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Les affaires judiciaires des Présidents de la République : entre sentiment d’impunité et prise de responsabilité

Les condamnations judiciaires des anciens présidents ont une incidence considérable sur l’image de la fonction présidentielle

Il y a un an, le 30 septembre 2021, Nicolas Sarkozy a été condamné à un an de prison ferme pour financement illégal de sa campagne de 2012 ou « affaire Bygmalion ». Cette condamnation est la deuxième mention sur le casier judiciaire de l’ancien président. Il a été condamné à quatre ans de prison, dont un ferme, pour corruption et trafic d’influence dans le cadre de l’affaire Bismuth. 

Il est le deuxième président de la Vème République à comparaitre devant les tribunaux et à être déclaré coupable. Son prédécesseur, Jacques Chirac avait été condamné en 2011 dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris. 

Trafic d’influence, emplois fictifs et financements douteux

En 2011, Jacques Chirac a été condamné pour l’affaire des « emplois fictifs à la mairie de Paris ». Pour la première fois, un ancien Président de la République est reconnu coupable par le Tribunal Correctionnel. Bien que les faits datent d’avant son séjour à l’Élysée, la condamnation de Jacques Chirac fait écho à son élection et au fonctionnement de la vie politique. Le public découvre qu’entre 1886 et 1996, quand Jacques Chirac était maire de Paris, vingt-six personnes étaient employées (et payées) par la mairie de Paris, alors qu’elles travaillaient en réalité au siège du RPR, son parti. 30 millions de francs ont été détournés par le maire de Paris, et par les cadres du RPR. 

Cette affaire a éclaté au moment de la publication d’un rapport de police en 1999, alors que Chirac était protégé par l’immunité présidentielle. Ainsi, pour la première fois dans l’histoire de la Vème République, le principe de l’immunité présidentielle a été appliqué. Des conséquences concrètes ont été perçues puisque le procès s’est déroulé en deux temps. Tout d’abord, tous les complices de Chirac, c’est-à-dire un grand nombre des cadres du RPR, dont Alain Juppé, ont été jugé (et condamnés) en 2004, au cours du deuxième mandat de Chirac. Ensuite, en 2011, au terme de son mandat, Chirac a comparu devant les tribunaux. Il a aussi été déclaré coupable mais n’a pas interjeté appel, pour des raisons de santé. Il n’a jamais cessé de clamer son innocence.

Nicolas Sarkozy a été condamné à deux reprises. Tout d’abord, il a été reconnu, avec son avocat, coupable de corruption, trafic d’influence et violation du secret professionnel. Nicolas Sarkozy et Maître Thierry Herzog, ont été condamnés à quatre ans de prison, dont un ferme, pour avoir corrompu un magistrat de la Cour de cassation. Ils souhaitaient être renseignés sur les avancées judiciaires de l’affaire Woerth-Bettencourt, en échange d’un poste à Monaco pour le magistrat. Le surnom de l’affaire dite Bismuth vient du nom sur le contrat téléphonique, Paul Bismuth, relié au portable de Nicolas Sarkozy. Ce téléphone ne servait qu’à communiquer avec son avocat.

Ensuite, il a été condamné pour son implication dans l’affaire Bygmalion, qui concerne le financement de la campagne présidentielle de 2012. En France, l’État participe au financement des campagnes électorales. Tout d’abord, une enveloppe de 200.000€ est allouée à tous les candidats, peu importe leur score. Ensuite, il faut emporter plus de 5% des suffrages pour que la moitié des frais de campagne soit prise en charge, dans la limite d’environ 10 millions d’euros. Pour entrer dans les clous fixés par la Commission Nationale des Comptes de Campagne et de Financements Politiques (CNCCFP), les cadres de l’UMP ont enregistré de fausses sociétés d’évènementiel, dont une appelée Bygmalion. Les fausses sociétés permettaient de produire des factures « en règle », censées garantir le remboursement des frais de campagne. Aux côtés de neuf responsables du parti et de sa campagne, Sarkozy est reconnu coupable de financement illégal de campagne électorale.

Des condamnations aux implications diverses

La condamnation de Jacques Chirac a mis un terme à l’immunité symbolique des Présidents. Jusqu’alors, aucun n’avait jamais été inquiété judiciairement après son mandat. On ne pensait pas qu’un Président puisse se retrouver avec une mention sur son casier judiciaire. La condamnation de J. Chirac prouve le contraire. Il est intéressant d’analyser les conséquences juridiques et politiques de ces trois affaires judiciaires.

J. Chirac a été condamné pour ses agissements en tant que cadre d’un parti politique, à un moment où il était maire de la ville de Paris. Le détournement de fonds est évidemment une grave atteinte au fonctionnement de la vie politique, et que condamnation est, sans conteste, juste. Elle porte atteinte à la popularité de l’ancien Président, mais elle ne concerne pas une époque où il était Président, les faits accablent un chef de parti politique, et non pas le plus haut fonctionnaire de l’État.

À l’inverse, les condamnations de Nicolas Sarkozy concernent le Président. Elles provoquent un séisme d’une autre envergure. L’affaire Bygmalion inculpe « le Candidat » Nicolas Sarkozy, à une époque où il était Président de la République. Cette affaire concerne le financement de sa deuxième campagne, sa campagne de réélection, sa campagne de Président. La condamnation en date du 30 septembre prouve qu’être Président ne suffit pas pour que les institutions de l’État ne se penchent pas sur les agissements du Président. Les faits de l’affaire Bismuth remontent à 2014, une année où il n’était plus Président. La condamnation en date du 23 novembre 2021 prouve qu’avoir été Président n’empêche pas de comparaitre devant les tribunaux. Les deux condamnations de Nicolas Sarkozy ont une portée politique beaucoup lourde que celle de Jacques Chirac. Dans le premier cas, la justice sanctionne les actions d’un Président en exercice et d’un ancien Président. Dans le second cas, elle sanctionne un membre important de la vie politique, devenu Président.

Ces procès ne remettent pas en question le système de responsabilité des Présidents de la République. Ils montrent que l’impunité pénale et civile se restreint. En effet, la condamnation de Nicolas Sarkozy fait naitre un nouveau concept : l’action (condamnable) d’un Président en exercice, en dehors des fonctions présidentielles. Dans l’affaire Bygmalion, les tribunaux français ont distingué les agissements de Sarkozy dans le cadre de ses fonctions présidentielles, et ses agissements en dehors de sa fonction. Ils rappellent qu’être élu n’abolit pas l’action individuelle, et que celle-ci, au même titre que celle de tous les concitoyens, peut être condamnée. 

Les Présidents de la République ont perdu leur immunité symbolique, car ils sont deux à avoir été condamnés. Nous ne saurions manquer d’avoir un mot pour François Mitterrand. Son décès l’a empêché d’être mêlé aux procès de l’Affaire des Écoutes de l’Élysée.

Pour en savoir plus sur la question de la responsabilité des dirigeants, un article complet du Tote Bag sur le régime de responsabilité de nos dirigeants. 


Sources

https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F34157

https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2021/09/30/proces-bygmalion-nicolas-sarkozy-condamne-a-un-an-de-prison-ferme_6096593_1653578.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas_Sarkozy#Procédures_judiciaires_en_cours

https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/12/08/proces-des-ecoutes-quatre-ans-de-prison-dont-deux-avec-sursis-requis-contre-nicolas-sarkozy_6062663_3224.html

https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2021/09/30/proces-bygmalion-nicolas-sarkozy-condamne-a-un-an-de-prison-ferme_6096593_1653578.html