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Hounds of Love : Kate Bush adoubée poétesse

Avant toute chose, je vous recommande chaudement de prêter attention à l’article de JR13115 qui vous offre une présentation détaillée de la création de Hounds of Love ! Revenez donc après cela ! 

Il n’est pas controversé de dire que la musique fait partie du quotidien. Que ce soit dans les supermarchés, dans les transports, pour accompagner un repas, elle agit parfois comme un ornement sonore auquel on prête l’oreille passivement. Toutefois, il arrive qu’une chanson, par un hasard quasi prophétique, pénètre notre espace et crée un lien indéfectible. On se retrouve alors à vouloir mieux la comprendre, on cherche à savoir ce qui l’entoure, ce qui la compose, on lit et relit ses paroles pour finalement dire à ses proches «C’est de la poésie ». 

Cependant, une chanson ou un album peuvent-ils être qualifiés ainsi? 

La poésie dispose d’un rôle ambigu dans la littérature. D’abord clamée lors des grandes épopées homériques et toujours accompagnée de musique au cours du moyen âge, elle semble moins grandiloquente depuis qu’on l’associe à l’encre muette des recueils où elle se trouve. Cette évolution nous fait établir une distinction entre le monde des lettres et celui de la musique, domaines pourtant si proches. Il semble donc possible de dire que la poésie se trouve à la jonction entre ces arts puisqu’elle allie l’esthétique des mots à la recherche du rythme. Ainsi nous pouvons reconsidérer la place des auteurs-chanteurs-compositeurs dans le monde de la littérature puisqu’ils ne semblent guère se distinguer des poètes.

Mais alors, quelle oeuvre pourrions-nous citer pour illustrer ce constat ? 

Cela n’a rien d’impartial, cela n’a rien d’exhaustif, mais Hounds of Love de Kate Bush, sorti en 1985 semble disposer d’une nature littéraire et poétique indéniable et ce sur plusieurs niveaux. 

Avant de s’atteler à cet album, Kate Bush a déjà fait référence à la littérature dans son oeuvre; que ce soit par l’évocation du genre épistolaire dans « Babooshka » ou par la citation claire de classiques comme Wuthering Heights d’Emily Brontë (dont elle a avoué en interview s’être plutôt inspirée de l’adaptation téléfilmique pour l’écriture des paroles). L’artiste n’hésite donc pas à emprunter aux lettres afin de développer son univers et Hounds of Love n’échappe pas à cela. « Cloudbusting » est inspiré de la biographie du psychanalyste Wilhelm Reich, A Book of Dreams, rédigée par son fils Peter Reich, où Kate Bush prend la voix de cet enfant qui voit son père lui être arraché à cause de ses recherches visant à maitriser la météo. La seconde partie de l’album, The Ninth Wave se réfère quant à elle au poème du britannique Alfred Tennyson « The Coming of Arthur ». Sans pour autant parler explicitement des légendes arthuriennes, Kate Bush convoque un imaginaire similaire créant une atmosphère proche d’un égarement en pleine forêt de Brocéliande.

Les thèmes abordés par Kate Bush sont alors étroitement liés à la tradition littéraire anglophone et sa proximité avec la figure de la sorcière est là pour en témoigner. Qu’elle en conte le récit avec Ninth Wave ou qu’elle centre son écriture sur sa proximité avec la nature, il n’est pas difficile d’imaginer, dans un anachronisme poussé, que les textes de

l’artiste auraient pu inspirer les peintres préraphaélites, friands de figures féminines bibliques, mythologiques ou appartenant au moyen âge. Ainsi, que ce soit dans « Under the Ice » où une femme se retrouve prise au piège des eaux ou sur la pochette de l’album en elle-même, il ne serait pas déplacé de visualiser l’Ophélie de John Everett Millais, elle-même tirée du Hamlet de Shakespeare.

Ophélie, John Everett Millais, 1851-1852
Pochette de l’album ©Hounds of Love (1985) Kate Bush, photo de John Carder Bush

De plus, il semble aussi important d’évoquer la structure de l’album qui vient contribuer à ce caractère littéraire. Bien que la première partie dispose de cinq titres indépendants les uns des autres, ils se retrouvent autour de la thématique de l’amour déclinée par les personnages qu’incarne Kate Bush. L’artiste appuie ainsi ses métaphores par la métamorphose. Sa voix a beau être caractéristique, les paroles lui permettent de se mouvoir tour à tour en femme ou en enfant et ainsi explorer une pluralités de point de vues. La seconde partie, The Ninth Wave, est pensée comme un ensemble de sept titres s’inscrivant dans la lignée des albums-concept expérimentaux démocratisés par le rock progressif, chose qui se retrouve dans un recueil de poésie ou par le biais des chapitres d’un roman. 

Ainsi, Kate Bush prouve que Hounds of Love dispose des atouts d’une oeuvre poétique. L’artiste ne fait pas uniquement cela dans le but de développer le concept de son album mais aussi parce que sa personnalité semble proche de celle de la figure du poète. Ayant fait le choix de s’isoler dans la campagne pour l’enregistrement de cet album, elle suit une démarche proche de celle de ses prédécesseurs antiques, médiévaux et romantiques qui trouvaient la beauté au contact d’une nature qu’ils replaçaient au centre de leur oeuvre.