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Littérature

Le Restaurant de l’amour retrouvé – Ito Ogawa

Pour cette découverte littéraire de la semaine, Le Tote Bag vous propose de plonger dans l’univers savoureux du roman Le Restaurant de l’amour retrouvé par l’autrice japonaise, Ito Ogawa.

Comment se remettre d’une trahison lorsque presque tout dans votre vie vous a été retiré par la personne que vous aimiez ? C’est la question que se pose le lecteur du roman après avoir pris connaissance de la situation de Rinco, jeune adulte au cœur brisé par son amant l’ayant abandonnée sans rien laisser derrière lui.

En effet, l’histoire commence ainsi, dans l’appartement vide que Rinco découvre en rentrant du restaurant Turc dans lequel elle travaille. Cet appartement, elle le partageait avec son petit-ami et y avait construit une vie paisible qui lui convenait tout à fait ; sans fioritures ni extravagance, elle avait cherché à se séparer du quotidien loufoque de sa mère résidant dans la campagne japonaise.

Son quotidien ayant été bouleversé par le départ impromptu de son petit-ami, Rinco a perdu sa voix à la suite du traumatisme qu’elle a vécu et a dû renoncer à sa tranquillité pour se relever de cette épreuve. Rentrée chez sa mère, sa relation conflictuelle avec cette dernière ne l’empêche cependant pas de réaliser son projet personnel : ouvrir son propre restaurant qu’elle nomme par la suite : l’Escargot. La cuisine est son médium de communication de prédilection et est une passion qu’elle partageait avec sa grand-mère maternelle. Sa pratique culinaire lui permettra à elle mais également à ses clients de dire l’indicible à travers une variété de plats concoctés spécialement pour chaque client, après avoir fait leur connaissance et évalué leurs besoins.

Ainsi, il est question entre autres dans ce roman, de guérison et de communication, tout en se détachant de la contrainte liée à la parole et aux mots. Le personnage cherche donc à guérir par la cuisine notamment à travers la spiritualité qui lui est associée ; elle invoque des divinités qui la guident dans sa pratique et chaque plat est le résultat matériel de ce qu’une prière a de plus intangible.

Le titre peut vouloir dire beaucoup ; de quel type d’amour parle-t-on ? D’un amour charnel, qui pourrait être la première chose venant à l’esprit du lecteur après avoir fait le constat de la situation de Rinco ? Ou bien est-il question d’amour propre comme pourrait l’indiquer le titre, et donc de retrouvailles avec soi-même ? Enfin, il est crucial d’évoquer l’amour maternel tant la relation entre Rinco et sa mère tient un rôle prépondérant dans la narration. Leurs retrouvailles les obligent à réapprendre à se connaître et leur permettent de briser des années de non-dits ; il n’y a pas de normalité en amour, il n’y a que la complexité de chaque individu impliqué dans la relation qu’il entretient avec autrui.

Exemple d’un curry, plat revisité par Rinco dans le roman.

Enfin, il se pourrait également que ce roman soit une ode à la cuisine tant les pages dédiées à la description des plats concoctés par Rinco sont minutieusement détaillées, mettant en scène une pratique culinaire presque religieuse. La lecture est marquée par cette impression de réalisme ; les plats, même inconnus, s’assemblent dans l’esprit du lecteur au fur et à mesure que Rinco les prépare et la précision de la description est telle que la vue n’est plus le seul sens stimulé puisque le goût et l’odorat semblent presque être trompés par l’aspect graphique de chaque description. En un sens, ce livre permet aux lecteurs de faire l’expérience de la synesthésie de par sa simple lecture, autant grâce à la cuisine de Rinco qu’aux émotions qu’elle provoque chez ses clients.

Ainsi, Le Restaurant de l’amour retrouvé met en scène un lieu au sein duquel les personnages qui s’y rendent y trouvent une forme d’amour, celle qui leur correspond le plus à l’instant où ils franchissent le pas de la porte de l’Escargot. Ce roman est un hommage à la fois à la cuisine, à l’amour et aux choses certes transmises en silence mais pourtant si éloquentes.

Lise Semeria