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Petit guide pratique sur la nationalisation des autoroutes françaises

Alors que les élections présidentielles approchent, le candidat de gauche Arnaud Montebourg a récemment divulgué une de ses propositions de campagne : la nationalisation des autoroutes françaises. Loin d’être une nouveauté, la question de la nationalisation des autoroutes (et même la nationalisation en général, c’est-à-dire le rachat par l’État des parts ou d’une partie de parts d’un moyen de production privé) est portée par des candidats de gauche comme de droite, se rejoignant idéologiquement sur le plan de la souveraineté française.

État actuel de la concession autoroutière en France

Il est plus que fréquent, en France, au moment d’emprunter les autoroutes, de constater le nom d’une entreprise privée, s’afficher sur un panneau à l’entrée : Vinci, Cofiroute ou encore Eiffage. En 2014 l’hexagone comptait environ 11 882km de portions autoroutières avec un peu plus de 9000km de sections à péage (soit plus des trois quarts). Au-delà des chiffres, la question de la privatisation des autoroutes reste une question politiquement très épineuse comme le montre sa résurgence lors de périodes électorales : par Montebourg à ce jour, mais plus ou moins signifié par des candidats comme Marine le Pen ou François Asselineau en 2017.

Carte des autoroutes françaises

Concédés aux entreprises sous le gouvernement de Dominique de Villepin en 2005 pour 15 milliards d’euros, un compte rendu du ministre des transports Jean-Baptiste Djebbari devant le Sénat porte le coût actuel des contrats à 47 milliards d’euros. Inutile de rappeler donc les véhémences déployées sur ce sujet par différents acteurs politiques qui, depuis cette concession désormais vieille de plus de quinze années, ne manquent pas de parler ce qu’on appelle un «fiasco» ou encore un «racket» alors que les autoroutes étaient sur le point d’atteindre un bon rendement au moment de la concession. Les chiffres le prouvent puisque depuis 2006 les concessionnaires d’autoroutes ont réalisé pas moins de 27 milliards d’euros de dividendes. Ces débats sont d’ailleurs violemment revenus lors de la crise des Gilets Jaunes de 2018 alors que les parlementaires se penchaient sur la privatisation d’Aéroports de Paris.

L’arsenal juridique à disposition des gouvernants

La nationalisation est un processus législatif classique à la disposition des gouvernants. Même si le mot semble lourd de conséquences, l’État est tout à fait en droit, sous les conditions du vote d’une loi et de la mise au jour d’un intérêt général, d’exproprier ou de racheter des parts moyennant indemnisations. De plus, pour le cas de la concession et même pour tous les contrats liants un acteur privé à l’Administration, il existe toujours une clause de résiliation unilatérale par l’État. Ainsi donc, par exemple, avec l’arrivée au pouvoir des socialistes en 1981, une loi de nationalisation rachetant surtout le contrôle de banques a été votée dans la foulée sous l’égide du gouvernement de Pierre Mauroy. Toutefois, le problème qui se pose dans le cas de la nationalisation des autoroutes est le coût qui reviendrait à l’État d’une telle opération financière. Si on a parlé plus haut de 47 milliards d’euros, il n’y a en vérité aucune données permettant à l’État de mesurer le patrimoine financier du très large réseau des autoroutes de France, ce qui pose un épineux problème pour les pouvoirs publics, puisqu’en plus d’avoir un prix d’achat, ils pourraient s’appuyer sur ce chiffre pour négocier ensuite le rachat selon diverses conjonctures économiques.

Pierre Mauroy, alors Premier Ministre, à la tribune de l’Assemblée Nationale

De plus, politiquement parlant, le coût même si on ne le connaît pas, serait certain car les contrats signés en 2005 avec les concessionnaires courent jusqu’en 2036 pour certains. Il faudrait attendre plusieurs années pour l’État, c’est-à-dire l’échéance du contrat, pour qu’ils ne renouvellent pas. Pour les commentateurs du sujet, il serait compliqué pour l’État de ne pas sortir le chéquier pour le rachat des autoroutes. Déjà, parce que le manque à gagner pour les concessionnaires serait certain de par la longue durée de leur contrat mais aussi parce que même s’il était possible pour les gouvernants d’amortir le coût, il existe une règle constitutionnelle interdisant à l’État de faire des libéralités, c’est-à-dire de faire une donation des autoroutes aux citoyens grâce à une nationalisation qui ne coûterait rien au contribuable. L’État est, en quelque sorte, obligé de payer.

La question politique de l’offre autoroutière en France

La question la plus fâcheuse concernant les autoroutes est bien évidemment leur prix. Avec en moyenne sept centimes d’euro par kilomètres, un trajet Nantes-Le Mans sur l’autoroute A11 coûte un peu plus de 17 euros, 38 euros si l’on souhaite pousser jusqu’à Paris. Si on prend un trajet Paris-Lyon sur l’autoroute A6, il coûte 35,70 euros pour environ 470km de trajet (ce qui représente à peu près 7 centimes d’euros par km). On se souvient des images des Gilets Jaunes bloquant les barrières de péage au plus fort de la crise en 2018. Pour les partisans de la nationalisation, Montebourg en tête, la multiplication des flux autoroutiers devrait faire que les Français devraient pouvoir ne pas débourser trop d’argent pour emprunter un réseau d’autoroute, qui est, rappelons le tout de même, relativement bien étalé sur le territoire. Les commentateurs disent d’ailleurs qu’à court terme, avec la nationalisation, les prix devraient pouvoir baisser si ce n’est même disparaître. Toutefois, beaucoup se rejoignent sur la capacité de l’État à gérer ses autoroutes fraîchement acquises et craignent finalement de devoir se résoudre à moyen-terme à repasser par un système de péage.

D’un autre côté, rien n’est jamais gratuit, et ne plus payer les autoroutes reviendrait à devoir faire payer ce rachat. La privatisation des autoroutes a permis de les rendre parfaitement bien entretenues, et il n’est ne faut pas oublier que 40% des recettes des concessionnaires rentrent directement ou indirectement dans les caisses de l’État par l’impôts ou la taxe. Une nationalisation brute et totale des autoroutes semble difficile à envisager au vu du colossal travail qui reviendrait à l’État.

Mais, toutefois, d’autres solutions peuvent être envisagées, par exemple la renégociation des contrats. En effet, comme le souligne la Cour des comptes, les pouvoirs publics ont été mis en position de faiblesse lors de la négociation des concessions et l’Autorité de la concurrence, pointant les gros dividendes des concessionnaires, rejoint la Cour des comptes dans son plaidoyer pour une renégociation plutôt qu’une nationalisation. Enfin, une autre solution reste possibles : la nationalisation partielle, où l’État reprendrait le contrôle du quart ou de la moitié des autoroutes comme cela a pu être fait en Espagne par exemple.

Sources :

https://www.lefigaro.fr/vox/economie/la-nationalisation-des-autoroutes-serait-elle-avantageuse-pour-les-automobilistes-20210910

https://www.marianne.net/politique/gauche/peut-on-nationaliser-les-autoroutes-comme-le-preconise-arnaud-montebourg

https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/04/08/la-privatisation-des-autoroutes-un-traumatisme-originel_5447341_3234.html

https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A14620