Pour relativiser sur les croisades, l’apport d’Amin Maalouf
Les Croisades, grand évènement qui secoue les mondes chrétien et musulman durant des siècles, sont souvent comprises et envisagées du point de vue du monde chrétien, montrant les Croisés, soldats chrétiens, allant combattre les Arabes présentés comme unis, féroces, voire païens. L’écrivain libanais Amin Maalouf, désormais académicien, s’est employé à déplacer la focale de ces conflits en écrivant un essai : Les croisades vues par les arabes pour proposer une lecture qui montre l’évènement essentiellement raconté du point de vue du camp arabe.
Un peuple divisé face aux croisés
Publié en 1983, l’ouvrage retrace l’histoire des Croisades du point de vue des Arabes, en se basant sur des sources arabes médiévales. Amin Maalouf décrit les événements des Croisades depuis la perspective des Arabes en mettant d’abord l’accent sur les raisons qui les ont poussé à résister : tout simplement la défense du territoire. En effet, les Croisades sont initialement une guerre d’auto-défense contre une invasion de ceux qu’ils appellent les « Franj« .
Au XIème siècle, les Musulmans sont héritiers de plus de six siècles de Conquêtes qui suivent la mort du prophète Mahomet en 632. Les conquêtes musulmanes atteignent l’Asie centrale et le sous-continent indien – où les musulmans ont établi des dynasties comme les Ghaznévides et les Moghols – mais également l’Afrique du Nord et l’Espagne, où se trouve l’empire musulman d’Andalousie.
Maalouf nuance le mythe selon lequel les Arabes se sont immédiatement unis contre les Chrétiens. En vérité, surpris par l’arrivée des Croisés, les Arabes se rendent comptent qu’ils sont différents des Chrétiens avec lesquels ils ont toujours été en contact commercialement (Byzantins, Arméniens, Coptes). Les Croisés, plus agressifs et accompagnés de gigantesques caravanes pour transporter leurs familles, semblaient être guidés par autre chose que la conquête des territoires. De plus, les Arabes ont très vite été divisés dans la réponse à apporter : l’Asie Mineure et la Terre Sainte étant aux mains de divers sultans descendants des Turcs Seldjoukides, de grandes rivalités existent d’une ville à l’autre.
Ainsi, Maalouf souligne le fait que certaines tribus arabes ont choisi de coopérer avec les Croisés, tandis que d’autres ont préféré résister à l’invasion. Les Arabes qui ont choisi de coopérer avec les Croisés l’ont fait pour diverses raisons, telles que le gain de pouvoir ou de richesse, ou la protection contre d’autres tribus arabes hostiles. Les croisades débutant au XIème siècle, il faudra attendre près d’un siècle pour que les arabes s’unissent derrière un chef, un certain Selahedînê Eyûbî (ou Saladin).
Les vraies raisons de la « guerre sainte » musulmane
Les Croisades, vues du côté occidental, sont appelées des « Guerres Saintes », dont le casus belli originel est la fermeture de Jérusalem par les Arabes alors même qu’ils sont maîtres de la ville depuis plusieurs siècles ! Face aux accusations d’illogisme essuyées par les musulmans, Maalouf établit la raison de cet acte, basé sur la volonté de ceux-ci de maintenir la paix sociale dans la cité. En effet, à Jérusalem, les tensions étaient constantes entre les Chrétiens et les Musulmans. De plus, la dynastie musulmane régnant sur les lieux, les turcs Seldjoukides, était décidée à assoir sa domination sur le Proche Orient, y compris en rendant les routes et les villes d’étape du pèlerinage vers Jérusalem de moins en moins sûres. Cette menace était connue des chrétiens pendant plusieurs années avant qu’ils ne réagissent par l’intermédiaire du pape Urbain II. En effet, celui-ci ordonne aux monarques Chrétiens d’entamer une expédition vers Jérusalem par l’intermédiaire du concile de Clermont en 1095.
L’auteur explore également les différents aspects culturels, sociaux et politiques de cette époque et examine les relations entre les différentes communautés religieuses et ethniques, notamment en rappelant le rôle d’intermédiaire de la communauté juive, présente dans la cité depuis l’Antiquité. Prise en étau entre Chrétiens et Musulmans, la participation des Juifs est purement pragmatique et intéressée. Ainsi, certains ont collaboré avec les Chrétiens et d’autres avec les Musulmans.
Là où habituellement les Arabes connaissaient les Chrétiens d’Orient, enclin à échanger commercialement avec eux, les Croisés, explique Amin Maalouf, étaient perçus par les Arabes comme des barbares étrangers venus envahir leurs terres. Ceux-ci sont venus de plus loin, parlent de combattre « au nom du Christ »… Chrétiens d’Occident et chrétiens d’Orient, bien que différents sur plusieurs points, s’allient entre eux pour préparer l’invasion au Proche-Orient. C’est ainsi que Byzance et l’empereur byzantin Alexis Comnène furent les premiers foyers d’accueil pour les Chrétiens occidentaux.
La grande influence des Seldjoukides donne l’essence religieuse du conflit aux Musulmans. Une fois les premiers affrontement passés et la déferlante des Croisés sur Jérusalem, les musulmans de l’époque vont se mettre à considérer les croisades comme une agression non plus contre les Arabes mais contre l’Islam elle-même et la communauté musulmane. La ville de Jérusalem était considérée comme une ville sainte pour les musulmans, car selon la tradition islamique, le prophète Mahomet aurait effectué un voyage nocturne depuis La Mecque jusqu’à la mosquée al-Aqsa, située sur l’Esplanade des Mosquées de Jérusalem. De plus, les musulmans considéraient que les chrétiens avaient envahi et occupé des territoires qui leur appartenaient légitimement, tels que la Syrie, la Palestine et l’Égypte. Par conséquent, les musulmans considéraient qu’il était de leur devoir de défendre leur territoire et leur foi contre les croisés chrétiens.
Amin Maalouf est connu pour son travail d’accès à l’histoire de l’Islam et du peuple arabe que ce soit dans cet essai mais aussi dans ses romans comme Le Jardin de Lumière, narrant de manière romanesque la destinée du prophète Mani. Récompensé du prix Goncourt 1993, il siège à l’Académie française depuis 2011.