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Ce que la réforme de l’assurance chômage nous dit sur notre société

Les députés examinaient la semaine dernière en première lecture le projet de loi « portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi ». La France connaît des difficultés de recrutement importantes, notamment dans les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration et du BTP ; tout en présentant un taux de chômage à 7,4%, supérieur à la moyenne européenne de 6,1%. Cette réforme de l’assurance chômage visant à favoriser le retour à l’emploi cache des débats sociaux plus larges, autour des thématiques de l’assistanat, des représentations que nous nous faisons des chômeurs, et de notre perception de « la paresse ».

L’assurance chômage, d’un dispositif de transition professionnelle à la prise en charge socialisée d’un risque

L’assurance chômage est « un système de protection sociale qui assure la double mission d’indemniser les chômeurs et de favoriser leur retour à l’emploi ». Basée sur un système contributif, ce sont les cotisations versées par les employeurs, fixées à 4,05% du salaire brut, qui, en cas de chômage, permettent au chômeur de recevoir, sous certaines conditions, un revenu de substitution. Ce dernier fluctue en fonction du salaire de son ancien emploi et donc de ses cotisations. Lorsque le dispositif fut créé fin 1958, la France était en plein essor industriel. Le chômage était loin de représenter un risque et la main d’oeuvre était plutôt manquante. Il s’agissait alors surtout d’accompagner les salariés dans les périodes de transition entre deux emplois, mais depuis les années 1970 le chômage s’est installé durablement, et le dispositif s’est adapté aux problématiques françaises pour prendre en charge collectivement ce risque. Aujourd’hui, l’exécutif estime qu’une réflexion autour de ce dispositif est à nouveau nécessaire. Ce tournant est négocié parle ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion Olivier Dussopt, chargé de porter la réforme visant à rendre les règles d’indemnisation des chômeurs plus réactives à la conjoncture économique, en faisant en sorte que « lorsque la conjoncture est très bonne, les règles soient plus incitatives et à l’inverse, lorsque la croissance ralentit, que les protections soient plus fortes » (1). Ces déclarations ont suscité de vives réactions de l’opposition, qui ne veut « pas de droits yo-yo parce que la protection sociale n’est pas une variable d’ajustement de la conjoncture économique » (2). Les deux principales propositions adoptées par le palais Bourbon portent sur la modulation de la durée d’indemnisation selon la situation du marché du travail et l’abandon de poste, dorénavant assimilé à une démission, ce qui a pour conséquence de priver le salarié concerné de ses droits au chômage.

Casser le mythe du choix entre allocations et travail dans un contexte de stigmatisation des chômeurs et de critique de l’excès d’assistanat

La sociologue Dominique Méda tente de déconstruire le mythe de l’arbitrage travail/allocations, qui rejoint la critique montante de l’« assistanat » au sein de la société française : d’après une enquête menée par Elabe en 2021, 38% des Français pensent que les allocations sont trop élevées. Ne serait-ce que pour la détérioration de la perception du statut de chômeur, la grande majorité de ces derniers, s’ils ont le choix entre continuer à percevoir un revenu de substitution et reprendre le travail, choisiront, à la suite d’un calcul rationnel coûts/bénéfices, la deuxième option. En effet, 48% des Français pensent que la plupart des chômeurs ne cherchent pas vraiment à retrouver un emploi (toujours selon l’enquête d’Elabe). L’économiste et écrivaine Corinne Maier s’est questionnée sur la stigmatisation des chômeurs, liée aux visions de la paresse développées dans nos sociétés. Ainsi, elle analyse une stigmatisation des pauvres touchant des aides, contre une indifférence face au comportement des citoyens issus des classes moyennes ou favorisés s’infiltrant dans des « bulles de paresse », et théorise un « droit à la paresse à deux vitesses ». Cette intransigeance face aux pauvres et la remise en cause constante de leur volonté de s’en sortir est illustrée par la détermination de l’exécutif à imposer des heures d’activités d’insertion et de formation hebdomadaires aux allocataires du Revenu de Solidarité Active. Pour pousser le débat plus loin, Mathilde Panot, cheffe de file des députés LFI, déclare que « Les assistés ne sont pas ceux que vous persécutez, mais ceux qui trônent au sommet, à qui vous faites des courbettes ». Pour mettre fin aux allégations d’assistanat excessif, il s’agit de rétablir la vérité sur la réalité des recours à l’assurance chômage. Selon le rapport sur le non-recours à l’assurance chômage transmis au Parlement, plus d’un quart des chômeurs sont des non-recourants (plus précisément entre 25 et 42%, soit entre 390 000 et 690 000 personnes), c’est-à-dire qu’ils sont éligibles mais n’ouvrent
pas leurs droits.

Le plein emploi ou le bon emploi ?

La question de la dignité est sous-jacente dans beaucoup des débats autour du chômage. Dignité à ne pas être considéré comme chômeur dépendant des allocations, mais également à ne pas avoir à toucher d’aides alors que l’on travaille. Certains travailleurs à plein temps touchent la prime d’activité, l’allocation de rentrée, le chèque énergie… Le besoin de faire appel à ces aides renvoie à la problématique du travail qui ne paie pas suffisamment. L’envie de travailler est incontestablement là, mais les chômeurs en recherche d’emploi font face à un marché du travail très fragmenté, dans lequel on leur propose des « petits bouts d’emploi ». S’ils ne se réinsèrent pas sur le marché du travail à la suite d’une perte d’emploi, dans la majorité des cas, ce n’est pas par manque de volonté, mais par manque d’offre de travail appropriée, en adéquation avec leurs formations et leurs attentes. Cet argument est mis en avant par le député LFI-Nupes Hadrien Clouet qui considère que la réforme « raccourcit les droits à indemnisation des fleuristes parce qu’on recrute des plombiers ». Adapter une aide répondant à une logique assurantielle à la conjoncture économique n’a pas de sens, le but même de ce dispositif étant de couvrir le risque de chômage quel que soit le contexte. Baisser les aides accordées aux chômeurs disposant d’une formation de pâtissiers parce que la conjoncture est bonne et que l’on peut créer des emplois dans le domaine de l’automobile n’est simplement pas réaliste.


(1) Propos d’Olivier Dussopt au cours de l’audition par la commission du 13 septembre

(2) Propos de Pierre Dharréville, de la Gauche démocrate et républicaine