Projet de loi sur l’immigration : où est passée la cohérence ?
Lancé en décembre par le gouvernement, le débat sur la question migratoire produit déjà beaucoup de réactions alors que le projet de loi du gouvernement est censé aboutir à un examen par le Sénat dans les prochaines semaines.
Dans une optique d’efficacité, les grands moments de ce projet de loi sont, d’une part, l’expulsion des étrangers délinquants, et d’autre part la régularisation de travailleurs irréguliers.
Ainsi, la volonté de rendre effective l’expulsion des étrangers peut s’expliquer par le faible taux d’exécution des “obligations de quitter le territoire français” (OQTF). En effet, selon un rapport du Sénat, moins de 10% des 60000 OQTF prononcées par le juge en 2021 ont été réellement exécutées. Plusieurs obstacles empêchent leur mise en œuvre : difficultés d’identification des individus en situation irrégulière, non obtention des laissez-passer consulaires du pays d’origine, déficit des moyens juridiques et matériels…
Le projet de loi veut en ce sens limiter les lois protectrices dont les étrangers délinquants bénéficient en laissant au juge le soin de déterminer si le respect de la vie privée et familiale (érigé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme) est compatible avec leurs actes.
En outre, ces mesures s’accompagneraient d’une réforme du système d’asile, ce qui permettrait la délivrance d’une OQTF dès le rejet de la demande d’asile par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Cependant le recours serait plus accessible notamment par la relocalisation de la Cour nationale du droit d’asile (de Paris vers les cours administratives d’appel en régions).
L’autre point clé de ce projet de loi réside dans la régularisation des travailleurs sans-papiers. Ces derniers auraient alors la possibilité de recevoir un “titre de séjour temporaire”, valable initialement un an et renouvelable, sur les “métiers en tension” caractérisés par une pénurie de main d’œuvre. Entre autres cela permettrait à un travailleur irrégulier de demander lui-même sa régularisation ce qui contribuerait à la lutte contre le travail illégal.
Enfin, le gouvernement voudrait contraindre l’obtention d’un titre de séjour long à la réussite d’un examen de français. En effet, on estime à 25% le nombre d’étrangers en situation régulière qui ont de grandes difficultés à parler ou à écrire le français.
Des réactions hétérogènes à tous les niveaux
Ce projet de loi a suscité de vives réactions dans l’ensemble de la sphère politique. D’un côté, les élus écologistes demandent à ce que les procédures d’accueil soient simplifiées et insistent sur le besoin de protection formulé par les conventions internationales. Ils alertent aussi sur le fait que les grandes migrations en réponse à la crise climatique forcera les Etats à posséder de toute façon un dispositif d’accueil efficace, surtout que l’on constate la faisabilité de telles mesures suite à l’accueil massif des réfugiés Ukrainiens. En outre, certains élus écologistes dénoncent l’absence de dispositions concernant les collectivités territoriales alors que ces dernières sont directement confrontées à ces situations qui relèveraient normalement du ressort de l’Etat.
De l’autre côté, la droite sénatoriale reproche au projet de loi son caractère trop mitigé sur la question migratoire, oscillant entre expulsion et régularisation qui empêcherait l’application d’une politique globale et la priverait d’une réelle efficacité. Ainsi la droite du Sénat demande : l’annulation de la régularisation des travailleurs dans les métiers en tension, cette liste étant considérée comme arbitraire, l’instauration d’un système de quotas de l’immigration régulière, la délivrance de visas à la condition de celle des laissez-passer consulaires des pays d’origine, l’interdiction de permettre aux demandeurs d’asile de pouvoir travailler sans la décision préalable de l’Ofpra et d’autres mesures similaires.
A l’inverse, la gauche reproche à certaines mesures de rendre inefficace l’intégration des étrangers et demande quant à elle la création d’un ministère de l’accueil et de l’intégration pour répondre à l’inéluctable augmentation de l’immigration dans les prochaines années.
Le peuple s’est aussi exprimé par la voie de manifestations lors desquelles certains dénoncent la situation d’esclavage et d’exploitation dans laquelle se retrouvent les travailleurs sans-papiers. D’autres regrettent l’absence de la restauration dans la liste des métiers en tension, mais tous appellent à la solidarité.
La question épineuse des professionnels de santé étrangers
Le gouvernement veut créer une carte de séjour spéciale pour les professionnels de santé, qui serait destinée à l’ensemble du personnel soignant, qu’il soit sage-femme, pharmacien ou même chirurgien. L’objectif de cette carte vise donc à améliorer la “lisibilité et l’attractivité du droit au séjour pour ces publics qualifiés, tout en tenant compte des enjeux de vérification de l’aptitude de professionnels étrangers à exercer dans le domaine hospitalier”, comme l’affirme l’exécutif.
Cependant plusieurs professeurs de médecine, défenseurs des droits de l’homme et syndicats n’acceptent pas cette proposition au motif que l’on doit d’abord améliorer la formation en France et résoudre le problème des écarts de salaire entre les médecins français et étrangers exerçant sur le territoire national. D’autres estiment qu’il est impensable que l’on puisse s’approprier de cette façon les compétences intellectuelles des pays qui en auraient pourtant le plus besoin.
Tentative d’objectivation de la question mgiratoire
Ce projet de loi est l’occasion de reprendre ce débat sur la question migratoire en y apportant des éléments objectifs. Cela permet aussi de rappeler qu’aucune solution simpliste n’est envisageable, sachant que les facteurs liés à ces problématiques sont d’ordres nationaux et internationaux, ce qui mobilise entre autres la politique étrangère et les affaires intérieures.
François Héran, sociologue et professeur au Collège de France, montre comment le discours contre l’immigration, mobilisant l’argument du manque de ressources, d’emplois, de prestations sociales ou d’argent public, est dénué de sens. Notamment parce que “d’après l’OCDE, les immigrés sont surreprésentés dans les catégories actives et de par la consommation, leur travail et leurs cotisations nous coûtent moins qu’ils ne nous rapportent. Malheureusement, ce discours est inaudible.”
Dans l’essai « Français mais pas Gaulois », Daniel Cohn-Bendit (ancien député européen) aborde la question migratoire notamment sous le spectre de l’identité. Il y explique ainsi que tous les pays ont un rapport tendu envers cette problématique mais qu’elle ne doit pas invisibiliser les apports de l’immigration à la France. Il précise que “sans les Marie Curie, les Indigènes, Joséphine Baker ou Kylian Mbappé. Pour le dire autrement : sans l’immigration, le récit national français serait bien triste”. En outre, il démontre qu’il n’y a pas qu’une mais des identités en France et que cette notion n’est pas figée dans le temps mais qu’elle évolue en permanence.
“Expulsion des délinquants, régularisation des travailleurs, maîtrise du français : les axes de la future loi immigration”, Le Monde avec AFP, publié le 06/12/22, URL :
Simon Barbarit, “Loi immigration : « Si le gouvernement veut faire du « en même temps », ce sera l’insurrection dans les urnes », prévient Bruno Retailleau”, Public Sénat, publié le 17/01/23, URL :
Simon Barbarit, “Étrangers délinquants : Gérald Darmanin annonce une loi, le Sénat demande des moyens”, Public Sénat, publié le 26/07/22, URL :
Romain David, “Les élus écologistes préparent leur riposte au projet de loi immigration”, Public Sénat, publié le 13/01/23, URL :
Yacine Ouffella, “Repousser l’immigration : La France peut-elle suivre l’exemple du Danemark ?”, ObservAlgérie, publié le 17/01/23, URL :
“Projet de loi sur l’immigration : plusieurs milliers de personnes manifestent à Paris”, Le Monde avec AFP, publié le 18/12/22, URL :
“Immigration : le gouvernement veut créer une carte de séjour pour attirer les professionnels de santé étrangers”, Le Monde avec AFP, publié le 20/12/22, URL :
“Immigration en France: une tribune appelle à ne pas priver «l’Afrique de ses médecins»”, Radio France internationale, publié le 09/01/2023, URL :
“Immigration : un débat nécessaire”, Le Monde, publié le 07/12/22, URL :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/12/07/immigration-un-debat-necessaire_6153390_3232.html
“Dire la vérité sur l’immigration”, Le Monde, publié le 27/12//22, URL :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/12/27/dire-la-verite-sur-l-immigration_6155792_3232.html
“Qu’est-ce qu’on a fait pour avoir autant de poncifs sur l’immigration ?”, France Culture, publié le 04/01/23, URL :
Maël Thierry, “Daniel Cohn-Bendit : « Sans l’immigration, le récit national français serait bien triste »”, L’Obs, publié le 12/01/23, URL :