Le classique de la semaine : Germinal, d’Emile Zola
Un homme marche seul, sur une route, un soir. Il est talonné par la faim, il n’a nul part où dormir. Pourquoi ? Il a été renvoyé de son travail. Il arrive en pays minier, dans le nord de la France, et réussit à se faire embaucher aux mines de Montsou, dans la fosse du Voreux. Voilà qui résume les premières dizaines de pages de Germinal, d’Émile Zola, publié en 1885. Cet homme misérable, c’est Etienne Lantier, renvoyé pour avoir giflé son supérieur. La violence de ce geste saute aux yeux des lecteurs de l’époque. Aux mines, il va découvrir, et le lecteur avec lui, un monde nouveau, et terrifiant.
Décidé à écrire sur le phénomène social de la mine, Émile Zola se rend sur le terrain, afin de prendre des notes et de parler à des mineurs. Il va jusqu’à descendre dans une fosse, ce qui, nous allons le voir, n’est alors pas une mince affaire. Profondément marqué par cet événement, il va décrire les conditions de vie déplorables qui règnent aux fonds des mines françaises de la fin de ce siècle. D’abord, les ouvriers sont descendus dans une « cage » un ascenseur qui les emmène au fond de la fosse. Entassés les uns sur les autres, ils sont trempés par les différents cours d’eau qui s’écoulent dans les profondeurs. Arrivés à leur lieu de travail, ils se mettent à extraire du charbon des parois creusées par la main de l’homme sous une température minimum de 35°c, dans la pénombre de leur mauvaises lampes. Il arrive régulièrement qu’ils aient de l’eau jusqu’à la taille. Le charbon est entassé dans des berlines, qu’il faut d’abord pousser à la force de son propre corps, et qui est ensuite poussée par des chevaux, qui vivent au fond de la mine sans jamais voir la lumière du jour. On travaille, bien entendu, pour un salaire dérisoire et une faible quantité de nourriture. Cela sans compter les accidents, le fameux « coup de grisou », ce gaz qui explose régulièrement dans les profondeurs, mais également l’eau retenue des rivières souterraines et des nappes phréatiques qui peut un jour céder. C’est dans cette atmosphère putride et suffocante que Zola choisit de mettre son intrigue au point.
Tienne, devenu rapidement un très bon mineur, à l’aide de quelques lectures, commence à prendre conscience de l’exploitation des travailleurs de la mine, et les incite à fonder ce que l’on nommerait aujourd’hui une caisse de grève. Il s’agit d’une caisse de prévoyance, qui pourrait servir lorsque les salaires baissent considérablement ou à soutenir les familles en cas de grève. À cette atmosphère délétère se joint une décision injuste de la part des directeurs de la mine : le prix de la berline de charbon, par un habile subterfuge, se trouve baissé de quelques centimes. Juste assez pour laisser les mineurs mourir à petit feu. Enflammés par les discours d’Étienne, les fosses de Montsou vont lancer un mouvement de grève qui va bientôt toucher toutes la région. S’ensuit alors le bras de fer bien connu entre le directeur de la mine et les grévistes. Malheureusement, les choses ne se passent jamais comme on le souhaiterait, même dans les romans.
La force du roman de Zola réside dans le brio avec lequel il mêle ses observations anthropologiques du terrain à la narration de la vie de ce bourg minier. De nombreux personnages prennent place dans ce décor morne et brun, tous employés à diverses positions dans la mine ou dont la vie découle de quelques manières que ce soit de la mine. Les enfants, par exemple, utilisent les anciennes fosses comme moyens de mener une vie parallèle, délivrés de leurs parents. De même, les femmes plus âgées ont des postes moins physiques, s’il en ait, comme trier le charbon une fois revenu à la surface. La famille de Maheu, chez qui Étienne loge un temps, sert de point de focalisation sur les mœurs des miniers et sur leurs façon de vivre : on décrit leur intérieur, les rapports de genre qui président aux relations humaines, les relations de voisinages, le fonctionnement des jours de congés, les rares moments de détentes que les mineurs connaissent, tout est montré, avec une ambition sociale qui ne fait pas défaut.
Par souci de contraste, Zola introduit des personnages considérablement plus aisés, des bourgeois enrichis et une petite aristocratie qui tient son pouvoir de l’argent produit par les mines. Il y a d’abord la famille Grégoire puis le propriétaire de la mine, les Hennebeau. Si l’auteur s’était attaché à décrire les intérieurs et les repas des mineurs, il semble s’en donner à cœur joie pour la classe dominante. Ils sont gras, joufflus, replets, mangent des bonnes choses et vivent dans un intérieur où il fait trop chaud, c’est-à-dire qui est trop chauffé, un luxe donc. Ces descriptions éclairent la misère des autres personnages d’un fort contraste, qui tourne, il est vrai, parfois à la caricature.
S’il est une grande scène à retenir, c’est celle qui se tient pendant la grève. Après des semaines de privations, une fureur, presque antique, saisie les habitants et les habitantes de Montsou. Ils arpentent les plaines dans des mouvements frénétiques de foule où ils s’en faut de peu pour qu’ils ne réduisent pas en cendre toutes traces de vie. Ce moment de folie culmine lors de l’essai de fuite de Maigrat. Il s’agit de l’épicier, un personnage répugnant qui n’accorde de crédits aux femmes de mineurs seulement si elles consentent à se laisser violer, elles ou leurs filles quand elles sont trop vieilles. Ce personnage devient le bouc-émissaire du groupe rassemblant toutes les femmes. Il se tue en essayant de grimper une toiture et le corps roule au milieu du groupe. Il s’ensuit une scène assez abrupte où les femmes de Montsou émascule le cadavre de l’épicier, la vengeance aux yeux.
Zola s’interroge aussi sur le phénomène politique qu’est le socialisme, a tel point qu’il présente un personnage dont la conception politique est bien différente de celle des mineurs. Il s’agit de Souvarine, qui a émigré de Russie pour avoir rater un attentat et tuer des innocents. Ce personnage, dont la femme a été pendue pour son acte, fait preuve d’un socialisme radical. Selon lui, le compromis avec le directeur ne peut fonctionner, seule la logique révolutionnaire de table rase du passé est la bonne voie. Ce personnage et sa façon de penser auront une influence décisive sur le dénouement du roman.
En définitive, ce roman dresse un portrait acerbe des conditions de travail des mineurs, mais également des mineurs eux-mêmes. S’il y avait quelque chose à remettre en cause dans ce roman, c’est bien un certain voyeurisme avec lequel Zola étudie la vie des communautés. On sent presque une jouissance du vulgaire, de la description sordide des mœurs légères des filles, de la crasse et des corps. De plus, l’échec total de toute forme de révolte des mineurs contre l’ordre social qui est établi et la remise en cause finale du personnage qui a lancé le mouvement de révolte revient à discréditer le principe de grève, et à lui préférer une vie rangée qui permet de gagner son pain durement. Il y a donc là une morale particulière, qui résonne différemment aujourd’hui. Zola cherchait sans doute à montrer les travailleurs brisés par leur essais de s’en sortir, et par là-même l’impossibilité qu’ils vivent de s’extraire de cette situation.