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1974, la première candidature verte

En 1974, Valéry Giscard d’Estaing remporte l’élection présidentielle au second tour avec 50,8% des voix. La plus serrée des élections, celle de 1974, n’est pourtant pas une surprise. Les candidats n’ont pas eu à affronter de scandales particuliers, les sujets débattus furent classiques ; du pouvoir d’achat à l’immigration en passant par le chômage. Une seule chose a rendu cette élection particulière, la présence d’un candidat aujourd’hui oublié : René Dumont.

Un candidat pionnier oublié

1974 est l’année du dernièr exercice budgétaire excédentaire enregistré en France, l’année de la R5, la voiture par excellence des Français. Claude François passait à la radio, et Le Parrain 2ème partie sortait au cinéma. 

1974 est aussi l’année de la mort de Georges Pompidou, entraînant l’organisation d’élections présidentielles anticipées. Au second tour, s’affrontent VGE, qui sera élu avec 50,8% des voix et Mitterrand, qui ne sera quant à lui élu Président qu’en 1981. Ce résultat n’est pas surprenant : la France sort des années gaullistes et VGE se présente comme un candidat jeune, empreint de modernité, 6 années après les événements de mai 1968. Les Français ont besoin de renouveau, mais ne veulent tout de même pas trop s’éloigner de l’héritage du Général de Gaulle. VGE est alors le candidat parfait, un centre droit, et il sera élu, de justesse. 

René Dumont, ina.fr

Le Conseil Constitutionnel retient douze candidatures pour cette élection, de tous bords politiques. Parmi elles, Jean-Marie le Pen (Front National), René Dumont (écologiste), V. Giscard d’Estaing (centre droit), Arlette Laguiller (Force Ouvrière), François Mitterrand (Parti Socialiste). René Dumont, comme d’autres, fait partie d’une catégorie de candidats que le journal Le Monde surnomme à l’époque « les autres candidats ».. Dumont n’est pas le favori de l’élection, bien au contraire. Il réalise une bonne campagne, mais ce qu’il propose est bien trop en rupture et novateur pour susciter l’adhésion des Français. 

Dumont permet la remise en question du système économique capitaliste, sans adhérer au communisme. A l’époque, le communisme politique est impossible pour les Français, alliés politiques des USA, farouchement opposés à la doctrine de Moscou. A l’époque, l’écolo n’avait trouvé qu’un mince auditoire. Pourtant, petit à petit, c’est grâce à lui – que l’on oubliera rapidement – que des écolos se succèderont dans la course à l’Élysée, rendant de plus en plus crédible la question politique de l’écologie.

À la fin de la course, Dumont aura rassemblé moins de 2% des Français derrière lui. Après cet échec, il continua d’alerter le monde de la catastrophe qui se prépare. Il ne se représentera plus à des élections. Malgré une courte carrière politique, l’héritage politique de Dumont est important. Il permet l’entrée en politique des questions écologiques.

Des propositions novatrices, à contre-courant

Dans le cadre de sa campagne, Dumont met en avant l’insuffisance des ressources énergétiques pour subvenir au train de vie actuel de l’homme. Il met en garde en indiquant que celui-ci court à sa perte en considérant que la Terre pourra toujours lui subvenir. Dans une interview télévisée au cours de sa campagne, le 19 avril 1974, il tente d’alerter les téléspectateurs sur la rareté de l’eau et le besoin de la préserver. Il indique boire de l’eau précieuse « puisque si nous continuons un tel débordement, avant la fin du siècle, elle manquera ».

René Dumont décrit au cours de sa campagne les problèmes que va rencontrer la population mondiale si les Hommes n’interviennent pas et s’ils ne modifient pas leur comportement. Il dépeint le développement de la famine, la raréfaction des ressources naturelles et les dangers de l’élevage intensif.

Il propose ce qu’on appelle aujourd’hui la doctrine altermondialiste, une économie mondiale n’ayant pas le profit comme priorité. Agronome de profession, il met en avant dans son programme le besoin de reconnaissance des ouvriers agricoles ainsi que la nécessité de limiter l’usage de produits artificiels pour augmenter les profits agricoles de l’homme.

Ces conclusions sont absolument à contre-courant, et ne résonnent pas chez les Français. Dans les années 1980, on enseigne dans les écoles françaises que la mer et les océans garantissent à l’homme des ressources alimentaires quasiment inépuisables. Le monde et les Français ne se rendent absolument pas compte que la société dans laquelle ils vivent puise dans des ressources limitées.

Les scénarios catastrophes décrits à de nombreuses reprises par Dumont sont inimaginables pour les Français, qui ne réalisent pas l’urgence climatique. Les sujets qu’il aborde étaient à mille lieues du quotidien et des priorités de l’époque. Dans un article du Monde, intitulé La Famine, demain ? Dumont décrit que ce que les agriculteurs considèrent comme des victoires de productivité sont en fait des bouleversements agricoles profonds et dangereux pour la biodiversité.

Un programme qui n’évolue pas

En 1974, les Français s’inquiètent pour leur pouvoir d’achat, des crises économiques engendrées par le premier choc pétrolier mettant fin aux “Trentes glorieuses” ou encore de l’immigration. On comprend alors facilement pourquoi Dumont, accusant le système économique d’être mortifère, n’a pas recueilli le soutien de la population. En 1974, les initiatives et engagements internationaux tels que nous les connaissons aujourd’hui comme la COP21, les accords de Paris sur le climat ou le protocole de Kyoto n’existaient pas. Ce n’est que deux années auparavant que la première réunion internationale sur le climat eu lieu à Stockholm : la Conférence des Nations Unies sur l’environnement de 1972.

En 2021, les centres d’intérêts des Français ont changé. La remise en question de l’urgence climatique est infiniment moins importante qu’à l’époque. La population s’accorde à reconnaître les enjeux climatiques, même si les réponses envisageables ne forment pas un consensus. A l’approche des élections de 2022, les principales préoccupations ont bien changés : écologie, pouvoir d’achat, terrorisme, délinquance, et inégalités.

Manifestations en faveur de l’action climatique

L’écologie est donc désormais l’un des principaux axes de campagne de tous les candidats, puisque Hidalgo, Mélenchon, Jadot et même Le Pen promettent tous, alors qu’ils appartiennent à des bords politiques différents voir antagonistes, un quinquennat vert et respectueux des engagements internationaux. 

Il est intéressant de constater que les propositions des candidats pour l’élection présidentielle de 2022 ne sont pas tant éloignées des thèses de René Dumont. Jadot parle d’une modification de la croissance économique, pour qu’elle ne soit pas toujours tournée vers le rendement afin de mieux respecter la planète. Cette thèse était défendue par Dumont, qui parlait même de « croissance zéro pour la population »

Dans son article « Pourquoi je me présente », Dumont indique vouloir mettre l’accent sur « les formes d’énergie non dangereuses, non polluantes : le vent, qui souffle pour tous, la géothermie, les marées, les petites chutes d’eau ; et surtout, l’énergie solaire ». La défense des énergies renouvelables est une thèse très présente dans la campagne de 2022, notamment chez Jadot, qui défend l’éolien. Dans cet article, Dumont indique aussi vouloir obliger à « réduire les gaspillages extravagants, au moins du tiers le plus riche de la population française », tandis qu’Hidalgo souhaite mettre en place un ISF climatique, de sorte que les Français les plus pollueurs payent une taxe supplémentaire.

Dumont indiquait que la France devait arrêter de produire des déchets nucléaires, et doit pour cela sortir progressivement du nucléaire, ce qui est du point de vue de Mélenchon, qui souhaite fermer toutes les centrales.  

Toutes ces propositions, portées en 1974 par René Dumont, n’ont pas su fédérer les Français. Pourtant, il est évident que cette fois-ci, un demi siècle plus tard, ces enjeux apparaissent centraux et seront pris en considération par les électeurs, en témoigne les nombreuses propositions écologiques des candidats pour l’Elysée. Presque tous promettent de placer l’écologie au centre de leur quinquennat. Et ça, c’est quelque chose qui a bien changé depuis 1974, et pour le mieux. 

Sources :

http://biosphere.ouvaton.org/blog/rene-dumont-lecologie-entre-en-politique/

https://www.franceculture.fr/personne/rene-dumont

https://laviedesidees.fr/Rene-Dumont-les-quarante-ans-d-une.html