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Le classique de la semaine : Le Vallon d’Agatha Christie

– À qui profite le crime ?

– Il fait nuit, il pleut. Une nuit d’hiver ou d’automne, sombre, et les pas qui résonnent sur les pavés. Un homme, dans l’embrasure d’une porte, il porte un imperméable beige dont le col est relevé pour soustraire ses traits au plus grand nombre. Les pas se rapprochent et il bondit soudain de son obscurité. Il enfonce le couteau dans le ventre de la victime. Elle s’effondre et il s’enfuit en courant.

– Non, pas cette histoire-là. Une autre.

– Alors, une autre ! Une maison de campagne, un couple âgé reçoit des amis pour le week-end. Parmi eux, un docteur et son épouse, ainsi que l’autre femme, la maîtresse du docteur, une sculptrice. Il y a aussi l’ami d’enfance. Soudain, au bord de la piscine, le docteur s’effondre et son épouse, incrédule, ramasse le pistolet qui gît à terre.

Le Vallon d’Agatha Christie, en un mot comme en 100. À la lecture d’Agatha Christie, on se rend volontiers compte que le roman policier n’est pas seulement une affaire de meurtre, mais surtout une manière de construire des personnages, et de narrer des faits.

Agatha Christie, avec 67 romans à son actif (sans compter les pièces de théâtre, les nouvelles et quelques poèmes), n’a plus besoin d’être présentée. On aime son côté vieille dame anglaise, on aime sa connaissance profonde des poisons. Toujours très utile, dans la vie. Si vous en avez soupé des Mort sur le Nil, Crime de l’Orient Express et autre Crime de Roger Ackroyd, ce roman est pour vous.

D’abord, ce roman sonne comme un week-end à la campagne. Il s’ouvre sur la grande maison de Lucy Angkatell, toute prête à recevoir les invités, loin de Londres et de sa vie trépidante et frénétique. Le lecteur et les personnages s’apprêtent à prendre une pause, qui n’est bien entendu pas celle à laquelle il s’attendait. Il s’agit là d’un genre défini du roman policier anglais, ce que l’on nomme le « country house mystery ». L’énigme de la maison de campagne, en un mot. Thématique particulièrement anglaise, tant la campagne et les demeures de familles ont une importance dans cette culture. La maison est un lieu particulier, qui a un sens (cf. Jane Eyre de Charlotte Brontë).

Dans cette maison cossue de la campagne, un groupe de personnages se rassemble, comme nous l’avons vu plus haut. C’est dans ces personnages que repose l’intégralité de l’intérêt que l’on porte au roman. Pendant la première moitié du roman, le lecteur se demande où l’autrice peut bien le mener. Pas de meurtre, pas de mention de la moustache huilée d’Hercule Poirot, seule la vie de quelques personnes. Il y a le docteur John Christow, un homme d’âge moyen et sa maîtresse Henrietta Savernake, une sculptrice. Il y a Gerda Christow, une femme gouvernée par la lenteur et l’indécision. Il y a bien sûr l’ancienne amante, Veronica Cray. Ils sont nombreux encore à hanter les parages du Vallon.

Tout à coup, alors qu’on ne l’attendait plus, débarque le fameux détective Hercule Poirot comme un cheveu sur la soupe. Effectivement, un meurtre a été commis, le docteur Christow a été assassiné, et il est temps pour le célèbre détective de prendre en main l’enquête. Pourquoi alors cette sensation d’étrangeté à son arrivée ? Hercule Poirot semble incongru dans cette œuvre, comme s’il n’était pas à sa place. Le but de l’autrice ici n’était pas de réaliser un roman policier au sens classique du terme. On le sait, elle sait prendre ses distance avec une narration convenue, et aime prendre au dépourvu son lecteur par des effets de narration, qui vont au-delà de la surprise de la révélation finale du nom de meurtrier à la fin.

L’exemple canonique ici serait Le Meurtre de Roger Ackroyd, qui a marqué tous les esprits, ainsi que plusieurs de ses plus grands romans, tels que Le meurtre de l’Orient Express. Elle est également connue pour son regard parfois critique qu’elle porte sur le genre qu’elle illustre. Ne fait-elle pas déclarer à certains de ses personnages que dans les romans policiers, on trouve toujours la réponse en cherchant à qui le crime profite. Dans Le Vallon, c’est encore une distance qu’elle prend avec son propre genre.

La première partie du roman est remarquable par la profondeur psychologique et les développements de personnages qui constituent le drame. Si Poirot n’apparaît pas tout de suite, et que sa présence sait rester discrète, c’est que l’autrice cherche à laisser de l’espace pour ses autres personnages. Elle a à cœur de dresser un portrait complexe des relations qu’entretiennent les personnages les uns entre les autres. Nous passons beaucoup de temps dans les pensées des personnages, a arpenter avec eux les chemins du passé et de leurs pensées. Cela est mené d’une main de maître, sans que jamais la tension ne tombe à plat.

En un mot, nous sommes portés jusqu’au dénouement final sans jamais nous douter de quoi que ce soit, mais en vivant dans une atmosphère de doute et d’interrogation qui ne faiblit pas. De même, le dénouement qui, s’il est pris en tant que tel, n’est sans doute pas le plus extraordinaire, prend une dimension des plus profondes, puisqu’il est précédé d’une centaine de pages d’explications psychologiques qui mènent à la seule issue possible.

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