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Soigner les Camerounais, compenser une désertion

Dans un portrait paru le 21 août 2021, le média public américain VOA Afrique fit connaître à ses lecteurs le parcours du docteur Georges Bwelle, chef de service à l’hôpital central de Yaoundé, la capitale administrative du Cameroun. Le journal, financé (rappelons-le) à 100 % par le gouvernement des Etats-Unis, tente de masquer derrière des relents de messianisme et de « saviorisme » un problème plus profond qui touche la société camerounaise et son système de santé. Car ce portrait dithyrambique ne souligne que de quelques mots le désinvestissement de l’État camerounais en matière de santé. Peu surprenant de la part d’un organe de presse public diffusé dans un pays où la couverture sociale est pour le moins inexistante, d’autant plus depuis le passage de Donald Trump à la Maison Blanche. L’héroïsme du docteur Bwelle, bien réel lui, n’est en réalité que le symptôme de l’absence totale de politique publique sur les questions de santé au Cameroun.

Indépendance dirigée et stabilité fragile

Comme la quasi-totalité des anciennes colonies ouest-africaines de la France, le Cameroun obtient son indépendance de longue lutte, le 1er janvier 1960. Toutefois, le pays reste largement contrôlé par les autorités françaises, autant militairement que politiquement. Mais le nouveau régime s’en accommode et en appelle même à l’armée française afin de mater les groupes insurrectionnels socialistes, déjà largement réprimés durant l’occupation française. Malgré l’autoritarisme grandissant du jeune Etat camerounais et l’amaigrissement de l’État de droit, la France n’hésite pas à maintenir son soutien envers le régime, au nom de la défense de la liberté face à la « menace communiste ».

La santé et la protection sociale de la population reste un non-sujet pour les dirigeants camerounais, dont l’intérêt est davantage tourné vers le développement de l’industrie pétrolière. Ce n’est que timidement qu’est créée en 1967 la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS), qui se contente d’offrir des soins aux salariés du secteur privé structuré, excluant l’immense majorité de la population.

En 1982, le Cameroun voit son système politique s’ouvrir vers le multipartisme avec l’accession au pouvoir du président Paul Biya. Toutefois, cette (relative) ouverture démocratique s’accompagne aussi d’une féroce offensive néo-libérale sur le plan économique. Suivant les recommandations plus générales du Fonds Monétaire International, les coupes dans le budget affaiblissent profondément un système de santé déjà peu reluisant. Ainsi, la présidence de Paul Biya n’annonçait pas pour les Camerounais l’avènement d’une protection sociale satisfaisante et encore moins d’une sécurité sociale complète. L’état actuel du pays sur cette question l’a confirmé.

Etat des lieux : la convalescence d’Esculape

En vérité, le Cameroun se trouve dans une situation sanitaire catastrophique qui préexistait largement à la pandémie du virus Covid-19, peu présent au Cameroun (jamais plus de 100 cas par jour depuis le début de l’été). A la naissance, l’espérance de vie ne se situe pas au-delà de 55 à 60 ans et presque 150 enfants sur mille n’atteignent pas l’âge de cinq ans. Malgré quelques petites hausses dans le budget public alloué au Ministère de la Santé, les dépenses générales dédiées aux organismes de santé atteignaient à peine 3,5% en 2018 pour plus de 10% dans un pays comme la France.

Arrivées au Cameroun en juillet dans le cadre d’un projet humanitaire, Lucie et Marie, deux étudiantes infirmières de la région parisienne, soulignent le dénuement dans lequel se trouvent les établissements de santé public dont elles ont pu observer le fonctionnement. « Nous avons été frappées par l’exiguïté des lieux de soin. Il nous arrivait de voir des pièces où l’on trouvait deux enfants par lits » expliquent-t-elles. Et les pancartes à l’entrée des hôpitaux listant les tarifs des soins requis n’aident pas à rendre les lieux plus accueillants pour la population. « En revanche, soulignent les deux infirmières, les cliniques privées sans être plus chères que les services publics semblent bien mieux équipées et propres que ces derniers. Mais elles sont presque vides de patients… »

L’abandon des services hospitaliers par l’État est encore plus frappant lorsque l’on apprend que le personnel médical doit financer lui-même blouses, masques, tenues de protection… L’incapacité de l’Etat à fournir ne serait-ce que le matériel de base à son personnel soignant n’est que le stade le plus évolué d’un système de santé reposant sur les revenus de la population. Là où, dans les pays développés ne possédant pas de sécurité sociale comme les Etats-Unis, le coût des soins peut être compensé par le niveau de vie du patient, au Cameroun, il mène à un éloignement des systèmes hospitaliers traditionnels et à une « culture de la débrouille. »

Entre retour aux racines et engagement volontaire

Face à cette impossibilité pour la majorité de la population de se soigner dans les structures publiques ou privées, cette dernière recourt à un moyen certes moins efficace si l’on en croit les chiffres mais bien plus accessible : la médecine traditionnelle. Celle-ci est restée pour les populations les plus rurales l’unique moyen de recevoir un remède, quel qu’il soit. « On ne ressent pas tellement de colère chez la majorité des Camerounais face à cette situation, nous indique les deux étudiantes infirmières françaises. «  Les choses sont comme cela, et c’est tout. » On n’attend plus rien des institutions et l’on se contente de faire avec ce que l’on a. Un récent article du Monde indique d’ailleurs que même cette médecine traditionnelle, ici utilisée chez certaines communautés pygmées du Cameroun, est menacée par la déforestation à tous crins.

Toutefois, malgré le désengagement de l’État sur les questions de santé, on ne peut pas dire que les médecins et personnels soignants camerounais restent désemparés face à la crise qui touche leurs concitoyens. Ainsi, de nombreuses campagnes de santé sont lancées à travers le pays par des fondations de particuliers, comme la Fondation Franjac, une association de médecins et de mécènes camerounais au sein de laquelle ont travaillé les deux étudiantes. « Ces campagnes de santé sont en fait le seul moyen pour la population camerounaise d’obtenir des soins gratuits. On voit même des étudiants en médecine camerounais participer à ces campagnes. » Il est donc légitime de signaler le profond dévouement et les combats de ces médecins, ces infirmières et ces étudiants. Sans oublier qu’il n’est que l’autre face d’une seule pièce.

Briser les chaînes

Deux problèmes majeurs gangrènent le Cameroun et plus généralement la totalité des anciennes colonies françaises en Afrique subsaharienne.

Le premier est dû à une présence certes diffuse mais extrêmement déstabilisante de la France dans l’économie des pays de la zone. Depuis 1945, les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA[1]) et de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC[2]) ont pour monnaie le franc CFA, créée afin de garantir une légitimité internationale aux devises de ces pays. En réalité, du fait que le franc CFA doit obligatoirement avoir le même cours que l’euro (et ce depuis 1999), cette monnaie est en réalité bien trop forte pour les économies africaines. L’une des conséquences de cette inadaptation du franc CFA ainsi que l’inflation limitée imposée par la France conduisent à une impossibilité de contracter des crédits pour ces Etats et donc l’impossibilité d’investir dans les structures publiques comme celles de la santé. Malgré les promesses et les annonces du gouvernement Macron de commencer à négocier la fin du franc CFA et le passage à une monnaie commune africaine, l’Eco, les réformes entreprises n’ont en fait été qu’un vernis destiné à calmer les revendications des populations des pays concernés.

Le second problème est directement lié au premier : les élites des pays de la zone franc profitent de cette monnaie forte qui favorise l’importation de produits chers à des prix plus faibles mais qui handicape les exportations. Ainsi, les dirigeants des pays de l’UEMOA et de la CEMAC ont peu intérêt à combattre ces reliquats de colonialisme français puisqu’ils en profitent directement. La situation catastrophique du Cameroun en matière de santé participe donc d’un système hérité de la colonisation mais très loin d’être remis en cause par les chefs d’État africains.

La transition vers une société plus juste ne semble donc pouvoir venir, comme toujours, que de la participation et même l’action des peuples eux-mêmes.

Nous tenons à remercier chaleureusement Lucie Blasquez et Marie Bouchard qui ont accepté de partager leur expérience personnelle sur le terrain. Leur participation est toutefois indépendante du point de vue politique tenu dans cet article, qui n’engage que l’auteur.

Pour aller plus loin

  • Alex OKOULOMA, << Protection sociale et développement économique au Cameroun : une approche historique >>, Revue française des affaires sociales 2018/1
  • Danielle BEN YAHMED, Cameroun, Les Editions Jeune Afrique, 2006
  • https://www.fondation-franjac.org/
  • << Franc CFA : une monnaie de plomb >>, Datagueule n°64, www.youtube.com

[1]Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo

[2]Cameroun, Centrafrique, République du Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad