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La gratuité de la culture, un modèle français

L’institutionnalisation de la culture demeure, à l’échelle de l’Histoire, une préoccupation très récente. Elle se matérialise en France dans le sillage de la mise en place de la Cinquième République, avec la création du ministère des « affaires culturelles » en 1959, dont le premier ministre sera André Malraux. Le sujet, l’un des rares à mettre d’accord la quasi-totalité de l’échiquier politique, est souvent brandi comme fer de lance de « l’exception française », dans un pays riche de culture et qui s’attache à la diffuser autant que faire se peut. Cette volonté forte de rendre la culture quasi-gratuite est-elle justifiée ? Et est-elle efficiente ?

Un réseau culturel très élargi

La loi de finances pour 2023 met à la disposition du ministère de la culture quelques 4,2 milliards d’euros de budget, soit une augmentation de 7% par rapport à 2022. Le budget total se portera lui à 11 milliards d’euros, notamment grâce à la perception de la taxe sur l’audiovisuel public (la fameuse taxe de 2% notamment imposée à des plateformes comme Netflix pour financer le projet du Pass Culture). Ce Pass Culture, en passe d’être élargi, constitue l’une des politiques publiques en faveur de l’accès à la culture les plus marquantes, avec deux millions de bénéficiaires et un réseau de 14 000 partenaires.

Cette initiative étatique a eu son rôle à jouer dans la relance économique du secteur culturel, avec par exemple le cinéma qui, en 2022, a vu se vendre 2,5 millions de places avec le Pass. Au-delà du pouvoir central qui possède logiquement le plus gros budget national, la culture est également l’une des préoccupations des collectivités territoriales. La région des Pays de la Loire a par exemple mis en place le E-pass jeunes, un outil sur le même principe que le Pass Culture. L’accès aux musées est un exemple probant de politique culturelle à peu près uniforme sur le territoire national. Les musées sont gratuits les premiers dimanches du mois, et proposent des paliers de gratuité, fonctionnant souvent par tranche d’âge, avec par exemple l’accès complètement gratuit aux principaux musées parisiens pour les moins de vingt-cinq ans (d’autres musées pouvant être à prix dérisoires).

De plus, des dispositifs législatifs prometteurs en la matière sont toujours en place comme par exemple la loi Lang de 1981 fixant un prix unique et national sur les livres. À ce titre la France peut compter sur un très large réseau de librairies (15 000 en 2020, plus large réseau d’Europe) et de médiathèques, ces dernières étant souvent gérées publiquement et proposant donc un service non-payant ou peu coûteux. En termes de budget national, celui de la culture est nécessaire puisqu’il permet d’accompagner économiquement un secteur qui ne peut compter que sur son affluence. Dans ce contexte économique porteur d’enjeux qui a tant pâti de la pandémie de 2020, le secteur de la culture nécessitait un tel investissement.

La nécessité d’uniformiser l’accès à la culture pour rendre sa gratuité plus efficiente

Toutefois, comme le sociologue français Pierre Bourdieu prédisait dans sa théorie de l’habitus, la gratuité de la culture se heurte à des difficultés qui l’empêchent d’atteindre ses buts de cohésion sociale, de redistribution et d’égalité d’accès. Par le concept d’habitus, Bourdieu vise à penser le lien entre la socialisation des individus et leurs actions. Car les individus, ancrés dans leur mode de pensée, hérité de leur socialisation, s’interdisent souvent de s’exposer à certaines formes de culture, qu’ils ne se sentent pas légitimes à côtoyer.

Ainsi donc, au-delà des moyens mis en place pour l’accès à la culture aux populations moins aisées, il faut aussi améliorer l’information autour de ces moyens et les dispositifs d’accompagnement et de socialisation à la culture. L’école est pour cela un bon moyen mais elle ne touche pas les adultes. L’enjeu d’information demeure ici : le non-habitué va percevoir différemment la gratuité de l’habitué. Le premier aura une perception collective et la gratuité va être moins notable puisqu’on aura un sentiment de banalisation ou on regrettera l’influence trop élevée des lieux culturels. L’habitué aura, lui, une perception individuelle, il appréciera son déplacement, sachant qu’il est gratuit etc.

Le lien entre la culture et la population, malgré les nombreuses politiques publiques mises en place, n’est donc pas tout à fait évident. Pour reprendre le dispositif du premier dimanche du mois, ce dernier reste relativement méconnu puisqu’un Français sur deux n’en a pas connaissance. Malgré tout, 20% des Français ont déjà profité de ce système de gratuité, ce dernier attirant en particulier un public ayant renoncé à une visite à cause du prix d’entrée. Le prix reste donc un frein à la visite des musées, et cette politique tarifaire permet de rapprocher du patrimoine culturel des personnes qui s’en sont éloignées.

Il est aussi intéressant de noter que la fréquentation du patrimoine a augmenté : près de 66% des Français ont effectué une visite culturelle au cours des douze derniers mois. De plus, les visites ne se limitent pas aux lieux traditionnels, on repère en effet une évolution des lieux de visite vers un concept « hors les murs », opérant ainsi une démocratisation de l’accès à la culture avec 28 % des Français qui ont visité un lieu culturel autre qu’un musée. De plus, pour poursuivre la lutte contre l’exclusion, des aménagements urbains pourraient être potentiellement nécessaires, notamment sur le transport, mais cela concerne d’autre politiques publiques.

Sources

https://www.culture.gouv.fr/Presse/Dossiers-de-presse/Budget-2023-du-ministere-de-la-Culture-Projet-de-loi-de-finances