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Briefing à l’Américaine: La Cour Suprême Américaine et l’élection d’Amy Coney Barrett

Capture d’écran d’une interview de Ruth Bader Ginsberg, par CBS Sunday Morning

La mort tragique de la Juge Ruth Bader Ginsburg six semaines avant les élections présidentielles américaines a laissé un siège vacant au sein de la Cour Suprême, entraînant des débats majeurs au sujet de l’institution. Le choix du Président Donald Trump de désigner Amy Coney Barrett pour la remplacer ayant par la suite été approuvé par le Sénat Américain, a d’autant plus augmenté les divisions partisanes, dans un pays qui fait déjà face à un virus persistant et qui subit des tensions raciales.

La Cour Suprême est la cour la plus importante des Etats-Unis. Elle a le pouvoir d’influer sur n’importe quel procès et peut invalider n’importe quelle décision qu’elle juge comme étant une violation de la Constitution Américaine. Composée de neuf juges, chacun de ses membres est nominé par le Président au pouvoir puis approuvé par le Sénat, et servira au sein de la cour à vie ou jusqu’à ce qu’il choisisse de prendre sa retraite.

Puisqu’il revient au Président de nommer ses membres, la Cour suprême n’est pas à l’abri des rivalités partisanes. Au contraire, comme la situation actuelle le prouve, il semblerait que la cour soit parfois l’épicentre d’une confrontation « Rouge vs. Bleu ». Cela s’explique notamment car, généralement, chaque président nomine un juge de sa propre couleur politique afin de faire en sorte que la branche judiciaire coopère avec l’exécutif. Ce système est en marche depuis la création de la cour. Sous le mandat du Président Trump, deux juges ont déjà été intronisés.

La question se pose ainsi naturellement : En quoi ce choix est-il si spécial cette fois-ci et quels seront les répercussions de cette nomination ? Pour l’exprimer de manière la plus succincte possible, il y a deux raisons principales.

Premièrement, l’élection de la candidate de Donald Trump à la Cour suprême est la nomination qui se rapproche le plus d’une élection présidentielle de l’histoire. serait la nomination qui se rapprocherait le plus d’une élection présidentielle de l’histoire. Ce manque de précédent a poussé des membres éminents du parti des Démocrates à soutenir que, du fait de la proximité entre la mort de Ruth Bader Ginsburg et l’élection présidentielle, les américains devraient avoir le choix d’exprimer leur opinion sur celui qui devrait être nommé à la Cour Suprême par leur vote lors de l’élection. Les Libéraux affirment que le Président élu le 3 novembre serait le plus « légitime » à choisir le prochain Juge puisqu’il incarnerait bien plus la volonté des américains actuellement.

D’autre part, l’élection d’un juge conservateur par le Président Donald Trump fait pencher la balance de la cour encore plus à droite, avec six juges conservateurs et seulement trois juges libéraux. Etant donné que les juges sont désignés à vie, une cour avec six juges conservateurs implique que la Cour Suprême sera orientée vers la droite des années encore après la fin du mandat de Donald Trump. Les juges actuels étant relativement jeunes, il est fort probable que l’on fasse face à une branche judiciaire conservatrice jusqu’à la prochaine fin de mandat présidentiel au moins.

Capture d’écran d’une interview d’Amy Coney Barrett sur la chaine Youtube de Notre Dame Law School

C’est donc au sein de ce contexte relativement houleux que le Président Trump a nominé la Juge Amy Coney Barrett. La Juge Barrett semble être le rêve des conservateurs : elle est une fervente catholique, mère de sept enfants dont deux adoptés, et provient d’un milieu extérieur à la prestigieuse « Ivy League » (composée de huit universités prestigieuses du Nord-Est du pays). Cela contribue à la consolidation de son image de « femme du peuple ». Elle a également été clerc pour l’ancien Juge Antonin Scalia, qui est certainement le juge conservateur le plus important de la Cour Suprême de ces 50 dernières années.

 En tant que juge, Barrett se définit comme étant une « Originaliste », c’est-à-dire qu’elle croit que la Constitution devrait être appliquée conformément à l’intention originale de ceux qui l’ont écrite. Chaque article de loi devrait être interprété en accord avec la signification qu’il avait à l’époque de sa proclamation. Cette vision est opposée à celle de penseurs plus libéraux qui croient que « l’esprit » de la loi est ce qui devrait être préservé, plutôt que de s’en tenir à sa stricte formulation.

A cause de la doctrine juridique de Barrett et de ses opinions concernant certains anciens cas juridiques, les Démocrates craignent les répercussions de son élection. En plus de faire pencher la Cour Supreme vers la droite, elle annulerait nombreuses réformes mises en œuvre par une cour plus modérée. 

La peur des Démocrates met en lumière deux problèmes principaux : la question de l’avortement et un accès aux soins médicaux abordables. Par le passé, Barrett a dit qu’elle défendait « le droit à la vie de la fertilisation jusqu’à la fin naturelle de la vie » et qu’elle était contre « l’avortement à la demande ». De plus, elle a laissé entendre que, bien que l’avortement soit légal depuis l’affaire Roe contre Wade, elle autoriserait les Etats à restreindre cette pratique. Ainsi, même si elle n’a jamais émis d’opinion judiciaire sur l’avortement, il semblerait qu’elle se positionnerait en faveur d’une limitation de celui-ci si un tel cas se présentait devant la Cour Suprême.

Le problème des soins médicaux abordables semble être encore plus urgent puisque la Cour Suprême a prévu d’entendre un témoignage d’un cas pour annuler la Loi sur la protection des Patients et les Soins Abordables (également appelée « Obamacare »), deux semaines après l’élection présidentielle du 3 novembre prochain. Les Démocrates craignent que Barrett devienne le membre conservateur décisif qui pourrait se positionner en défaveur de cette loi et priver des millions d’américains de cet accès abordable aux soins médicaux dont ils ont bénéficié depuis 2011.

Apres la confirmation de sa nomination la semaine dernière, les Démocrates ont toujours du mal à accepter cette vérité. Il y a eu des rumeurs selon lesquelles ils ajouteraient un dixième membre à la Cour Suprême si Joe Biden se faisait élire. Biden et Kamala Harris ont évité les questions à ce sujet, car cela pourrait induire un précédent important qui causerait des dommages permanents à la crédibilité de l’éminente Cour Suprême.

Néanmoins, les Démocrates peuvent toujours tirer du positif de cette situation. La nomination d’Amy Coney Barrett si proche du jour de l’élection a démontré, par des preuves accablantes, la capacité du Président Trump à changer le statu quo américain de relativement modéré à conservateur. Les modérés peuvent ainsi percevoir cette nomination comme étant un signal d’alarme pour voter pour le candidat le plus modéré : Joe Biden. Les analystes ont déjà commencé à montrer qu’une situation aussi drastique pourrait mener à un réveil plus important des modérés et des démocrates le 3 novembre prochain.  Les Démocrates devront finalement peut-être sacrifier le judiciaire pour gagner l’exécutif.

En dépit de la manière dont cette élection se déroule, une chose est claire : les institutions des Etats-Unis sont en pleine phase de test. La manière dont elles vont s’en sortir dans les prochaines semaines sera certainement une étude de cas très intéressante sur les fondations politiques, mais également la philosophie qui sert de support à la politique américaine.

 Plus de sources sur la Cour Suprême et la Constitution Américaine :

• Le Fédéraliste.

• La Constitution Américaine.

• The Oxford Companion to the Supreme Court of the United States.

• Le site internet de la Cour Supreme : https://www.supremecourt.gov/