de la légende arthurienne comme celle d’Alfred Tennyson (J.W.Waterhouse, The Lady of Shalott, 1888, London Tate) et les œuvres des écrivains anglais à l’instar de lord Byron ou Shakespeare (J.E. Millais, Ophelia, 1852, London Tate). Ces sources ont en commun un anglicisme exacerbé qui participe au succès du mouvement, dans un contexte de construction des identités nationales. D’autres peintres s’orientent vers des productions au traitement décoratif et à la portée plus onirique et suggestive comme Edward Burne Jones (The Golden Stairs, 1880, London Tate).
Enfin, les préraphaélites ont l’ambition de renouveler la peinture religieuse en créant des paraboles modernes revêtant l’apparence de la réalité comme W.H. Hunt dans The Awakening Conscience, le pendant séculier de The Light of the World (1853, Oxford Keble College). La composition présente une jeune femme entretenue par son riche amant ; en regardant le jardin au travers de la fenêtre, elle prend conscience de la nécessité de vivre plus vertueusement. L’œuvre possède une portée morale en accord avec l’idéal de bienséance victorien : la nature, expression de la perfection divine, conduit à la révélation mystique et au rachat des péchés de cette Marie-Madeleine moderne. Cette dernière vit dans une maison cossue meublée à la dernière mode du XIXe ; l’intérieur minutieusement décrit facilite le processus de projection du public qui s’identifie à cette dévoyée sur le chemin de la repentance. L’art, didactique, a donc un rôle social chez les préraphaélites. À la fois pour compléter et complexifier le propos central, les artistes font appel à une narrativité symbolique : chaque élément de la composition exprime une idée que le spectateur doit déchiffrer. Par exemple, la situation de la jeune femme fait écho au jeu cruel du chat avec l’oiseau se déroulant sous le guéridon à gauche, tandis que le fil emmêlé à l’avant-plan évoque le piège dans lequel elle s’est empêtrée.
La peinture n’est cependant pas le seul moyen d’expression du mouvement. Julia Margareth Cameron s’empare de l’esthétique préraphaélite mêlant mysticisme, tendresse et sensualité pour créer des compositions photographiques évoquant l’onirisme du monde arthurien grâce aux moyens propres au media (variation du temps de pose, intervention sur le négatif…). Enfin, la seconde génération (1860 – 1880), E.B. Jones et William Morris en tête, assure la postérité du mouvement dans le domaine des arts décoratifs ; il ne s’agit que de l’aboutissement de l’intérêt pour la ligne et la couleur qui se manifestait déjà chez Rossetti. Le goût pour les compositions végétales aux courbes-contrecourbes stylisées survit par la suite dans les œuvres Arts & Crafts, avant d’être transmis aux artistes de l’Art Nouveau qui le propagent dans toute l’Europe au tournant du siècle.