Tinykin – Petits personnages, grande aventure
Il y a des jeux que l’on lance sans attente particulière, simplement par curiosité. Après avoir vu un trailer de Tinykin j’ai voulu tenter l’expérience, poussé par une identité graphique qui m’avait tapé dans l’œil, sans savoir si j’allais accrocher à la proposition. À la fin de ma partie de Tinykin, après un peu plus de dix heures passées sur le jeu, j’étais souriant, content, détendu, et j’ai eu envie de citer une marque de distributeur français : “Nos régions ont du talent”.
Oui, Splash !
Splashteam est un studio de développement indépendant français localisé à Montpellier. Fondé en 2016 par Marie Marquet et Romain Claude, le studio a publié en 2017 son premier jeu, Splash, un plateformer exigeant et coloré qui n’a pas manqué de faire transpirer mes pouces, et que je vous recommande chaudement. Mais nous sommes ici pour parler de Tinykin, le second jeu de Splashteam, sorti en fin d’été 2022 et dont les prémices remontent 3 ans plus tôt.
Retour à la Global Gamejam de 2019 où il était demandé aux équipes de créer un jeu en 48h sur le thème “What home means to you ?”. Ainsi naquit Bubble Town, un jeu, vu du dessus, où l’on incarne un petit personnage dont la maison et le jardin sont entourés dans une bulle rassurante et lumineuse. Au-delà de cette limite s’étend une forêt sombre et mortifère où sont perdus nos amis (je suppose). À nous d’aller les chercher pour les ramener dans notre radieux havre de paix, sans traîner pour ne pas que les ténèbres de la forêt aient raison de nous. Un concept simple, efficace et disponible auquel vous pouvez jouer gratuitement, le jeu étant téléchargeable sur itch.io. Nous sommes encore loin du concept de Tinykin, qui prendra même le nom de Sbirz entre temps (ce qui est toujours le cas sur la page Linkedin du studio), mais deux idées vont survivre aux années de développement du jeu, la bulle et le foyer comme centre d’attention.
Ridmi a story
Dans Tinykin, nous incarnons Milodane, un archéologue originaire de la planète Aegis, dans un futur très lointain. Persuadé qu’Aegis n’est pas la planète d’origine de l’humanité, contrairement à ce qui est inculqué, il décide de partir à la recherche d’un signal spatial pour trouver le premier foyer des humains. Son entreprise est couronnée de succès quand il détecte une possible preuve d’activité humaine sur une planète lointaine. Sans attendre, il se rend sur ce qui s’avère être la Terre et débarque dans une maison, apparemment au début des années 90. À peine arrivé, Milodane se retrouve confronté à trois problématiques : son dispositif de transport est hors-service, aucun humain n’est visible à l’horizon et il s’avère que sur Terre Milodane fait la même taille qu’une pièce de monnaie. Heureusement pour lui, il est accueilli par une mite non belliqueuse (ceci n’est pas une contrepèterie), Ridmi, qui semble avoir les plans pour lui fabriquer un vaisseau. Pour cela, Milodane doit récupérer des composants surprenants, un masque de ski, un entonnoir ou encore des ciseaux. Dans son entreprise, il est aidé par de petites créatures, appelées Tinykin, qui présentent des capacités variées selon leur couleur et lui obéissent au doigt et à l’œil.
Le déroulement de Tinykin est simple, Ridmi nous débloque une pièce de la maison où vivent différents insectes. Dans chacune de ces salles se trouve un des composants nécessaire pour notre vaisseau mais qui ne sera obtenu qu’après avoir réalisé une mission spécifique. Cela peut aller de l’organisation d’une soirée Ibiza pour des poissons d’argent, réussir à faire jouer un cd de musique dans une chaine Hifi pour satisfaire des mantes littéralement religieuses ou aider au bon déroulement d’une course automobile entre frelons avides de vitesse, de virages serrés et de prises d’aspiration. Une fois la quête énoncée, nous partons explorer la pièce de fond en comble. En chemin, nous libérons plusieurs tinykins qui nous suivent dans une procession bigarrée. Chaque nouvelle salle nous présente un nouveau type de tinykin dont les capacités dépendent de la couleur. Les roses peuvent déplacer et soulever les objets, pour peu que nous en ayons assez selon le poids de la cible, les rouges peuvent faire exploser certaines structures, les verts peuvent s’empiler pour créer une échelle de fortune et nous permettre d’atteindre des zones initialement inaccessibles etc. Le jeu a la sympathie de nous signaler les objets et structures avec lesquels nos tinykin peuvent interagir grâce à un ciblage automatique, et sélectionne automatiquement le type adapté. Il n’y a que les verts que nous pouvons disposer où bon nous semble et les bleus qui nécessitent un placement un peu plus précis et organisé pour obtenir l’effet escompté.
Milodane quant à lui possède deux mécaniques qui facilitent ses déplacements : un savon élimé qui permet de glisser rapidement sur le sol et de jouer les mini Tony Hawk en slidant sur des rebords de meubles ou des fils d’insectes et une bulle permettant de flotter temporairement dans les airs ou d’éviter une chute mortelle depuis le haut d’une porte de frigo. Les missions confiées à Milodane sont loin d’avoir une résolution évidente, et il faut obligatoirement passer par une exploration minutieuse de chaque pièce pour comprendre quelles interactions vont nous permettre d’arriver à nos fins. Au passage nous libérons un maximum de tinykins pour ne pas nous retrouver bloqué par manque d’assistant. Le parcours dans chaque recoin des différentes zones du jeu permet de participer à des missions secondaires qui nous récompensent via des objets qui finiront dans un musée dédié. Leur descriptif s’avère être utiles à une compréhension anticipée (avant la cinématique de fin) du mystère derrière cette curieuse Terre sans humain, figée dans les années 90 où les insectes ont bâti leurs propres églises et hôpitaux de fortune. En plus de ces quêtes principales et secondaires, nos pérégrinations nous permettent aussi de récolter du pollen qui débloque des bulles supplémentaires pour flotter plus longtemps dans les airs et atteindre des recoins inaccessibles par d’autres moyens. Je ne peux que vous recommander de ne pas négliger cet aspect du jeu tant il facilite l’exploration tôt dans l’aventure.
Il est impossible de perdre dans Tinykin. Il n’y a aucun ennemi, aucun combat, et si Milo «meurt» en cas de contact avec de l’eau (l’animation est magnifique) ou de chute importante, c’est pour réapparaître aussitôt là où il se trouvait juste avant. Tout cela participe à une prise en main agréable dès les premières minutes et jusqu’au bout de l’aventure. Visuellement Tinykin présente des personnages en 2D dans un univers 3D. Un mélange qui peut surprendre mais offre au jeu une patte graphique notable et réussie. L’aventure nous fait parcourir 6 pièces de la maison, qui sont autant d’univers divers et variés, pour une durée de jeu s’étendant sur une dizaine d’heures (en moyenne 90 minutes par niveau). Un temps que l’on ne voit pas passer, et qui peut aisément se découper en session concentrée sur une seule pièce.
Côté musical, c’est Alexis Laugier qui a endossé la casquette de compositeur et sound designer pour Tinykin. Présent depuis les prémices du jeu et la game jam qui a vu naître Bubble Town, il a pu travailler avec les équipes de développement dès le début du projet. Plutôt libre dans sa création, Alexis Laugier s’est vu proposer une création proche de celle de Pascal Michael Stiefel pour A Hat in Time. Et effectivement la douceur et la malice qui se dégage des musiques de Tinykin peuvent rappeler celles du jeu de Gears for Breakfast. Mais s’arrêter à cette comparaison ne serait pas faire honneur à l’univers sonore qu’a crée Alexis Laugier pour le jeu. Au travers de la bande son de Tinykin c’est toute la nostalgie des films des années 90 dont on a usé les VHS jusqu’à la corde (ou la bande) qui nous revient. L’utilisation de la thérémine dans certains morceaux colle parfaitement au côté comédie de science-fiction du jeu (pour ma part j’associe éternellement cet instrument à Mars Attack). Et comme si tout cela ne suffisait pas, la musique de Tinykin est adaptative avec des variations selon notre localisation dans la pièce ou notre avancée dans la réalisation de la quête demandée. En étant compositeur et sound designer, Alexis Laugier a pu avoir beaucoup de liberté dans l’implémentation de ses musiques, mais aussi réaliser les bruitages du jeu, en particulier ceux des tinykins. Des onomatopées drolatiques qui, souci du détail qu’on apprécie, se calent sur le rythme de la musique du niveau. Après des compositions radicalement différentes pour Road 96 et Have a Nice Death (mais de toute aussi grande facture), les musiques de Tinykin nous montrent l’étendue de la maîtrise d’Alexis Laugier qui, loin de s’enfermer dans un seul style, arrive à nous surprendre de jeu en jeu.
Milo une patte
En incarnant Milodane dans les différentes pièces de la maison on rencontre des bousiers timides, des poissons d’argent fêtards, des frelons intrépides, un mante parano, des fourmis revendicatrices… Cette aventure nous plonge dans une douce candeur sucrée. On peut s’émerveiller devant le génie du level design qui transforme un skateboard en pont, une boîte à pharmacie en hôpital de fortune, des éponges en verte prairie, un xylophone en escalier, un empilement de VHS en promontoire etc. Chaque pièce est un monde, un microcosme cohérent débordant d’idées tant dans l’architecture, via le détournement d’objets du quotidien, que dans les dialogues des PNJ (personnages non joueurs). À la tête d’une procession de tinykins, on parcourt chaque recoin de la maison conscient qu’il y a aura toujours une récompense à la clé. Pas forcément un objet ou une résolution de quête. Cela peut aussi être des détails qui font l’âme de Tinykin comme d’astucieuses idées de construction ou des dialogues faisant référence avec humour à la mort de Socrate ou aux mésaventures mécaniques de Raikkonen (ancien pilote de Formule 1). L’exploration, initialement animée par l’envie de résoudre une quête, devient un plaisir où nos yeux fureteurs cherchent la prochaine idée de génie des développeurs qui nous fera sourire. Sans se forcer, on vire complétionniste, simplement par le plaisir de la découverte, entretenu par une absence de linéarité, une verticalité maîtrisée et une maniabilité manette en main qui ne nous trahit jamais. Chaque niveau est un mini open world débordant de vie et de combinaisons improbables d’objets que l’on arpente sans voir le temps passer. Tinykin est un jeu parfait pour se détendre, pour retrouver un peu de cette innocence et de cette imagination perdue avec les années. À l’image de certains films d’animation Pixar ou Dreamworks, il convient aux enfants tout en parlant aux adultes au travers de références nostalgiques et plus matures.
Vous pouvez trouver Tinykin sur PS4/5, Xbox Series (Il est toujours dans le Gamepass à la sortie de cet article), PC, et Switch
Valentin C.