Avant que le président Emmanuel Macron annonce la mise en place d’un autre passe, le pass culture était la grande star de l’année 2021 avec sa généralisation à tous les lycéens de 18 ans en mai dernier. Mais d’où sort cet argent gratuit ? Comment une simple action politique, qu’est le passe culture, peut-elle aider à faire comprendre le fonctionnement des finances de l’État ? Réponse dans cet article.
Pass culture et loi de finance
L’élaboration du pass culture commence en février 2019 se basant sur le «Bonus Cultura» mis en place par le gouvernement de Matteo Renzi en Italie. D’abord en expérimentation dans cinq départements français, il n’était pas supposé s’étendre à tous les lycéens de dix-huit ans en France avant 2022. Mais ce fut le cas dès le mois de mai dernier. Grâce à la collaboration de plus de quatre mille partenaires, presque un million de lycéens peuvent bénéficier de trois cents euros de chèques à dépenser pour des spectacles, des livres et bien d’autres activités et dépenses culturelles.
Pour comprendre comment cet argent public a pu se retrouver dans les mains de citoyens français, il est nécessaire de comprendre comment et par qui le budget de l’État est voté. Très simplement, le budget de l’État est voté tous les ans par le Parlement dans le cadre d’une loi de finance. Il s’agit d’une loi spéciale qui dispose de sa procédure propre et de ses bases juridiques propres (la Loi Organique Relative aux Lois de Finances pour les plus curieux, la fameuse LOLF). Ainsi donc, on retrouve le fameux pass culture qui apparaît dès 2019 dans la loi de finance de 2018. Il faut savoir que dans une loi de finance tous les crédits alloués doivent être votés un par un (et il y en a beaucoup).
Ainsi donc, dans une loi de finance, les crédits sont répartis en missions (qui sont une trentaine) et ces missions sont elles mêmes réparties en une multitude de programmes. Ainsi donc, notre pass culture se trouve dans la mission «Culture» (pragmatique) et dans le programme «Transmission des savoirs et démocratisation de la culture».
Par la suite, il est impossible pour un ministère recevant les crédits de la loi de finance d’en avoir de nouveaux sauf si le Parlement décide de voter une loi de finance rectificative, qui intervient durant l’année d’exécution du budget, afin de pallier à de nouveaux aléas survenus dans la vie publique (comme par exemple en 2020 pour faire face à la crise de la COVID-19 dont les retombés économiques commençaient à se faire sentir).
Libre au Parlement toutefois de gérer la manière dont les crédits sont alloués et libre aux administrations publiques de les utiliser comme elle l’entend (sous réserves de règles juridiques évidemment). Elles ont par exemple le droit de transférer les crédits entre leurs différents programmes du moment qu’ils restent dans leur mission de base. Ainsi donc pour le pass culture, il représente une enveloppe de 59 millions sur quatre milliards alloués à la mission culture selon la loi de finance de 2020. Depuis le lancement de ce projet, un groupe d’étude au Sénat coordonne les différentes lois de finances qui suivent le cours du passe culture.
Qu’en est-il du pass, trois mois après sa généralisation ?
Les plus grandes craintes soulevées quant au pass culture et à sa possible généralisation étaient le manque d’intérêt du public visé et donc inévitablement son coût. Les chiffres et résultats en amont et en aval montrent que les début du passe dans sa phase d’expérimentation étaient quantitativement limités puisque les deux phases d’expérimentation concernaient pas moins de 150 000 jeunes et que, sur ce nombre, seulement 35 000 inscriptions étaient effectuées huit mois après le lancement de la phase d’expérimentation. De plus, le groupe de travail sur le sujet a pointé le manque d’implication des jeunes issus de milieux plus défavorisés. Par effet domino, les parlementaires se sont montrés frileux lorsque le gouvernement a décidé d’accélérer le projet en faisant augmenter le budget de 35% pour étendre le passe sur une plus large superficie.
Toutefois, les chiffres des inscrits se montraient encourageants puisque le livre représentaient près de la moitié des achats, les jeunes les préférant aux différents supports numériques (ce qui semblait tout de même être un usage des plus adéquats au niveau des parlementaires). De plus, pour revenir sur le domaine financier, l’État a su amortir au mieux le coût, en tout cas d’un point de vue comptable, se délestant de près de 80% du budget initial, puisque non seulement celui-ci a confié la gestion du pass culture à une société d’actions simplifiée, mais également grâce à l’intervention de la Caisse des dépôts et des consignations. Ce sont ces petits affinages financiers, accompagnés d’un rabaissement de la dotation de 500 à 300 euros par jeune, qui ont pu permettre au gouvernement de généraliser le pass culture en mai dernier alors que cela était prévu pour 2022, soit une année en avance sur le calendrier initial.
Plus récemment, selon le ministère de la culture, le nombre d’inscrits au moment de la généralisation était de 165 000. La tendance est bonne puisque le gouvernement planchait sur un objectif de 60 000 inscrits à la même période l’année dernière, et ce chiffre a été dépassé. Il conviendra d’observer les prochains chiffres donnés par le ministère de la culture. Le travail de la ministre Roselyne Bachelot a été salué par les parlementaires malgré les débats assez véhéments, et on pourra tout-à-fait penser que les chiffres encourageants de ce passe constituent un chantier en voie de réussite pour le gouvernement dans un secteur terriblement frappé par la crise sanitaire. On pense surtout aux libraires qui caracolent en tête des investissement des passes culture des jeunes.
Les informations dont nous disposons sur pass culture sont intéressantes : son calendrier et sa vitesse de procédure montrent qu’il a été un projet porté avec ambition par le gouvernement, une année avant les élections présidentielles. On peut toutefois relever le montage financier, qui a permis de ne pas trop engager d’argent public. Mais il faut saluer la volonté, à la base de tout ce projet, qui est de pouvoir permettre aux jeunes lycéens d’accéder à des offres culturelles, base de la mission de l’État dans l’éducation des jeunes.
D’autres points demeurent à améliorer, notamment concernant l’inégalité de répartitions des territoires où l’on peut clairement observer que les jeunes des milieux les plus défavorisés manifestent beaucoup moins d’intérêt pour la culture, ce qui nécessiterait une intervention beaucoup plus en amont et portée sur le fond : ne pas pas simplement donner les moyens, mais expliquer aussi l’intérêt de les utiliser en inculquant le goût de la culture à tous, dès le plus jeune âge.