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La parité dans les gouvernements : des objectifs sans réalité

Avant la nomination d’Élisabeth Borne, le profil recherché par E. Macron du prochain locataire de Matignon a fuité dans la presse. On pouvait alors lire que le Président cherchait « une femme, de gauche, capable de représenter la lutte contre le dérèglement climatique » (La Depêche). Le premier critère, celui d’être une femme, est apparu essentiel. Aujourd’hui, l’équipe à la tête de l’État est composée d’un homme et d’une femme. C’est la deuxième fois dans l’histoire de la République. Retour sur la place des femmes sur la scène politique et la parité dans les gouvernements.

Vge, le président de la modernité : une réforme centrale à la charge d’une femme

C’est la première fois qu’une femme accède à un poste qui fait d’elle une ministre tellement populaire que l’opinion publique ne connait pas son mari.

Simone Veil en 1984.

Tous les présidents de la Vème République ont mené une réforme sociale : de Gaulle réévalue les retraites, Pompidou conclut les accords de Grenelle qui accèdent aux revendications des grévistes de mai 68. Après VGE, Mitterrand légalisera la contraception pour toutes les femmes, etc. Tous les Présidents portent une réforme sociale qui bouleverse la vie des Français. C’est une manière politique d’entrer dans la postérité. VGE est le premier Président à confier à une femme cette charge : porter la réforme qui fera que 40 ans après son mandat, on se souvienne encore de lui.

Valéry Giscard d’Estaing est le premier Président à confier plusieurs ministères à des femmes en faisant entrer six femmes au gouvernement. En 1974, il confie le ministère de la Santé à Simone Veil qu’il charge faire adopter la loi pour dépénaliser et légaliser l’IVG. C’est la première fois qu’une femme est chargée d’une réforme importante qui la rend ministre de premier plan. C’est la première fois qu’une femme accède à un poste qui fait d’elle une ministre tellement populaire que l’opinion publique ne connait pas son mari.

Malgré ses conséquences heureuses, cette nomination est un calcul politique. Simone Veil confie dans son autobiographie Une vie que VGE avait besoin d’une femme pour porter la loi de légalisation de l’IVG. Le Président estimait que l’IVG concernait la santé des femmes et la vie de famille, donc qu’une femme serait plus à même de trouver les mots pour convaincre les parlementaires. Pour la première fois, il est admis qu’il vaut mieux affecter une femme à un ministère qui relève des caractéristiques sociaux de la féminité.

Une avancée sans parité : le mandat de Mitterrand

Édith Cresson en 2007.

Après VGE, François Mitterrand charge plusieurs femmes de ministères, sans que la parité ne soit pour autant atteinte. Dans ses gouvernements Mauroy, Fabius, Rocard ou Balladur, les femmes restent minoritaires et chargées de poste « féminin » tel que la Solidarité ou la Santé. Son mandat n’est pas marqué par la mise en avant de personnalités politiques féminines, sauf en 1991. Cette année-là, il frappe fort et nomme Édith Cresson Premier Ministre. Elle est la première locataire de Matignon, elle ne restera en poste que onze mois.

Elle raconte dans un entretien avec le Journal du Dimanche avoir souffert de l’absence de soutien de ses collègues du parti socialiste qui ont considéré qu’elle avait volé leur place et qu’elle n’était pas légitime pour occuper une telle fonction. De plus, elle a été nommée à une période particulièrement tendue pour l’Élysée, car elle est entrée en fonction un an avant les législatives de 1992, pour lesquelles aucun sondage ne prévoyait une majorité pour les partis de gauche. Une nomination féminine à un moment aussi critique a permis de rendre Édith Cresson partiellement responsable de l’échec de la gauche aux législatives, comme s’il valait mieux sacrifier une femme qu’une homme. De manière générale, elle dénonce le sexisme de la caste politique. Elle résume son passage à Matignon en indiquant que : « ce n’est pas le pays qui est machiste, c’est sa classe politique ».

Une vraie parité de départ qui ne manque pas de s’étioler.

Au moment de sa démission, trois ans après, il n’y a plus que deux femmes ministres, Valérie Pécresse et Roselyne Bachelot.

A son arrivée à l’Élysée, Nicolas Sarkozy affirme vouloir constituer un gouvernement paritaire. Dans le premier gouvernement Fillon, huit hommes et sept femmes sont nommés. Contrairement à ses prédécesseurs, Sarkozy est moins réticent à nommer des femmes à la tête de ministères régaliens (Ministères des Armes, de l’Intérieur, de la Justice, des Affaires Étrangères ou de l’Économie), traditionnellement occupés par des femmes. Ainsi, Rachida Dati est nommée au ministère de la Justice et Christine Lagarde est nommée Ministre de l’Économie. Si au moment de sa nomination, le gouvernement est presque paritaire, deux ans après il ne compte plus que cinq femmes. Au moment de sa démission, trois ans après, il n’y a plus que deux femmes ministres, Valérie Pécresse et Roselyne Bachelot. Toutes les autres ont démissionné ou ont été mises à la porte, mais aucune n’a été remplacée par une femme. Ainsi, la parité présentée par Nicolas Sarkozy et François Fillon semble être une parité d’image puisqu’au moment où il a fallu remplacer Christine Lagarde partie au FMI, François Baroin a été nommé. Au moment de la constitution du gouvernement, il fallait qu’il soit paritaire, mais rapidement, quand l’opinion publique surveille moins la parité du gouvernement au fur et à mesure du mandat, aucune femme n’a été nommée ministre. La parité proposée par Sarkozy et Fillon semble manquer de constance, et n’être qu’une parité pour dorer l’image du gouvernement.

2012 et 2017 : des gouvernements paritaires, aux responsabilités mal réparties

Malgré cette parité, il apparait que les femmes ne se sont pas vues confier de ministères d’État, à l’exception de Christiane Taubira nommée Garde des Sceaux.

Christiane Taubira en 2016. Photo : Dutch Government/Martijn Beekman

En 2012, pour la première fois dans l’histoire de la Vème République, un gouvernement est paritaire. François Hollande et Jean-Marc Ayrault nomment autant de femmes que d’hommes ministres. Malgré cette parité, il apparait que les femmes ne se sont pas vues confier de ministères d’État, à l’exception de Christiane Taubira nommée Garde des Sceaux. Les femmes sont chargées de ministères « de soin », les ministères de la Santé, de la Famille, de la Solidarité, de l’Éducation Nationale etc. Le collectif Osez le féminisme ! déplore ainsi que le gouvernement « [reproduise le] schéma consistant à confier aux femmes toujours le même type de portefeuilles, à savoir ceux de la famille, des personnes âgées, de la santé, etc. ». Les hommes restent à la tête de l’État, en ce qu’ils restent chargés des ministères essentiels pour la conduite du pays. Certes, quand elles sont ministres, les femmes occupent des postes à responsabilité, mais ces postes demeurent moins centraux que ceux occupés par des hommes.

Le gouvernement constitué par Emmanuel Macron et Édouard Philippe en 2017 s’inscrit dans le même esprit que ceux constitués sous la présidence de Hollande. En effet, la plupart des ministères à haute responsabilité sont gérés par des hommes, et les femmes se voient attribuer des postes de second plan, tout en s’assurant qu’on puisse affirmer que le gouvernement est paritaire.

Le monde politique a mis du temps pour atteindre la parité gouvernementale. On constate que les femmes sont souvent affectées à des ministères « féminins » tels que la Santé (Michèle Barzach), l’Écologie (Roselyne Bachelot), la Famille (Georgina Dufoix), la Qualité de la vie (Huguette Bouchardeau), l’Éducation Nationale (Ségolène Royal) etc. Depuis 2007, la parité apparait comme un gage de qualité d’un gouvernement et c’est un des premiers éléments commentés par la presse. C’est même une profession de foi politique : à droite, c’est la preuve que le travail acharné est récompensé, à gauche, c’est la preuve d’un combat en faveur de l’égalité des chances.

Dans son roman Une vie, Simone Veil écrit qu’on lui a dit, au moment de sa nomination au ministère de la Santé que ça faisait « une touche de couleur sur les photos officielles ». L’expression des touches de couleur fait référence au fait que les femmes portent des tailleurs parfois colorés à côté des costumes foncés des hommes. Si les femmes ne sont présentes en politique que pour éviter les sanctions ou dorer l’image du parti, alors elles ne sont que des touches de couleur. Il apparait alors essentiel que les femmes se voient confier des charges importantes et des postes à haute responsabilité car ce n’est plus une question de compétence, mais bien une question de sexisme.