La contestation a toujours fait partie du jeu politique. On ne comprend pas les dirigeants, on ne les connaît pas, on doute de leurs motivations. La sphère politique a toujours intrigué, et l’intrigue entraîne facilement la suspicion. Par sa singularité, la crise liée à l’épidémie de coronavirus a entraîné plusieurs vagues de contaminations, et plusieurs vagues de remises en cause des politiques menées par le gouvernement.
La « suspicion sanitaire » du début de crise
A la suite de l’allocution d’Emmanuel Macron le 16 mars 2020, les Français se sont retrouvés contraints au confinement, une mesure de restriction des libertés inédite . Tous les soirs de mars et d’avril 2020, au journal de 20h, les présentateurs annonçaient le nombre de personnes décédées la veille du virus sur fond d’images des urgences bondées, accompagnés de médecins. Tous mettaient en garde contre ce virus, incitant à rester chez soi, se laver les mains, conserver les gestes barrières, … Le gouvernement s’est quant à lui entouré de scientifiques et professionnels de santé, précisant à chaque décisions difficiles que les motivations étaient à retrouver dans des considérations sanitaires évoquées par la Haute Autorité de Santé (HAS).
Ces décisions, impopulaires, entraînèrent de lourds sacrifices mais ont été dans l’ensemble suivies. Ceux qui les contestent avancent que les mesures n’étaient pas adaptées à la situation sanitaire. En mars dernier, Florence de Changy, correspondante à Hong Kong pour Le Monde, RFI et Radio France, écrivit une lettre ouverte au Directeur de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, Martin Hirsch. Elle a mis en garde contre le manque de masques sur le territoire français. Dans sa lettre, elle souligna que les autorités politiques eurent tort de ne pas considérer le masque dans leur lutte contre l’épidémie en France. Florence de Changy indiqua également qu’il était prouvé que le port du masque permettait de lutter contre les virus, et que la prétendue inutilité avancée par le gouvernement était un frein au contrôle de l’épidémie.
Cet exemple montre que des arguments sanitaires sont avancés pour critiquer la politique du gouvernement. La méthode choisie pour lutter contre l’épidémie n’était pas la bonne et il était important d’alerter la population sur les risques d’une mauvaise gestion de l’épidémie. Néanmoins, aujourd’hui, il semble que nous ayons trouvé une méthode pour lutter contre l’épidémie, tout du moins plus efficace.
La popularité de l’exécutif
Il apparaît désormais que le port du masque, le respect des gestes barrières et le vaccin soient un frein contre l’épidémie (à ceci des plus réfractaires). Malgré cela, la popularité d’Emmanuel Macron reste la même, oscillant entre 39 et 41% d’opinion favorable depuis la sortie du confinement de mars 2020, selon le Journal du Dimanche. Une courbe de popularité pas si mauvaise pour un président en fin de mandat.
Un autre sondage du Journal du Dimanche soulève des questions sur la véritable satisfaction des Français sur la politique du gouvernement. Au mois d’avril 2021, seuls 35% des Français considéraient que le
gouvernement pouvait gérer la crise sanitaire. Le mois d’avril correspond au déploiement de la campagne de vaccination, au rebond de l’épidémie et la confirmation du grand nombre de variants possiblement présents sur le territoire (on les appelait alors Indien, Brésilien, Sud-africain). Il semble alors que les Français soient plus favorables à la politique du gouvernement lorsqu’elle ne concerne pas la gestion de la crise sanitaire.
La contestation politique
Aujourd’hui, au mois d’août 2021, la France et le monde savent comment contenir l’épidémie. Il faut vacciner, et les doses ne manquent plus. Mais la contestation politique ne s’arrête pas. Désormais, elle ne concerne plus la méthode pour freiner l’épidémie. Elle concerne la manière dont la solution (la vaccination) est mise en place. Elle concerne le pass sanitaire, et les restrictions liées à la vaccination. Le pass sanitaire est la preuve d’une vaccination complète, d’un test PCR ou antigénique négatif, ou la preuve d’une rémission complète de la covid-19. Si la loi qui prévoit l’application du pass sanitaire entre en vigueur, il faudra le présenter pour prendre des transports en communs type TGV, pour aller dans des établissements culturels, pour aller au restaurant (même en terrasse), pour être visiteur à l’hôpital, pour travailler (pour les personnes travaillant en contact avec le public)…
Les samedis du mois de juillet, près de 100 000 personnes se sont rassemblées dans les rues pour protester contre la mise en place du passe sanitaire. Dans les cortèges des manifestations, il est intéressant de constater que les voix ne se lèvent pas contre la vaccination, mais contre le pass sanitaire. La politique de gestion de crise est remise en cause aujourd’hui, mais pas la solution pour lutter contre la crise. La vaccination est reconnue comme la seule solution, et elle n’est pas majoritairement remise en question.
Le profil des opposants au pass
Il est difficile d’établir un profil type de l’opposé au pass sanitaire. Ces opposants ne se revendiquent pas d’un parti politique, ne sont pas tous de la même tranche d’âge, ou encore de la même classe sociale. Malgré cela, les voix s’élèvent contre le pass sanitaire pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, le pass est considéré comme l’outil politique du gouvernement. Les opposants au pouvoir exécutif actuel ont du mal à se plier aux moyens de ce dernier pour lutter contre l’épidémie. On peut ainsi entendre dans les cortèges des apostrophes directement adressées à Emmanuel Macron (“Macron, ton pass on en veut pas”). Cette frange de la population n’est pas favorable à Emmanuel Macron, au gouvernement de Jean Castex et elle ne souhaite pas prendre part à leur politique.
Ensuite, nous pouvons établir le mouvement des pro-libertés, le seul groupe opposé au pass et au vaccin. Ce groupe défend sa liberté individuelle, mise en danger par une vaccination massive et selon eux, faussement facultative. Ce groupe considère que la mise en place d’une campagne de vaccination massive compromet leur liberté individuelle. Ce qui gêne ce groupe, c’est l’intrusion dans la vie personnelle et sanitaire que représente le vaccin.
Enfin, il y a une part de la population qui s’oppose à la fois au pass sanitaire et à la vaccination. Dans cette catégorie-là, il existe également diverses motivations à s’opposer : complotisme, méfiance, s’opposer pour s’opposer, …
Les antivax et anti pass sanitaire
Tous ceux qui s’opposent au pass sanitaire ne sont pas opposés au vaccin, mais il existe aussi une part de la population française, environ 16%, qui affirme qu’elle ne se fera pas vacciner. Une étude (en date de novembre 2020, toujours conforme selon les auteurs) de l’Iserm et du CNRS montre le profil des individus qui compose cette part de la population : « Plus on est bas dans la hiérarchie sociale, plus on est réticent à la vaccination en général et contre le vaccin Covid-19 en particulier », selon les auteurs de l’étude. Selon eux, cela veut dire que 17% des ouvriers, contre 8% des cadres supérieurs ,déclarent qu’ils ne se feront jamais vacciner contre la Covid-19.
Le vaccin semble fonctionner contre le coronavirus et tous ses variants connus, puisqu’à la fin du mois de juillet 2021, la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES) indique que 85% des personnes hospitalisées n’étaient pas du tout vaccinées. Il faut comprendre leurs motivations et leurs arguments. Le premier argument avancé par les personnes refusant la vaccination est le manque de recul sur les effets du vaccin. Plus le temps avance, moins cet argument est tenable, dans la mesure où la campagne vaccinale a commencé dans le monde il y a de cela un an. On peut toujours considérer que les vaccins contre le covid sont encore des nouveaux nés. Or, la technologie qu’ils utilisent, celle de l’ARN Messager n’est pas nouvelle. Elle est fréquente depuis les années 1990. De plus, il est important de souligner que l’ARN messager ne nécessite pas de recul particulier. En effet, il ne peut pas exister d’effets secondaires sur le long terme, Daniel Floret confie à France info que « L’ARN messager disparaît de la cellule très rapidement après son introduction, donc il ne persiste pas. » Cet argument ne tient donc pas.
Il est important de souligner que c’est en réalité le recul, non pas sur le vaccin, mais sur la situation de manière générale que souhaite une partie des opposants. Ils veulent voir vers où cette crise nous mène avant de s’impliquer personnellement. La covid-19 et la crise sanitaire sont un terrain propice au climat de crainte et de suspicion. C’est ce climat de crainte et de panique qui génèrent des théories selon lesquelles le vaccin serait un frein à notre fertilité. Il est facile de comprendre ce mécanisme de pensée, les gens s‘inquiètent pour ce à quoi ils tiennent. La fertilité est un enjeu sensible, parfois incertain dans le domaine médical et familial.
Le pass sanitaire, un enjeu parlementaire et institutionnel
Le pass sanitaire va être encadré par une loi. Cette loi a été complètement adoptée par le Parlement le 26 juillet 2021. Si elle suivait le cours traditionnel de la navette parlementaire, la loi serait déjà entrée en vigueur. En raison de son unicité et de sa singularité, la loi encadrant le pass sanitaire va être examinée par le Conseil Constitutionnel. Le Conseil Constitutionnel est chargé de vérifier la conformité d’une loi à la Constitution. Les opposants au pass sanitaire considèrent que la loi est contraire à certaines libertés fondamentales.
Le Conseil Constitutionnel peut être saisi par différentes voies : par le Premier Ministre, par le Président de la République, par le Président du Sénat, par le Président de l’Assemblée Nationale, par un groupe de soixante Députés (tous bords politiques) ou par un groupe de soixante Sénateurs (tous bords politiques). Dans le cas du pass sanitaire, Jean Castex avait annoncé qu’il saisirait le Conseil Constitutionnel après l’adoption de cette loi. En plus de cette annonce, 73 députés ont pris la précaution de saisir le Conseil chargé de s’assurer qu’aucune entrave à la Constitution et aux libertés dont elle est gardienne ne peut être faite par le biais de la loi.
Les juges constitutionnels viennent de rendre leur avis en validant la loi à l’exception des mesures concernant l’isolement obligatoire et la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée. Le gouvernement devra revoir sa copie, mais cette décision ne va sans aucun doute pas ravir les opposants au pass sanitaire qui voit son extension validée par le gardien des libertés.
Sources :
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043806125