Questionner le fonctionnement d’une discipline artistique est un exercice complexe tant pour le néophyte que pour le praticien. Cette réflexion nécessite de s’y adonner corps et âme, tout en risquant de se heurter à la frustration du manque d’exhaustivité pour les perfectionnistes ou à la désillusion pour les rêveurs. Comment conserver la magie de l’art si nous connaissons ses mécanismes dans les moindres détails? Ne serait-ce pas comme ce moment où nous comprenons qu’il y a un double-fond dans la valise du prestidigitateur?
David Byrne, ex-chanteur de Talking Heads, a décidé de dévoiler à sa façon dans son livre ce qui est caché derrière le rideau de la musique. A l’issue de cette lecture, c’est avec un nouvel émerveillement que nous appréhendons l’un des arts les plus totalisants et universels.
L’ouvrage s’articule comme une suite d’essais indépendants et complémentaires autour de la question: Qu’est-ce que la musique? En abordant cette problématique sous les différentes facettes d’un même prisme, il parvient à tirer une explication sociologique, économique, artistique et scientifique de cette discipline à laquelle il a dédié sa vie.
Ainsi, nous comprenons qu’il est impossible de limiter la musique à une invention humaine consistant en une suite de sons organisés. Tout d’abord, elle n’est pas qu’une affaire d’hommes, d’autres espèces éprouvent du plaisir à chanter. Ensuite, cette pratique se meut au gré des progrès techniques, du contexte architectural et social. On ne va pas produire la même musique dans une cathédrale ou dans un salon. Elle n’est pas travaillée de la même façon en fonction de si elle doit s’écouter en groupe ou seul. Par exemple, on ne va pas forcément dans un stade dans l’espoir d’écouter une prouesse musicale, les concerts sont des lieux de réunions, de communion entre les artistes et le public, entre les artistes et les artistes, entre le public et le public. Il y a là-dedans quelque chose proche du cultuel, du religieux (ressort compris très tôt par David Byrne qui s’est amusé tout au long de sa carrière à jouer avec les codes des télévangelistes).
En musique il est alors possible de vivre des milliers de vies, d’aller jusqu’à se questionner sur les mécanismes de l’existence et ce tant pour celui qui écoute que pour le performeur. En tant qu’auditeur David Byrne prend part à un tout et en tant que chanteur, il travaille sur la mise en scène qu’il rapproche d’une espèce de simulacre cosmogonique. Car par extension, la musique ne se limite pas à ce qui a lieu dans une salle de concert. David Byrne, comme s’il disposait d’un sixième sens, voit la musique partout et à raison. Tout ce qui comprend un rythme dispose d’une musicalité, elle se retrouve dans la nature et sur les tapisseries. Ce que nous écoutons à la radio ne serait alors « qu’une » mise en exergue de ce que la nature a toujours produit et notre amour de la musique pourrait s’expliquer par le fait que nous découlons d’une harmonie interne et externe.
Cependant, bien que le livre traite de la musique de façon quasi ontologique, il demeure ancré dans des problématiques plus concrètes car il ne faut pas perdre de vue que cet art dépend d’une industrie hautement lucrative et ce depuis qu’il est possible de faire payer des places de concert.
Ainsi David Byrne fait preuve d’une grande pédagogie et nous offre la possibilité de comprendre, d’apprécier et peut-être même pour certain de nous révéler une passion pour la musique.
Cet ouvrage, bien qu’assez long, se veut accessible et clair. Si jamais vous êtes toujours réfractaires à l’idée de vous lancer dans cette lecture, il existe un TedTalk présenté par Byrne lui-même et reprenant les idées du premier chapitre!
Pour aller plus loin:
Stop Making Sense (1984): Film documentaire réalisé par Jonathan Demme donnant accès à la tournée Speaking in Tongues de Talking Heads. On y retrouve le célèbre costume gris aux proportions inédites de David Byrne. Ce film n’a pas pris une ride et se trouve encore à l’avant-garde de son genre. Idéal pour se faire une meilleure idée des expérimentations scéniques du groupe! (disponible intégralement sur Youtube)
David Byrne’s American Utopia (2020): Captation de son spectacle mis en scène à Broadway. Le chanteur accompagné de musiciens se meut dans un espace au décors minimaliste en reprenant certains de ses titres qui ne manquent pas de faire écho à notre actualité. Ce film, réalisé par Spike Lee est une parfaite illustration des idées énoncées dans How Music Works et il partage de nombreuses similitudes avec Stop Making Sense. (disponible sur le HBO étasunien et sur les plateformes moins légales…)
Playlist Made in Nowhere: disponible sur le Youtube et le Spotify du Tote Bag!
Bonus: Le Tote Bag vous offre la possibilité de vous mettre en forme à l’image de David Byrne, grâce à un cours exclusif d’Aerobyrne! Rendez-vous sur notre Tiktok le.tote.bag !
David Byrne, How Music Works, éditions McSweeney’s, 2012