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Quel lien entre circulation des armes à feu aux Etats-Unis et tueries de masse ?

Lundi 10 avril a été une journée sombre pour les Etats-Unis. Un employé de banque de Louisville a ouvert le feu sur son lieu de travail, tuant cinq personnes et faisant au moins 8 blessés. Son mobile ayant probablement été son licenciement à venir, il a laissé une lettre à ses proches annonçant ses projets, et filmé son acte en direct. Malheureusement, ce type d’incident n’est pas isolé : le 27 mars dernier une jeune femme avait tué 3 enfants et 3 employés avant d’être abattue. Rien qu’en 2021, près de 50 000 personnes sont mortes par balles aux Etats-Unis. Il s’agit ici de prendre du recul et de questionner ce système meurtrier.

Le droit au port d’arme, constitutif de l’identité américaine

Tout part du deuxième amendement de la Constitution américaine, qui autorise tout citoyen à posséder une arme. S’opposent sur cette base d’un côté les partisans de la possession et du port d’armes à feu par les citoyens, et de l’autre les défenseurs d’une régulation, voire d’une interdiction de celles-ci par l’État.

Les pro-armes ont, à première vue des arguments convaincants. C’est en effet tout d’abord en tant qu’instrument de la liberté que les armes sont envisagées à l’écriture de la Constitution. Au-delà de l’entraînement qu’elles requièrent pour pouvoir les manier et les utiliser correctement, les armes sont considérées comme responsabilisantes par un pan de la population américaine. L’identité-même de leur nation repose pour certains sur ce droit à détenir une arme.

Une législation inefficace

Il est pourtant démontré que plus le nombre d’armes à feu en circulation est élevé, plus les violences commises par arme à feu augmentent. Alors pourquoi ne pas prendre des mesures pour limiter de manière effective la circulation et la possession de ces armes ? Malgré les nombreuses tentatives de régulation des armes, les textes existants sont quasiment inefficaces et peu lisibles. De plus, l’activisme politique omniprésent des groupes pro-armes fait barrage à la moindre tentative de réforme du système.

Lorsque des catastrophes imputables à une réglementation du port d’armes trop laxiste se produisent, telles que des tueries dans les écoles, ces groupes ont pris pour habitude de rejeter la faute sur les auteurs de ces crimes, et non sur l’instrument ayant servi au massacre. A l’inverse de la logique de désarmement du pays, ils démontrent qu’il est nécessaire que la population ait accès facilement à des armes pour empêcher que de telles choses n’arrivent.

Et même si une loi arrivait à réguler le trafic d’armes à feu, que faire des 400 millions déjà présentes sur le territoire et comment contourner l’invincible individualisme américain ?

Détourner l’attention du problème de fond : les jeux vidéo dans le viseur du camp pro-armes

Autre argument utilisé de manière assez récurrente par les défenseurs du droit au port d’armes pour opérer un déplacement de responsabilité, au lieu de blâmer le droit à la possession d’armes, ils braquent leur regard vers les jeux vidéo, supposée source d’acceptabilité de la violence. En 2019, le président américain Donald Trump dénonçait le prétendu lien entre violence et jeux vidéo. En effet, il avait suffi qu’un jeu vidéo soit mentionné brièvement dans le manifeste d’un auteur d’attentat pour que le rapprochement apparaisse comme évident aux yeux des partisans du libre port d’armes.

En réalité, de nombreux commentateurs ont démontré la nature fallacieuse de cet argument. Comment expliquer que, partout dans le monde, des gens jouent aux jeux vidéo sans atteindre le niveau de violence aux Etats-Unis ? En réalité, les indicateurs les plus pertinents sont généralement liés à la marginalisation des auteurs de tuerie de masse, à un traumatisme survenu pendant l’enfance ou à la célébrité accordée à certains autres auteurs de ces crimes.

Quel est le profil des tireurs de masse ?

Il est possible de distinguer quelques variables selon le lieu de l’attaque : ainsi, pour les fusillades dans les écoles et les universités, les tueurs sont majoritairement des étudiants ou des anciens élèves ayant des tendances suicidaires et souhaitant se venger d’anciens traumatismes. Le reste des fusillades se passe pour la majorité soit sur le lieu de travail du tueur, soit dans un lieu de culte. Dans tous les cas évoqués, les armes dont ils se servent ont été achetées légalement, ce qui recentre le débat sur le vrai problème que dont on essaie de nous détourner : la régulation. Les discours ne changent jamais : depuis que la problématique des tueries de masse existe, le débat oppose d’un côté, ceux qui accusent le tireur tout en niant toute responsabilité des armes à feu, et de l’autre, ceux qui persistent à démontrer que ces armes sont une des principales causes de ces massacres et que combattre le feu par le feu n’est pas une solution. 


David Noriega et Tess Owen, “La plupart des tueurs de masse américains ont quatre choses en commun”, Vice Media, Publié le 03/01/2020, URL :

https://www.vice.com/fr/article/a35mya/la-plupart-des-tueurs-de-masse-americains-ont-4-choses-en-commun

Gary Dagorn, “Existe-t-il un « profil type » du tueur de masse aux Etats-Unis ?”, Le Monde, Publié le 07/05/2019, URL :

https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/08/07/existe-t-il-un-profil-type-du-tueur-de-masse-americain_5497377_4355770.html#:~:text=D’autres%20facteurs%20sont%20plus,d’intimidations%20ou%20de%20harc%C3%A8lement.

William Audureau, « Blâmer les jeux vidéo fait distraction des problèmes plus larges » : la réaction de l’industrie aux propos de Trump”, Le Monde, Publié le 06/05/2019, URL :

https://www.lemonde.fr/pixels/article/2019/08/06/l-industrie-du-jeu-video-en-colere-apres-les-nouvelles-accusations-de-donald-trump_5497073_4408996.html