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La virilité, cette chimère à détruire

Dans son ouvrage Le mythe de la virilité (2020, éd. Agora), l’essayiste et philosophe française Olivia Gazalé (professeure de philosophie à l’IEP de Paris, co-fondatrice des Mardis de la philo) défend une thèse qui ne laisse pas indifférent : la virilité n’existe pas, elle n’est qu’un mythe qui avilie la femme tout autant que l’homme d’ailleurs (l’ouvrage est sous-titré « Un piège pour les deux sexes »).

Tout part d’un constat assez simple en apparence : l’homme et la femme semblent, de prime abord, avoir des comportements bien différents, opposés et donc complémentaires. Il n’y a pour s’en convaincre qu’à regarder ce qu’on donne aux enfants : les livres présentent toujours l’homme et la femme de manière opposée, le papa étant souvent représenté en chemise blanche et cravate, ayant très peu de temps à accorder à l’enfant, tandis que la mère est douce, attentive et bienveillante. Ainsi, j’ai fait une expérience simple : j’ai cherché sur une banque d’images libres de droit « cadeau papa ». J’ai trouvé des images de cravate, de pipes, de moustaches, de chemises (cf. : image 1). Bref, les attributs du papa travailleur, arborant une pilosité faciale et les codes de la virilité.

A l’inverse, en cherchant « cadeau maman », je suis tombé sur des petites roses rouges formant des cœurs (cf. : image 2). Des images douces et tendres qui évoquent la féminité. Pourtant, rien n’est plus faux selon l’autrice : la distinction qu’on croit naturelle entre les deux sexes n’est que culturelle et socialement acquise. Mais plus encore que de soumettre la femme, la virilité est aussi un outil d’asservissement pour l’homme lui-même, qui se voit contraint à un certain nombre de comportements dits « virils ».

Pour ce faire, il faut bien comprendre la distinction entre masculinité et virilité. La masculinité n’est rien d’autre que le fait d’être un homme, c’est-à-dire être du sexe masculin, ce qui peut s’entendre en une multitude de formes : les masculinités sont plurielles car il existe autant de masculinités qu’il n’existe d’hommes, tout autant qu’il existe autant de féminités qu’il n’existe de femmes. A l’inverse, la virilité est un attribut social, un ensemble de normes et de valeurs qui ont été progressivement attribuées à l’homme. C’est à partir de ces modèles de virilité qu’on identifie la masculinité : il faut que l’homme, pour en être un, soit fort, musclé, indépendant, etc. Bref, ce sont là toutes les images d’épinal qu’on a du masculin, et qui ne sont, in fine, qu’un nuage sans fondements légitimes.

Les masculinités sont plurielles car il existe autant de masculinités qu’il n’existe d’hommes.

Il est assez admis maintenant – et fort heureusement – que ce modèle de virilité assujettit la femme : l’homme doit soumettre la femme, car c’est ainsi que s’exprime sa virilité. En revanche, la thèse d’Olivia Gazalé est ici plus originale : la virilité est aussi un carcan pour l’homme, car celui-ci est condamné à devoir y rester enfermé.

 » Etre un homme, c’est donc, d’abord, ne pas être une femme. Mais ce n’est pas tout : être un homme, c’est aussi – de façon beaucoup plus problématique – ne pas être un « efféminé ». Ce qui signifie que le système viriarcal n’a pas seulement ordonné les rapports de domination entre les sexes (homme/femme) mais également les rapports de domination entre les mâles eux-mêmes (homme viril/homme efféminé).

L’homme n’est homme que s’il arbore les attributs triomphants de la virilité, s’il possède les qualités de force et de puissance qui l’authentifient et le confirment comme tel. « Sois un homme ! » n’est pas tant une invitation à se conformer au devoir de virilité qu’à rejeter passionnément l’effémination. Les « femmelettes », les « tapettes », les « gonzesses » ne sont pas des hommes.  » (pp. 21 et 22)

Voilà donc ce qu’est le viriarcat : la domination de la virilité, qui assujettit femmes et hommes (et non pas le patriarcat, qui ne représente que la domination du père). Nous étions autrefois dans la question de l’asservissement volontaire par rapport aux maîtres : comment se peut-il que l’Homme veuille rester esclave d’un maître, pire encore, qu’il se donne lui-même comme esclave, se demandait La Boétie (E. de La Boétie, Discours de la servitude volontaire, 1576). Désormais, la question demeure mais sous une autre forme : comment se peut-il que nous voulions demeurer esclave d’un modèle viril qui assujettit la moitié de la population et qui impose à l’autre moitié des comportements stéréotypés ?

Si cette thèse allume des incendies (les contradicteurs s’insurgeront sans doute « voilà la mort des hommes ! »), il a aussi le mérite de circonscrire le feu. Non, le rejet du viriarcat n’est pas la mort de l’homme. Tout au contraire, même. Ce que propose Olivia Gazalé, c’est de rendre l’homme libre d’être ce qu’il est : d’exister en tant que lui-même, selon sa propre masculinité, et non de devoir sans cesse correspondre à un modèle établi.

Heureusement, l’espoir est là. Car la virilité est un mythe et comme tout mythe, il est voué à disparaître. Les Grecs croyaient aux mythes de Zeus et des Olympiens, les Romains croyaient aux mythes des Parques et des Lares, nos contemporains croient à celui de la virilité. Viendra un temps où le viriarcat sera dans les cartons de l’histoire, et prendra sa place au titre des croyances infondées. En attendant cette révolution, il nous reste donc à lire cet essai d’Olivia Gazalé, fort bien écrit et superbement étayé, qui trouvera sa place dans votre bibliothèque aux côtés du Deuxième sexe et de tant d’autres ouvrages nécessaires à l’avancement de notre société.