Retranscription d’un entretien oral réalisé à Paris le 28 octobre 2022
Nom / Prénom / Anonyme : Jessy
Type de prison : maison d’arrêt de Fresnes, Meaux
Âge : 33ans
Pays dans lequel vous avez grandi : France, la Courneuve, né à Montreuil
Âge au moment de l’incarcération : Première incarcération 19ans, première peine avant, 2e 2017
Temps d’incarcération : prévenus 13 mois Fresnes, condamné et Meaux prévenus, pas condamné 10mois
Après moi je te cache pas, mon prénom mon nom je compte qu’il soit marqué sur la place publique, tu peux y aller. J’ai pas trop de tabou je vous cache pas. Toutes façons tout le monde sait ce qu’il se passe en détention.
Moi j’ai fait de la maison d’arrêt, j’ai fait Fresnes et Meaux. A Fresnes, la 1ère fois j’étais prévenu, pendant 13 mois, après j’ai été condamné et à Meaux j’étais prévenu aussi et j’ai pas été condamné. Je suis resté 10mois.
En dehors de ça j’ai eu d’autres condamnations, j’ai été 2 fois en prison, j’ai effectué 4 peines. J’ai eu d’autres condamnations mais qui m’ont pas menées en prison. J’ai pas eu de peines alternatives je crois, je suis sorti en condi à Fresnes après ma condamnation. Je suis sorti au bout de 18mois. Au bout de 13 mois j’ai fait le reste, 5mois et j’ai eu la conditionnelle pendant 5ans et puis voilà.
Tu peux nous présenter un petit peu ton parcours ?
Moi, j’ai un parcours assez simple, j’étais le mec de cités, de quartiers, comme partout un petit peu, tu vis de ce que tu peux. L’école m’a écarté et j’ai trouvé une communauté de gens qui ont aussi étés écartés du système scolaire, qui avaient les mêmes problèmes que moi. J’étais issu d’une famille monoparentale. Y a déjà plusieurs personnes de ma famille qui ont été en prison. Moi depuis tout petit j’entendais parler de la prison, c’était pas nouveau. Moi on m’a dit à l’école, « ouais Jessy tu finira en prison », bah ils se sont pas trompés, je pense qu’ils en avaient vus d’autres.
Quand l’éducation nationale n’arrive pas a faire son travail, quand ils arrivent pas à t’intéresser t’as tendance à discuter ou à pas travailler. Eux ils en tirent des conclusions, des conclusions actives. Ça a un impact, il a plus de chance d’y aller parce que c’est normal pour lui.
Dans ma famille on parle pas trop de ça, on sait que les gens ont été en prison, mais on en parle pas. J’étais même pas nés mais y en a pleins dans ma famille qui étaient déjà en prison
Y a une statistique aux états unis qui dit que 30% des enfants des personnes qui ont subit un parcours carcéral vont en subir un. En France on a pas ce genre de statistiques mais on doit pas être loin. En France on est pas friands de ça, on aime bien cacher les problèmes.
Tu traines un peu dehors, tu commence à faire des petits délits puis c’est crescendo. Après on t’attrape, on t’incarcère. Quand tu sors t’as envie de te venger du temps qu’on t’as fait perdre.
« je vais me refaire une santé quand je vais sortir », alors t’essaie de te refaire une santé, malheureusement. Et puis ton CV il est pas bien garni, personne t’accompagne. Au pire on t’envoie à la mission locale.
Pourquoi, pourquoi ? T’as pas de travail, t’as pas d’école, faut que tu trouves une activité. En vérité je crois que c’est plus un délire qu’autre chose au début. Après ça devient un travail. Quand tu commence à gagner tes premiers deniers t’es content. Ah ouais c’est bien ça ! « Je me fait pas attraper, je vais pas arrêter ». T’as trouvé un truc où t’es bon, les autres ils ferment les portes. Faut bien que tu gagnes ta vie. Après attention je te dis pas que c’est bien.
Y en a ils doivent aider leur mère, mais ça y en a pas beaucoup qui le font, « c’est pour aider ma mère », c’est pour t’aider toi-même ouais. Tu vois malheureusement, ça c’est pour donner une belle vitrine, c’est comme Darty, tu rentre, tu vois le bel écran. Mais ça c’est dans l’imaginaire collectif, c’est pour donner une belle vitrine. J’en connais pas beaucoup des gens qui ont sorti leur mère de la cité.
C’est un engrenage. Tout le monde vit du délit, donc à la fin c’est le délit hein, quand tu discute c’est le délit. C’est voulu après, c’est organisé, faut que je trouve mes mots mais bon. Si on voulait on pourrait trouver des moyens de lutter mais ça fait travailler tout un tas de gens.
Mais je te mens pas c’est organisé tout ça. Quand tu dis tu lutte, tu prétends lutter. C’est une vitrine aussi. Quand je te parle de ça je te parle de l’organisation étatique. Le pays faut que tu le fasse vivre.
L’inse a fait des statistiques sur ça : le trafic de drogue ça fait vivre la Seine St Denis. C’est organisé. La prison c’est une ville, c’est un monde, c’est une société dans la société.
Même moi j’aurai pas de travail aujourd’hui. Parce que j’ai créé mon entreprise sur ce système. Moi aussi je veux ma part dans le gâteau. Moi j’ai gouté la détention, je suis allé en prison. Ça me revient de droit, enfin je sais pas si c’est de droit mais j’essaie d’aider les gens au moins.
C’est de la bande organisée: dans le code pénal c’est ça, dans le texte c’est même de l’association de malfaiteurs.
La récidive ça va vite. J’ai déjà travaillé gratuit moi pour une société de vtc. Mais j’apprenais, c’est comme ça que je vois. Mais ça m’a permis d’apprendre des trucs, et ça m’occupais surtout. L’oisiveté est mère de tous les vis. C’est comme en prison, tu fais rien, 22H 23H sur 24 t’es enfermé.
La dernière fois une de mes connaissances m’a demandé de le mettre en relation avec un avocat. C’est ce que j’ai fais mais je lui dit « tu veux pas plutôt descendre a la bibliothèque et lire? » Tu lui donne ta représentativité à l’avocat mais tu pourrais le faire tout seul juste parce que t’as la flemme, tu lui cède ta représentativité.
Y a un gros fantasmes de l’avocat dans les cités, dans les cités ça fait bien « ouuahh il a un gros avocat » mais le gros avocat il profite de toi.
Je me rappelle en prison ça parlait des droits et un surveillant je crois avait dit « Ton seul droit ici c’est de fermer ta gueule ».
Quelle est la toute première impression quand tu es entré pour la première fois dans la prison ? Quel est le tout premier sentiment que tu as ressenti au moment de l’entrée en prison ?
Moi je peux te dire ce que le surveillant il m’a dit la 1er fois « est ce que t’es déjà venu ? » c’est comment je me comportais, à force d’en entendre parler, à la fin on croit que t’es déjà venu presque.
La première fois c’était ça, la deuxième fois c’était ça, « bon bah j’y suis quoi ». T’as deux solutions, soit tu la vis, soit malheureusement y en a qui se suicident. C’est évident pour personne mais y en a qui supporte plus que d’autres. Y en a qui brulent leur cellule, qui se brulent avec. Y en a qui y ont tellement été qu’ils seront plus jamais les mêmes. Y en a qui sont changés.
Je me suis senti ôté de ma dignité, quand t’arrives on te met tout nu. T’es là devant un mec tu dis non arrête, il te dis « non on s’en fout frère ».
Après ils viennent, tu rentre dans ta cellule, ils ferment la porte et la tu te dis « ah ouais ça y est vraiment quoi ».
Tu saurais me décrire l’odeur ?
Je peux pas te décrire l’odeur de la prison. T’as une odeur particulière. Tu sens la taule. Quand tu rentre là bas, tu sais que t’as pas senti ça ailleurs. Dès l’entrée tu sens, tu sens l’odeur direct.
Un autre sens, l’ouïe :
Le bruit des clés, le bruit des gens, des cris, le bruit des portes « surveillant !». Du bruit tout le temps, y a jamais de silence. Des gens qui crient, des gens chantent pour s’évader. Mais ça fait passer le temps. Ton voisin qui tape, il t’appelle « passe moi du sucre! »
Tu passes les trucs par les barreaux. Tu passes les trucs d’en haut en bas, à gauche à droite. Quand les gardien les enlèvent tu refait, t’enlève tu refait, ils l’enlever tu refait. Quand c’est loin c’est relou en plus.
Des fois le gardien passe des trucs. C’est une société hein, c‘est une société.
Eh ils sont enfermés comme toi, plus que toi d’ailleurs. Eux ils sortent ponctuellement, mais toi tu vas sortir un de ces quatre mais eux ils sont là. C’est un monde hein
Pour rien au monde j’y retournerai.
Souvent tu dis ça mais le problème c’est que quand t’as un casier t’y va plus vite que quand t’en a pas. Ça c’est de la discrimination, ça c’est interdit dans la DDHC. Quand on te juge sur tes antécédents c’est de la discrimination. La DDHC elle dit que aucune distinction ne dois être faite. Soit on respecte la loi soit on la respecte pas. Si on dit aucune distinction c’est aucune distinction, même le casier judiciaire.
On peut devenir président de la république avec un casier judiciaire, moi je compte me présenter moi, pourquoi tu rigole, tu vas voir, jte dis je veux que mon nom soit marqué sur la place publique.
Si je te dis le temps en prison ?
LONG
C’est de l’attente, on te met dans des salles d’attente, tu veux aller chez le médecin, au sport, à l’école. La détention provisoire t’attend que le juge donne son verdict.
La prison c’est l’attente. Faut apprendre à être patient parce que putain t’as pas fini. Faut attendre qu’on veuille bien t’accorder du temps.
Pour faire passer le temps? Tu fumes du shit. La première fois que j’ai fumé c’était en prison. Et ça m’a collé 14ans de ma vie, j’ai arrêté y a pas longtemps. A force de fumer toute la journée. Quand un joint est fini t’en roule un autre, bah pour passer le temps.
Le surveillant il voit t’es défoncé, ils ont besoin de ça pour que ça se passe bien. Si t’as plus de cigarettes, tu demande au surveillant. « fait ta peine et fait pas chier ».
C’est plus le shit que la clope. La clope il faut que t’en fume beaucoup pour que le temps il passe plus vite. T’as besoin de t’évader.
T’as les problèmes de l’intérieur mais t’as les problèmes de l’extérieur aussi. T’as eu un parloir fantôme. Le surveillant il te dis « ouais fantôme ». Y en a ils ont fait 2h de trajet ils arrivent une minute en retard ils les laissent pas rentrer.
En prison tu perds vite le gout des choses. T’as pleins de trucs tu sais plus. Les épices de dehors par exemple. Y a pas de viande à cantiner.
Quand tu rêves, quand tu dors t’as l’impression t’es chez toi, ça c’est très énervant quand tu te réveille et que tu vois ton co détenu. Avec le shit tu rêves plus beaucoup après.
Quelles sont tes Impression(s)/ observation(s)/ sensation(s) vis à vis de la lumière et de l’espace ?
La fenêtre quand tu vas à la douche, quand tu marches dans les coursives, tu vois une voiture, tu vois un arbre.
C’est du béton, que du béton partout. Tu te dis même un arbre ça me manque frère.
À 17h30 on te sert à manger
À 7h « bouge »
Les verrous « clacclac » t’attend la promenade et si t’es pas prêt on t’attend pas. Toutes façons t’entend les clés. « promenade, clac, oui, promenade, clac, non… ». On te traite un peu comme un chien, « gamelle », « promenade ».
La prison c’est sale. C’est moche, ça te fait mal à la tête. Des fois y a du bleu degueulasse, du jaune. Pour moi l’école, la prison, l’hôpital, la cité c’est la même chose. T’es prêt à la défendre coute que coute.
Tu peux nous parler des objets créés en détention ?
T’as beaucoup de créatifs en prison. Y a trop de gens ils ont du talent mais on leur donne pas leur chance. Ils font de tous avec rien.
La prison ça détruit le dos, t’es souvent couché sur un lit pas confortable. Tu créé des hamac avec des draps.
L’intimité ça n’existe pas là bas. T’es jamais seul sauf pendant la promenade. Tous les jours tu les voit. La promiscuité. 9m2 la cellule. Ta vue elle peut baisser, quand tu regarde les barreaux.
La maison d’arrêt c’est surpeuplé.
La surpopulation ça c’est… après t’as vu je me suis renseigné un petit peu, là on s’agite beaucoup autour de la surpopulation mais vers les années 2006 et compagnie y avait plus de détenus qu’aujourd’hui. Peut être qu’il y a plus de prison mais ça change rien, plus on construit plus on rempli. C’est un commerce. Le code pénal c’est complexe hein, le code pénal c’est le code pénal. Je te dis ça parce qu’à la base y a le code civil. Si tu t’y réfère y a pleins de choses qu’ils ont pas le droit de faire. Maintenant c’est les sociétés privées qui construisent des prisons, ils ont des contrats, faut remplir les prisons, si tu les rempli pas tu paie des amendes.
Au moins maintenant y a la loi travail, c’est sur la base du volontariat. Y a deux ans on les exploitaient plus que ça.
Après tu vois comme on dit le bien est l’ennemi du mal, non, le bien est l’ennemi du mieux. Le mieux est l’ennemi du bien tu vois ahah.
Après j’ai envie de te dire y a des gens ils sont indigents en prison, quand ils arrivent à accéder à l’emploi tant mieux tu vois. Mais surtout le travail que tu fais en détention il va pas forcément te servir dehors. Quand tu fais du conditionnement de serviette, bon. Je peux pas défendre le système mais il faut ce qu’il faut, y en a ça leur sert.
C’est mieux tu sors de ta cellule plutôt que t’y reste tu vois. Moi c’est ça que je vois. C’est un faux choix après.
J’essaie d’être neutre, j’essaie de nuancer au mieux. Après à part constater, qu’est ce qu’on peut faire franchement, à notre niveau.
Y a 65% de récidive dans les 5ans en France. Les gens sont assez sévères avec eux, ils pensent qu’il faut les faire travailler plus. C’est de l’ignorance.
La réinsertion c’est sa mission à l’administration pénitentiaire. Le contribuable paie 120 euros par détenus par jour pour que la personne se réinsère, si elle y arrive pas, c’est de l’escroquerie au sens de l’article du code pénal.
Les gens ils comprennent pas, ils pensent que c’est étant dur avec la personne en détention que ça va s’arranger. Sauf qu’ils vont sortir après les avoir écarté et quand tu les a maltraités malheureusement… ça se répercute encore sur la société. Et les gens tant qu’ils n’auront pas compris ça…
Tout le monde peut se retrouver en prison du jour au lendemain. Demain vous prenez la route, t’as ton téléphone, tu renverse quelqu’un, tu peux aller en prison, ça va très vite. demain, vous avez une altercation avec quelqu’un, tu le pousse, il se cogne la tête tu peux aller en prison. Les gens ils croient que ça n’arrive qu’aux autres.
Y a des profils en prison tu te dis qu’est ce qu’il fait là. Certains ils n’ont pas conscience qu’ils peuvent y finir, ils y finissent quand même, ils disaient « Avant j’étais dur avec les gens en prison, maintenant je comprends», c’est malheureux mais quand t’es touché dans ta chair tu comprends.
La mémoire du geste : Quand tu es sorti, est ce que tu avais des automatismes qui sont restés de ton incarcération ?
T’as un mode de vie c’est pas le même que les autres. Ouvrir et fermer une porte à clef. Cacher tes trucs. « c’est une cachette de taulard ». Tu adopte un comportement différent. Tu vois tout autrement.
En prison tu deviens schizophrène un peu.
T’es beaucoup à observer. C’est comme à la cité. Les plaques d’immatriculation je les retiens. Ça c’est des trucs tu les développe dehors.
T’as deux cas tu peux t’endurcir ou tu peux devenir faible aussi.
Quand tu rentre à 20ans, tu sors à 20ans. Y a un truc dans ton cerveau qui est mort. Tu murit pas comme tu devrais. Y en a ils arrivent pas rester dehors, t’as des responsabilités c’est dur.
Quand je suis sorti j’avais plus de chez moi à mon nom. Mes affaires, ma vie, je les ai laissé. Quand t’es en prison t’apprend à pas trop t’attacher aux choses. T’arrives plus à être sédentaire.
Entretien réalisé par Lou-Ann Spirin et Jeanne Merci à Jessy