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Rishi Sunak : un nouveau premier Ministre pour le Royaume-Uni

Le 5 septembre 2022, suite à une primaire militante, Liz Truss a été désignée pour succéder à Boris Johnson. Six semaines plus tard, elle a annoncé sa démission, reconnaissant son incapacité à respecter ses engagements et appelant le pays à rester fort. Le lendemain, le Parti Conservateur a annoncé avoir désigné à sa tête Rishi Sunak. Cet homme de 42 ans est le troisième Premier Ministre Conservateur de l’année 2022. Retour sur la personnalité, les promesses du nouveau chef de gouvernement, qui traduisent la singularité du système politique britannique.

Une personnalité unique, au parcours des plus conventionnels

Rishi Sunak est le deuxième Premier Ministre du Roi Charles III, alors que ce dernier n’a pas encore été couronné. R. Sunak est le premier homme non-blanc originaire d’Asie à être désigné à la tête d’un gouvernement britannique. Il est aussi le premier premier ministre de l’époque moderne à être plus riche que le roi. Par ailleurs hindou et issu de la deuxième génération d’immigration (c’est-à-dire que ses parents ne sont pas nés au Royaume-Uni, alors que lui y est né), il revendique ses origines : « je suis complètement britannique, c’est ma maison et mon pays, mais mon héritage religieux et culturel est indien, ma femme est indienne ! » dans un entretien avec le Business Standard, un quotidien indien.

Son origine indienne fait de lui le premier premier ministre asiatique du Royaume-Uni, ce qui traduit un certain progrès concernant l’inclusivité des personnes non-blanches à la tête de l’État. Néanmoins, son origine sociale fait ressortir les spécificités de l’ancien Empire Britannique. Ses parents sont nés au Kenya et en Tanzanie, des pays contrôlés par la Couronne anglaise. Leurs familles ont immigré vers le continent africain à la proposition de l’administration coloniale britannique à la fin du XIXème siècle. Après les déclarations d’indépendance des pays africains (1961 Tanzanie, Kenya 1963), les familles originaires d’Inde se sont installées au Royaume-Uni. Leur aisance financière et sociale (ils étaient devenus des « cadres de l’administration coloniale ») ont permis d’offrir à leurs enfants de prestigieuses et onéreuses études. Adolescent, Sunak a étudié au Winchester College, dont les frais s’élèvent à plus de 45.000£ par an. Il a ensuite étudié la philosophie, la politique et l’économie au Lincoln College de l’université d’Oxford, une des universités les plus prestigieuses du Royaume-Uni (coût hebdomadaire : 550£), qui a vu défiler dans ses rangs de nombreux premiers ministres, dont Boris Johnson ou encore Tony Blair. Après ses études, il a travaillé pour la banque Goldman Sachs, puis pour divers fonds d’investissement avant de devenir député et d’être nommé ministre de l’économie par Boris Johnson.

Il est important de souligner que Sunak n’est pas particulièrement progressiste. Il revendique sa double culture et son origine non-blanche, mais il s’est opposé au déboulonnage des statues des figures coloniales lors des manifestations Black Lives Matter de l’été 2020. Alors qu’il était ministre de l’économie, il a organisé la mise en place d’un fonds de 700 millions de livres sterling pour lutter contre l’immigration illégale. L’ascension au sommet du gouvernement d’un homme issu de l’immigration indienne est un symbole important, surtout étant donnée l’importance de la diaspora indienne au Royaume-Uni. En 1994, le Royaume-Uni comptait environ 58 millions d’habitants, dont presque 2 millions d’origine indienne, c’est la population d’origine étrangère la plus importante du Royaume-Uni.

La représentation du peuple britannique en question

Au Royaume-Uni, des general elections sont organisées tous les quatre ans, afin d’élire les membres de la Chambre des Communes. Les dernières remontent à 2019. Le parti majoritaire, c’est-à-dire celui qui a le plus de sièges, a le droit constitutionnel de former un gouvernement, et son chef est désigné Premier Ministre du Royaume-Uni. Quand le Royaume-Uni ne traverse pas de crises particulièrement déstabilisantes, il parait facile de considérer que ce système permet la représentation du peuple. En effet, le peuple élit un mouvement politique, et ce dernier s’organise pour diriger le pays.

Néanmoins, quand le pays vit des moments plus difficiles, ce système peut poser question. En ce moment, le Royaume-Uni traverse une crise économique : le taux d’inflation ne cesse de grimper et a atteint 10%, un record depuis quarante ans. La crise économique est due à la guerre en Ukraine, qui a entrainé une importante hausse du prix des matières premières, des denrées alimentaires (15%) *, et surtout du gaz et de l’électricité (le prix a été multiplié par deux en un an)*. La hausse des prix s’est manifestée au moment où l’économie britannique tentait de se relever après la crise sanitaire du coronavirus. L’économie d’outre-manche a été particulièrement touchée par les restrictions sanitaires, car elle repose sur le service et le divertissement*. Il est important de souligner que le décès de la Reine Elisabeth II a coûté cher au pays, dans la mesure où il a été suivi de plusieurs jours fériés (sans production de richesses) et de beaucoup de dépenses nationales. 

Sans hésiter, on peut dire que le pays traverse une période difficile, et la stabilité politique en pâtit. Les dernières élections législatives se sont déroulées en 2019, le camp Conservateur l’a emporté grâce à Boris Johnson. Or, depuis 2019, le Royaume-Uni a vu défiler à Downing Street trois premiers ministres conservateurs (Boris Johnson, Liz Truss et Rishi Sunak). Sunak est donc le deuxième à ne pas avoir fait campagne. Car le système constitutionnel charge un parti élu par le peuple de diriger le pays, le parti est libre de changer de chef. Aujourd’hui, cela commence à interroger les consciences, car les Britanniques sont habitués aux mandats assez courts ou interrompus : Gordon Brown est resté deux ans au pouvoir (2007-2010), David Cameron a interrompu son deuxième mandat après un an et demi d’exercice (2010-2017) et Theresa May a démissionné au bout de deux ans et demi (2017-2019).

Le parti élu prend des engagements devant le peuple au moment des élections, mais les programmes sont largement susceptibles de changer selon la personne à la tête du parti. Le peuple anglais commence à se sentir mal représenté par ces partis dont la tête change sans arrêt, sans qu’il ait son mot à dire. Le Royaume-Uni traverse donc une crise sans précédent, à tel point que le Ministre des Opportunités et du Brexit, Jacob Rees-Mogg, a répondu que les performances de l’équipe nationale de criquet étaient remarquables lorsqu’il lui a été demandé en août 2022 ce qui fonctionnait bien au Royaume-Uni.


* Sources importantes, le Podcast L’heure du Monde :

– « Économie, politique… Pourquoi tout va mal au Royaume-Uni » du 12 octobre 2022 disponible sur Spotify.

– « Royaume-Uni : Rishi Sunak, le dernier des premiers ministres » du 26 octobre 2022 disponible sur Spotify