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Suppression du droit à l’avortement : qu’en dirait Simone ?

Depuis l’annonce de l’annulation par la Cour Suprême des Etats-Unis de l’arrêt Roe vs Wade, il est possible pour les 50 États du pays d’interdire ou de restreindre le droit à l’avortement. Cette décision impose un retour en arrière aux femmes américaines qui manifestent dans les rues, munies de cintres et de slogans. 

En cette période de recul du droit des femmes, je repense à celle qui leur a permis d’exister en France : Simone Veil. Petite fille juive rescapée de la Seconde Guerre mondiale, qui revient des camps de concentration sans son père, sa mère et son frère, cette dernière devient femme politique dans les années 70 et est nommée, dès 1993, Ministre d’Etat des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville sous le gouvernement d’Edouard Balladur. C’est très largement grâce à elle qu’aujourd’hui des milliers de femmes peuvent avoir recours à l’avortement. 

“Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes”

La détermination d’une femme, plus forte que la polémique

Valéry Giscard d’Estaing, alors Président de la République, avait demandé à ce que le projet de loi pour la dépénalisation de l’avortement qu’il avait promis lors de sa campagne soit présenté aux députés. Il incombait à l’origine au Garde des Sceaux, Jean Lecanuet, de s’en charger. Il refusa pour des raisons “d’éthique personnelle”, ce qui explique le fait que la Ministre de la Santé de l’époque proposa la loi. 

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Nous sommes le 26 novembre 1974 à l’Assemblée Nationale. Simone Veil se tient debout devant les députés, son discours marqué sur un bout de papier. Il est resté en mémoire comme étant très émouvant.                                                                

« Je le dis avec toute ma conviction : l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue. Mais comment le tolérer sans qu’il perde ce caractère d’exception, sans que la société paraisse l’encourager ?

Je voudrais tout d’abord vous faire partager une conviction de femme. Je m’excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d’hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes […]»

Le vote de cette loi pour dépénaliser l’avortement suscite des débats virulents, opposant la gauche à la droite. Jean Foyer, leader de la droite, interpelle la ministre : 

“N’en doutez pas : déjà des capitaux sont impatients de s’investir dans l’industrie de la mort et le temps n’est pas loin où nous connaîtrons en France ces « avortoirs », ces abattoirs où s’entassent des cadavres de petits hommes et que certains de mes collègues ont eu l’occasion de visiter à l’étranger.”

Simone ne l’écoute pas. C’est après 25 heures de débat que la loi est finalement adoptée. 284 voix contre 189, grâce aux partis de gauche et du centre. C’était le 29 novembre 1974 à 3h40 du matin. 

Aux prémices de la loi Veil : le retentissant procès de Bobigny 

Quelques années avant la promesse de Giscard d’Estaing, en 1972, se tient le procès de Bobigny, où cinq femmes (une mineure et quatre majeures) sont accusées d’avoir pratiqué l’avortement illégalement. Marie-Claire Chevalier, alors âgée de 16 ans, victime d’un viol par un garçon de son lycée, avait été aidée dans sa démarche par sa mère et trois de ses collègues. Mais dénoncées par le violeur, toutes cinq se retrouvent devant les tribunaux.

Quand le verdict tombe en novembre 1972, Marie-Claire n’écope d’aucune peine, sa mère (Michèle Chevalier) est condamnée à verser 500 francs d’amende avec sursis, et ses “complices” (Lucette Dubouchet et Renée Sausset) sont relaxées. Enfin, Micheline Bambuck est condamnée à un an de prison avec sursis et à une amende, pour avoir pratiqué l’avortement.

Le procès, dont la figure phare fut l’avocate de la défense Gisèle Halimi, connaît un énorme retentissement dans toute la France et contribue ainsi à l’évolution des mentalités en faveur de la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse. De nombreux médias et quotidiens prennent part dans cette affaire, la renommant “L’affaire Marie-Claire”. On fait d’elle une héroïne, on la protège, on écrit son nom partout… Le Figaro fait sa une du 23 novembre 1972 sur cet avortement précisément. Il y fait témoigner le professeur Paul Milliez et le prêtre Michel Riquet, deux hommes pour qui l’avortement devient parfois nécessaire lorsqu’il s’agit de sauver la vie de la mère.

Le lendemain du procès, France-Soir publie en une la photo du professeur Milliez, titrant “J’aurais accepté d’avorter Marie-Claire”. La sensibilisation sur le sujet atteint les magistrats eux-mêmes : de 518 condamnations pour avortement en 1971, on en dénombre 288 en 1972, puis seulement quelques dizaines en 1973. C’est donc le retentissement considérable de ce procès qui conduit à la loi Veil sur la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse.

L’héritage de Simone Veil et Gisèle Halimi fragilisé

En France, le droit à l’avortement n’est pas remis en question, du moins pas par la loi. En 2020, 222 000 femmes ont eu recours à l’IVG (interruption volontaire de grossesse). Elles n’avortent pas par plaisir, contrairement à ce que pensent certains, mais par choix. A-t-on réellement envie d’élever un enfant issu d’un viol, alors que l’on a 17 ans et que l’on manque des ressources financières nécessaires ? L’avortement est une décision importante qui touche à la part la plus intime de nous mêmes, où la concernée, plus que le conjoint ou la famille, doit avoir le dernier mot.

Aujourd’hui enterrée au Panthéon, aux côtés des plus grands, Simone Veil a rejoint les quelques femmes déjà présentes, dont Marie Curie et Germaine Tillion. Que dirait-elle si elle revenait à la vie pour constater que le droit pour lequel elle s’est battue et qu’on considérait comme acquis commence à se voir remis en question ?

Jeanne Gazel