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Comprendre les groupes sanguins

A, B, AB, O, Rhésus plus ou moins, peut-être connaissez-vous votre groupe sanguin. Vous précisez à des inconnus rencontrés en soirée que vous êtes donneur ou receveur universel, mais savez-vous pourquoi ? Et si je vous dit qu’en plus d’ABO et du Rhésus il existe 33 autres classifications de groupes sanguins, que si vous avez déjà été transfusé vous devez surement votre vie à Karl Landsteiner (en plus des donneurs de sang), et que ce n’est pas vraiment avec votre groupe sanguin que vous pourrez savoir si vous êtes en réalité le fils ou la fille du facteur. Asseyez-vous, prenez un verre d’eau parce qu’on va débuter notre aventure en Autriche au XIXème siècle.

Une histoire d’agglutination

Karl Landsteiner est né à Baden, en Autriche, en 1868. À 17 ans, il entre à la faculté de médecine de Vienne et en sort diplômé 6 ans plus tard. Mais ce qui l’intéresse c’est la recherche. En 1896 il  intègre l’Institut d’hygiène de la faculté de médecine de Vienne, sous la direction de Max Gruber (aucun rapport avec Hans). À ce moment, Gruber travaille sur le phénomène de Pfeiffer. Ce phénomène décrit les variations de réaction chez des sujets après injection de vibrio cholerae, la bactérie responsable du choléra. Les sujets ayant déjà survécu à la maladie ne la déclarent pas de nouveau, alors que les sujets dits «naïfs» tombent malades. Max Gruber découvre dans des expériences in vitro, que le dans le sérum d’un cobaye qui a déjà eu la maladie, les bactéries s’agglutinent en amas jusqu’à immobilisation complète. Landsteiner poursuit les recherches sur les phénomènes d’agglutinations, non pas avec des bactéries, mais avec des globules rouges. Avec des transfusions de sang inter-espèces, il remarque une réaction proche du phénomène de Pfeiffer mais sur les globules rouges. Poussant sa réflexion, il remarque des propriétés agglutinantes du sérum humain face à des globules rouges d’autres personnes. En 1900, Karl Landsteiner découvre que le corps humain crée une réponse immunitaire contre les globules rouges d’autres personnes selon une classification en trois groupes qu’il nomme A, B et C. Les personnes du groupe A font s’agglutiner les globules rouges des personnes du groupe B,et inversement. Les personnes du groupe C font s’agglutiner les globules rouges des groupes A et B mais leur sérum ne s’agglutine dans aucun des groupes. Les groupes sanguins A, B et O (qui ne prendra cette nomenclature qu’en 1910) viennent d’être découverts. La confirmation d’un quatrième groupe, dit AB, est réalisée en 1902 par deux de élèves de Landsteiner, Alfred Decastello et Adriano Sturli. Karl Landsteiner n’en reste pas là et poursuit ses travaux après un exil à La Haye puis à l’Institut Rockfeller à New York. Avec Philip Levine il confirme l’existence des groupes ABO chez d’autres espèces que l’Homme, et retrouve cette expression sur d’autres cellules que les globules rouges, notamment les spermatozoïdes. En 1927, il découvre le système MNS et le système P qui font partie des 35 classifications connues du groupe sanguin avec le système ABO. Dix ans plus tard, Philip Levine met en évidence le système Rhésus, définitivement confirmé par des travaux de Landsteiner en 1941.

Mr et Mme Si ont une fille

Ça nous rajeunit pas de les connaitre

Un globule rouge, ou hématie, ou érythrocyte, est une cellule en forme de disque biconcave (comme deux assiettes creuses collées dos à dos) dépourvue de noyau. Elle est fabriquée dans la moelle osseuse de certains os comme le sternum, le tibia, le fémur, l’humérus et quelques autres. Sa courte existence est en moyenne de 120 jours avant qu’elle ne se dégrade et soit recyclée dans la rate. L’hématie est remplie d’une protéine appelée l’hémoglobine caractérisée par la présence de fer, et qui a la capacité de capter l’oxygène. Elle peut aussi fixer du mono et le dioxyde de carbone. Le dioxyde ça nous arrange bien quand on veut le dégager de notre corps, mais pour le monoxyde ça pose un petit souci en cas d’incendie (le CO ayant une affinité 200 fois plus forte avec l’hémoglobine que l’oxygène). La majorité du fer contenu dans notre corps se trouve dans l’hémoglobine et par conséquent dans nos hématies. Il tourne en circuit fermé puisqu’il est récupéré par la rate quand les hématies meurent, ce qui explique le risque de carence martiale lié aux hémorragies extériorisées (notamment les règles).

Des O et des BA

Notre système immunitaire est encore plus zélé qu’un policier qui a carte blanche par le Préfet de Paris. Il passe son temps à faire des contrôles d’identité à tout ce qui bouge. Pour cela il «lit» des protéines que les cellules présentent à leur surface. Si la protéine lui indique que la cellule fait bien partie de notre organisme et applique correctement ses fonctions, tout se passe bien. Si la protéine lui indique le contraire ou que notre système immunitaire pense que c’est un faux billet pour la finale de la Ligue des Champions, alors il passe en mode attaque. Les protéines que les cellules présentent à leur surface pour montrer patte blanche et ne pas se faire matraquer à chaque contrôle s’appellent des antigènes.

Le système de groupe sanguin ABO fait référence à deux antigènes que le globule rouge peut présenter à sa surface. Il peut s’agir de l’antigène A, de l’antigène B, des deux ou aucun. S’il présente les deux, on parle de groupe AB, s’il n’en présente aucun on parle de groupe O. Pour votre corps, les antigènes qui font votre groupe sanguin sont reconnus comme inoffensifs, mais pas les autres. Donc si vous êtes de groupe A, votre système immunitaire ne va pas aimer tomber sur un antigène B, et inversement. Si vous êtes du groupe AB, il est habitué aux deux. Et si vous êtes de groupe O il n’est habitué à aucun puisque vos globules rouges n’en aucun des deux, et il réagira en conséquence s’il tombe dessus. Si on résume, les personnes de groupe AB peuvent recevoir du sang, A, B, AB ou O, et les personnes de groupe O ne peuvent recevoir que du groupe O. À l’inverse, les personnes de groupe AB ne peuvent donner leur sang qu’aux personnes AB, alors que les personnes du groupe O offrent un sang contre lequel aucune réaction n’est possible, si on en reste à la classification ABO.

Si on ne connait pas son groupe sanguin on est OBA masqué…ohé ohé

Votre groupe sanguin dépend d’un gène présent sur votre chromosome n°9. Les chromosomes fonctionnent par paire, il y a donc deux chromosomes n°9 dans vos cellules, un qui vient de chacun de vos parents. Le gène qui détermine le groupe sanguin possède plusieurs variantes, on appelle cela des allèles. Ces allèles peuvent différer d’un chromosome à un autre au sein de la même paire, puisqu’ils viennent d’un parent différent. Le chromosome qui vous vient de votre mère peut contenir l’allèle A, et celui de l’autre chromosome qui vous vient de votre père peut contenir l’allèle B. Vous serez alors de groupe AB. Un allèle peut être dominant ou récessif. S’il est dominant il l’emporte si celui de l’autre chromosome est récessif, s’ils sont tous les deux dominants ils se combinent et s’ils sont tous les deux récessifs ils se combinent aussi. Les allèles A et B sont dominants et l’allèle O est récessif. En résumé, si vous avez un allèle A et un allèle O (situation qu’on abregera en AO), vous êtes de groupe A. Si vous êtes BO, vous êtes de groupe B, si vous êtes AB, vous êtes de groupe AB et si vous êtes OO, vous êtes de groupe O.

Comme chacun de vos parents vous donnent un de ses chromosomes, si votre mère est de groupe A, elle peut très bien être AO et vous donnez l’allèle O. Votre père de groupe B, peut être BO et aussi vous donnez son allèle O. Vous vous retrouvez donc à être de groupe O alors que vos parents sont de groupe A et B. Attention cependant, il existe l’allèle  CisAB, qui vous donne le groupe AB et qui est dominant sur le O. Donc vous pouvez être de groupe AB et avoir un allèle O dans vos chromosomes. Par conséquent, merci de ne pas m’impliquer pour des histoires de paternité remise en question sur des discordances de groupes sanguins à cause de cet article !

Pour être tout à fait honnête, dans les faits c’est un peu plus compliqué que ça, mais ne vous attardez sur ce paragraphe que si vous en sentez l’envie. En réalité les allèles A et B ne codent pas pour les antigènes A et B directement mais pour des enzymes qui vont transformer un antigène précurseur, dit H, en A, B ou les deux. Il existe d’ailleurs le groupe sanguin dit Bombay, très rare, chez des personnes qui n’ont pas ce précurseur H, et qui donc ne sont ni A ni B, ni AB, ni O. On dit qu’elles sont hh et c’est une vraie galère pour elles si elles nécessitent une transfusion.

Je pense qu’on est tous d’accord pour dire qu’on ne va pas entrer dans les détails.

Personal Rhésus

L’autre information importante dans la détermination de votre sang est votre Rhésus. On le dit «plus» ou «moins». C’est techniquement plus compliqué que ça, mais pour le rhésus je ne vais vraiment pas rentrer dans les détails sinon on part pour 3h de génétique et d’hématologie. Tout comme pour le système ABO, le Rhésus se définit par la présence ou non d’un antigène (une protéine à la surface des cellules qui sert à interagir avec le système immunitaire – un rappel ne fait jamais de mal) à la surface des globules rouges. Cet antigène, appelé antigène D, définit par sa présence ou non votre Rhésus. Positif si on le retrouve à la surface de vos globules rouges, sinon négatif. Si vous êtes de Rhésus positif, votre corps à l’habitude d’être au contact de cet antigène et ne le perçoit pas comme un agresseur. Si vous êtes Rhésus négatif, votre système immunitaire ne reconnaît pas cette antigène comme faisant partie de votre corps et se fait un devoir d’éliminer toute cellule qui le présente. Donc si vous êtes Rh- et qu’on vous transfuse du sang Rh+, votre corps va le percevoir comme une agression et le détruire. Mais si vous êtes Rh+, votre corps se moque complètement qu’on vous transfuse du sang Rh+ ou Rh-.

Ce qui au final fait des gens AB+ des receveurs universelles, capable de se voir transfuser n’importe quel sang humain sans risque de réaction immunitaire, et les personnes O- peuvent donner leur sang à tout le monde parce que leurs globules rouges n’expriment aucun antigène qui pourrait être perçu par le corps du receveur comme une agression.

Pour ce qui est de la génétique et de la transmission du l’information Rhésus, je vais passer mon tour parce que c’est, en réalité, un tout petit peu plus compliqué que simplement l’antigène D (en vrai c’est DCE ou dce, ou DcE, ou dCe, mais j’ai vraiment pas envie de tomber là dedans donc faites comme si vous n’étiez pas au courant).

Il en va de même pour le détail du groupe sanguin, qui ne se différencie pas que par le groupe ABO et le Rhésus, mais qui contient 33 autres classifications, dont la 3ème plus importantes après les deux évoquées est le système Kell. Il y a aussi les systèmes MNS et P découvert par Landsteiner et d’autres avec des noms improbables comme Lewis, Duffy, Knops…

Les systèmes ABO, Rhésus et Kell sont les plus importants pour pouvoir réaliser une transfusion sécurisée (sans avoir à épuiser les réserves de O négatif par manque d’information). Donc mon conseil, pour vous, et les réserves de la banque du sang qui sont aussi précaires que ma réserve de motivation, est de faire au moins une fois ce qu’on appelle une double détermination de votre groupe sanguin pour obtenir votre carte de groupe. Parlez-en à votre médecin.

Non mais allo-immunisation quoi !

Qu’est ce que l’allo-immunisation et pourquoi je vous en parle ici ? L’allo-immunisation est la création par votre corps d’une réponse immunitaire (par exemple des anticorps) contre un antigène qui provient de la même espèce que vous mais qui est génétiquement différent. Par exemple, si vous fabriquez des anticorps contre une bactérie, cette dernière n’est pas de l’espèce humaine, donc ce n’est pas une allo-immunisation. Si vous fabriquez des anticorps contre vos propres cellules, elles viennent de la même espèce mais ne sont pas génétiquement distinctes, donc ce n’est toujours pas de l’allo-immunisation. Mais si on vous transfuse du sang humain, donc de la même espèce que vous (sinon merci de vous adresser au bureau des Men In Black) et que vous créez des anticorps contre ces globules rouges, là c’est une allo-immunisation. Et c’est exactement ce qu’on veut éviter, et pourquoi ce serait sympa de faire votre carte de groupe sanguin pour éviter qu’on vous balance toutes les réserves de O- par sécurité si par malheur vous en aviez besoin.

Il existe un cas particulier et très important d’allo-immunisation en médecine, la grossesse. Lors d’une grossesse, le corps de la femme se retrouve à devoir gérer la présence d’un autre être humain, qui non content d’appuyer sur sa vessie, se permet d’avoir un code génétique différent (de 50%). Grâce à un habile système de gestion et d’autorégulation, le système immunitaire ne va pas attaquer l’embryon ou le fœtus au prétexte qu’il présente des antigènes différents (sinon le miracle de la vie aurait vite tourné court). Mais il y a la question du groupe sanguin qui pose problème. 

Pour avoir une situation claire et nette, imaginons un scénario où la mère est de groupe O- et le fœtus A+. En cas de passage dans le sang de la mère de globules rouges foetaux, le système immunitaire va activer ses anticorps ciblés contre les allèles A et D (l’allèle D définissant le rhésus positif ou négatif selon sa présence). Heureusement le corps n’est pas complètement débile, et a créé une espèce de pare-feu organique, la barrière foeto-placentaire, qui filtre au mieux ce qui passe de l’un à l’autre. Ce videur de boîte de nuit gravidique ne laisse pas passer les anticorps qui ciblent le système ABO. Ces derniers sont trop gros pour passer la barrière. Malheureusement les anticorps qui ciblent le système Rhésus sont plus petits, et réussissent à se faufiler entre les mailles. Le principal danger est donc celui d’une mère de rhésus négatif et d’un fœtus de rhésus positif. En cas de passage de globule rouge foetaux dans le sang de la mère, le système immunitaire va créer des anticorps contre l’allèle D, qui peuvent passer la barrière foeto-placentaire, se retrouver chez le fœtus et attaquer ses propres globules rouges.

Pour éviter que cela n’arrive, on injecte à la mère des anticorps anti-D. Cela peut paraître paradoxal, mais ces anticorps vont aller se fixer sur les globules rouges du fœtus présent dans la circulation sanguine maternelle mais sans créer pour autant la réaction immunitaire agressive, comme le feraient les anticorps anti-D de la mère.

Voilà pourquoi personne ne me prend dans son équipe au Pictionary

Et c’est l’occasion de terminer cet article en évoquant James Harrison, un australien né en 1936, qui a sauvé, et sauve encore, la vie de nombreux bébés. Suite à une grave chirurgie thoracique dans l’enfance, James réalise qu’il a survécu en partie grâce aux nombreuses transfusions qu’il a reçues pendant son opération. Une fois majeur, il décide de donner son sang à son tour. En analysant son sang, pour éviter tout accident transfusionnel, les hématologues remarquent qu’il contient une forme rare d’anticorps anti-D, qu’ils arrivent finalement à synthétiser et qui est à l’origine du traitement injectée aux mères Rh- pour prévenir l’allo-immunisation foeto-maternelle.

Valentin C