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Alan Wake Remastered – Come on baby, light my fire

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Alan Wake Remastered, sorti sur consoles Xbox/Playstation et PC en octobre 2021, est une nouvelle édition du jeu de base datant de 2010, bénéficiant d’une mise à jour graphique appréciable. Pour autant l’article qui suit n’a pas pour vocation de vous parler des changements entre ces deux versions mais du jeu en lui-même pour quiconque souhaiterait vivre aujourd’hui les angoissantes aventures de cet écrivain tourmenté.

Chercher Remedy à quatorze heures

Au regard de l’histoire de sa création, de sa sortie et de son scénario, il est difficile de dire qui a vécu le plus de péripéties entre Alan Wake le jeu et Alan Wake le personnage.

En 2005, quand le projet Alan Wake fut annoncé à l’E3, il n’en était qu’à ses balbutiements, et chez Remedy personne ne s’attendait à ce qu’il faille cinq longues années pour en venir à bout. À l’époque, ce studio de développement finlandais était connu pour ses deux précédents jeux, Max Payne et sa suite, des jeux d’action en vue à la troisième personne. Reçus très positivement par la critique ils relataient l’histoire de Max Payne, un flic dépressif après le meurtre de sa femme et de son bébé (qui ne le serait pas), qui infiltre puis démantèle un réseau mafieux, à coup d’indigestion de plomb. L’histoire est sympa, le personnage de Max Payne fonctionne bien malgré le fait qu’il soit stéréotypé, et l’intégration du système de bullet time, popularisé par les soeurs Wachowski dans la trilogie Matrix, le fait se démarquer des autres jeux du genre. Après ces succès, Remedy est attendu. Il n’y a plus d’effet de surprise et le studio finlandais décide de partir vers un tout autre univers.

C’est ainsi que né l’histoire d’Alan Wake, écrivain en panne d’inspiration, qui se retrouve coincé dans une ville de la campagne nord-ouest américaine, à combattre des entités couverte d’obscurité. Pensé initialement comme un monde ouvert, le jeu devait tourner sur un système de jour/nuit, offrant des moments de répit avant que l’action ne prenne le dessus, dans une ambiance survival-horror, une fois le soleil couché. Parmi les ennemis nocturnes se trouveraient une entité-portail qui ferait apparaitre sans cesse des créatures jusqu’à ce qu’on finisse par lui régler son compte. Telle était l’idée initiale sur laquelle les équipes de Remedy ont planché pendant 3 ans avant de réaliser que cela ne fonctionnait pas comme ils le souhaitaient. Après 36 mois de travail, plusieurs membres de l’équipe, dont Sam Lake, le scénariste du jeu, décident de former une petite équipe nommée le “Sauna Group” (les finlandais et le sauna c’est une longue histoire). Cette équipe avait pour dure mission de décider ce qui devait rester ou non dans la refonte totale du jeu.

Dans ce remaniement, Alan Wake perd son coté monde ouvert et devient linéaire. Sa temporalité jour/nuit n’est plus tributaire du temps passé en jeu mais suit un script prédéfini. Afin d’articuler tout ça le jeu est repensé en épisodes à la manière d’une série télé. Le gameplay est simplifié avec notamment la disparition d’une mécanique de gestion de la météo, et l’entité-portails finit à la corbeille.

Ça va couter cher en Duracell cette histoire


Après 2 ans de reconstruction, Alan Wake finit par sortir en mai 2010, édité par Microsoft Game Studios, en exclusivité sur Xbox 360. Il faudra 2 ans d’attente supplémentaire  pour que les possesseurs de PC puisse s’essayer au jeu. Quant aux joueurs Playstation ce n’est qu’avec la version remasterisée de 2021 qu’ils se voient autorisés à découvrir les aventures d’Alan Wake. On pourrait penser qu’une fois le jeu sorti, les galères deviendraient de l’histoire ancienne, mais il n’en est rien. Alan Wake disparaît purement et simplement de toutes les plateformes d’achat en ligne, de mai 2017 à octobre 2018, suite à l’expiration des droits sur certaines musiques utilisées en jeu (Space Oddity de David Bowie, Coconut de Harry Nilsson, In Dreams de Roy Orbison…). Avant la sortie du remastered (et c’est peut-être ce qui a motivé ce travail), Remedy se met en tête d’offrir une suite à Alan Wake. Malheureusement les droits de la licence sont détenus par Microsoft Studios. Ils ne pourront les acquérir qu’en 2019, après avoir obtenu assez de royalties pour se le permettre.

Cette longue introduction avant de vous parler du jeu est un bon rappel de la complexité qui se cache derrière chaque création vidéoludique, et que la sortie d’un titre ne signifie pas toujours, et loin de là, la fin des galères pour les studios de développement.

Démo des maux des mots démodés

Alan Wake nous conte l’histoire de l’auteur fictif éponyme, dès son arrivée à Bright Falls, une petite ville rurale de l’Etat de Washington. Accompagné de son épouse, Alice, il compte sur ces quelques jours de congés, dans un chalet au milieu d’un lac, pour se ressourcer et peut-être vaincre ce syndrome de la page blanche qui le hante depuis deux ans et son dernier polar à succès. Malheureusement, dès la première nuit sur place, Alice disparaît dans les profondeurs du lac. À peine a-t-il le temps de plonger dans l’eau pour la sauver qu’il se réveille dans sa voiture après ce qui semble être un accident de la route. Sonné, confus, le front en sang, ne comprenant pas ce qu’il vient de lui arriver, il part à la recherche d’aide dans la forêt montagneuse. Après quelques pas, il trouve au sol une page de manuscrit portant le titre du livre qu’il n’arrive pas à écrire. S’agit-il de sa future création ? Comment cela est-il possible ?

Les mystères ne font que s’accumuler quand il s’avère que les événements de la page se réalisent bel et bien, au moment où Alan est attaqué par un homme armé d’une hache et enveloppé dans une brume ténébreuse.

Nous voilà prévenu

Ainsi débute la mystérieuse et éprouvante aventure d’Alan Wake. Cette dernière se divise en deux parties. En journée Alan tente d’obtenir de l’aide pour retrouver son épouse, dans un Bright Falls moins dangereux que la nuit tombée, mais dégageant une atmosphère pesante et nullement rassurante. De nuit, sa quête pour retrouver Alice le pousse à sortir et parcourir la ville et ses chemins montagneux, malgré un danger permanent auquel il tente de survivre avec des armes et une lampe torche. Loin de ne servir qu’à éclairer le chemin, la lampe torche est un élément central du gameplay d’Alan Wake. Là où certains survival-horror nous poussent à tirer instinctivement sur nos ennemis, Alan Wake nous impose de les éblouir, de les recouvrir de lumière pour les rendre vulnérables à nos balles. Cela génère une double gestion du matériel avec la crainte d’épuiser nos munitions mais surtout les piles de notre lampe torche (qui s’usent exceptionnellement vite, pire que dans une Game Gear). Pour ma part, j’ai fait le jeu en facile et cette gestion est fortement simplifiée par l’abondance du matériel, disposé au fil de notre parcours. Cela m’enlevait une petite part de stress, me considérant déjà bien servi par la mise en scène des combats, à la fois prévenante et oppressante. Alan Wake a la sympathie de nous prévenir quand des ennemis arrivent, avec un recul caméra qui nous permet d’apprécier leur position. Il autorise aussi quelques esquives nécessitant un bon timing mais récompensées par un ralentissement de l’action (rappelant les bullet-time de Max Payne) pour affiner notre prochain geste. En contrepartie, il est aisé de se perdre dans nos déplacements et de devoir gérer des ennemis venant de plusieurs positions. L’attention portée à la maladresse et l’absence d’endurance d’Alan Wake est appréciable. Par cet aspect, le jeu nous rappelle que nous contrôlons un écrivain et non pas un ancien membre des forces spéciales. Cela peut paraitre un détail mais ça change des archéologues ou bibliothécaires qui se révèlent maitre artilleur, expert en krav maga et champion du monde parkour. Les phases de nuit enchaînent les combats entrecoupés de petites scènes nous permettant de souffler un peu. Comme écrit plus haut, Alan Wake a été entamé comme un monde ouvert avant de se voir imposer un style linéaire. Cela est évident manette en main au travers d’une certaine rigidité dans la direction à prendre, mais lorsque le paysage, pour ne pas dire le level-design, nous le permet, il est toujours malin de sortir des chemins déjà tracés. Même si le remastered est une réussite sur le plan graphique, Alan Wake n’arrive pas à cacher ses 13 ans (le jeu initial étant sorti en 2010). Avec cette nouvelle version, les textures et surtout la luminosité (qui est un élément primordial du jeu) ont été nettement améliorées. Cependant le gameplay présente toujours une certaine rigidité et une répétitivité qui peuvent freiner à l’idée de se lancer dans cette aventure. Mais ce serait négliger les qualités du jeu.

King for a day

La force d’Alan Wake est dans sa narration et son rythme. Tout au long de l’aventure, Alan tient le rôle de protagoniste principal et de narrateur. Alors qu’il trouve, une à une, les pages de ce qui semble être le manuscrit qu’il n’arrive pas à écrire, et que les faits qui y sont relatés se réalisent, l’auteur américain narre, oralement, l’histoire que nous vivons manette en main. Cela donne une sensation de fusion des différents murs. Nous incarnons Alan Wake, qui nous conte son aventure, alors qu’il tombe sur les pages de ce qui semble être son futur livre, lui relatant ce qu’il vient de vivre et ce qui l’attend. On pourrait croire qu’un peu de paracétamol est indispensable avant de lancer une partie, mais il n’en est rien. Tout est fluide une fois en jeu. Le découpage du scénario en épisodes distincts, avec un générique de fin au terme de chacun, offre même un côté « série télévisée » qui permet de souffler tout en nous maintenant impliqué.

Où commence la fiction ?

Cet aspect de fusion des médias, sous une forme presque méta, fait écho aux inspirations et hommages que le jeu assume pleinement. Côté littérature, il y a du Stephen King de manière évidente et du H.P Lovecraft, côté série il y a du Twin Peaks et La Quatrième Dimension, côté cinématographique on peut citer Alfred Hitchcock, Stanley Kubrick ou John Carpenter. Jeu hommage, Alan Wake n’en oublie pas de forger sa propre identité, et sa propre mythologie. Ses clins d’œil ne l’empêchent pas de se placer en digne représentant, à part entière, du genre qu’il adopte. Il sait ce qui fait la force de ces histoires où une oppressante et pernicieuse irrationalité épouse la banalité de la ruralité américaine. Même lorsque le danger n’est pas palpable, il règne une atmosphère dérangeante qui ne nous lâche jamais. Il y a tant de choses inexpliquées, et le récit joue avec les notions de rêve et de réalité nous laissant aussi dubitatif qu’Alan face à tout ce que dont on est témoin. À noter que la fin du jeu n’est pas des plus explicites, laissant des portes ouvertes pour une suite, attendue. Pour l’heure il nous revient de trouver nos propres réponses aux questions qui en demeurent dépourvues.

Outre les musiques qui concluent chaque chapitre (et qui ont causé bien des soucis à Remedy), et une bande son discrète mais efficace signée en partie par Petri Alanko, Alan Wake possède une des scènes de musique diégétique les plus mémorables du jeu vidéo. Un moment qu’il serait dommage de vous raconter ici mais qui reste dans la mémoire de toute personne ayant joué au jeu. Un exploit que Remedy réalise de nouveau dans Control, avec encore plus de maitrise. Dans les deux cas, il s’agit de l’interprétation d’un groupe de rock à la fois réel et fictif. De quoi se demander, même une fois la partie terminée, où se trouve la frontière entre rêve et réalité ?

Alan Wake Remastered est accessible sur PC, PS4/5, Switch, et Xbox

Valentin C