Neurosciences et crise environnementale
Le monde traverse une crise environnementale sans précédent aux conséquences tragiques pour la Terre et ses occupants. Le rapport du club de Rome en 1972, nous prévenait que nous allions atteindre les limites planétaires au cours du XXIme siècle (cf Les limites planétaires, Dylan Chiasson). Les travaux de Wallace Broecker en 1975 et le rapport Charney remis au président Carter en 1979 montrent que les émissions de gaz à effet de serre des activités humaines sont responsables d’un réchauffement climatique préoccupant. Depuis lors, de maigres tentatives de correction de trajectoire à grande échelle ont été menées. Création du GIEC en 1988, sommet de la Terre à Rio en 1992, convention sur la désertification signée à Paris en 1994, création de la convention cadre des nations unies sur le changement climatique depuis 1995, protocole de Kyoto en 1997, création des COnférences des Parties (COP) en 2005… La liste est longue, les résultats, eux, sont décevants, pire encore, la situation se dégrade. Mais comment expliquer ce décalage entre la prise de conscience globale de l’urgence à agir et notre inaction environnementale ces 50 dernières années? Intérêts économico-politiques, déni, schizophrénie… ? Il semblerait que les neurosciences nous apportent des réponses inattendues, qui nous concernent tous, écolo ou pas, conservateur ou progressiste, de droite ou de gauche, hippie ou capitaliste forcené.
Le cerveau humain, un organe qui a évolué trop vite
Pour comprendre notre cerveau, il est important de savoir qu’il est constitué de plusieurs aires cérébrales qui remplissent différentes fonctions (vision, préhension, mémorisation…).
Parmi elles, le striatum et le cortex préfrontal vont nous intéresser pour comprendre pourquoi nous ne réagissons pas malgré l’urgence environnementale. Le striatum est une partie très primitive du cerveau humain qui joue cinq rôles principaux se nourrir, se reproduire, acquérir du pouvoir, étendre son territoire, s’imposer face à autrui. Pour cela il est motivé par un circuit de récompense identifié en 1954 par Olds&Milner. Ce circuit de récompense permet de donner le courage nécessaire pour remplir les fonctions du striatum. Il agit en libérant un neurotransmetteur, la dopamine. Ce neurotransmetteur procure du plaisir et motive donc le passage à l’action. Ce mécanisme était très utile pour assurer la survie de nos ancêtres dans un univers aux ressources difficiles d’accès. Cependant, il y a 100 à 200 mille ans, une autre région du cerveau a été très fortement développée : le cortex préfrontal. Cette région du cerveau se caractérise par une aptitude aux pensées abstraites et aux raisonnements complexes. C’est le développement de cette partie du cerveau qui permet probablement d’expliquer les progrès technologiques considérables que nous avons connu au cours des derniers millénaires. Seulement, la capacité de raisonnement de cette région du cerveau a été mise à contribution pour remplir les attentes du striatum. Malheureusement, consommer à outrance permet de remplir ces fonctions primitives ce qui a pour conséquence de stimuler le circuit de récompense et de nous inciter à continuer. Pour assurer notre survie le striatum met toutes les chances de son côté. C’est notamment l’une des raisons pour laquelle nous observons aujourd’hui une explosion de l’obésité. Le striatum nous ordonne de manger toujours plus tant qu’il est encore temps, dans le but d’anticiper les phases de disette. Mais, dans un monde pléthorique, ce comportement ne se justifie plus et conduit aux excès. Or c’est bien l’excès, l’excès de consommation d’énergie et de matières premières qui nous conduisent dans l’impasse.
Néanmoins, le cortex préfrontal, lui, comprend que la planète a des limites, qu’elles seront bientôt atteintes et que cela va créer d’immenses problèmes. Mais, pour le moment, le striatum gagne majoritairement la partie puisque les plaisirs immédiats sont beaucoup plus puissants que les plaisirs différés (cf Test du Marshmallow). Il faut reconnaitre que notre cerveau a évolué trop vite selon les mots de Pierre Lemarquis. Le développement du cortex préfrontal a été habilement mis à profit par un cerveau primitif qui n’est plus adapté. En plus de ce dysfonctionnement, il semblerait que notre cerveau comporte de nombreuses erreurs de raisonnement et de jugement, que l’on appelle des biais cognitifs.
Le cerveau humain et sa compréhension limitée du Monde
L’érosion de la biodiversité, le changement climatique, la pollution, sont des phénomènes complexes aux répercussions multiples, que nos cerveaux ont du mal à saisir puisqu’ils sont tous minés par une multitude de biais cognitifs (biais de confirmation, biais de cadrage, biais rétrospectif, biais d’autorité, heuristique d’Ancrage/Ajustement…). Aussi, il vous sera extrêmement difficile de saisir la complexité des problèmes planétaires et d’adopter le comportement adéquat pour y faire face. Parmi ces biais, trois d’entre eux peuvent jouent un rôle particulièrement important dans la négation de la crise environnementale selon moi. Il s’agit des biais de Confirmation, d’Autorité et l’Aversion à la perte. Le biais de confirmation consiste à ne retenir que ce qui conforte notre vision du monde et à écarter le reste. C’est par exemple la raison pour laquelle un mois de Mai plus froid que la moyenne confortera les climato sceptiques qui s’empresseront de dire que le réchauffement climatique est une foutaise « Vous voyez bien comme il fait froid, pourquoi vous me parlez de réchauffement ? ». Ensuite, le biais d’Autorité, quant à lui, nous amène à accorder plus d’importance aux discours de ceux qui représentent les « sachants ». C’est l’effet « blouse blanche ». Or, aujourd’hui, dans certains médias « mainstream » par exemple, beaucoup de consultants se revendiquent « spécialistes » des questions environnementales alors qu’ils se limitent à donner leur opinion. Ils contribuent ainsi à alimenter le climato-scepticisme, à décrédibiliser les initiatives écologiques, à conserver le statu quo etc. Puis, l’aversion à la perte est un biais qui a pour conséquence de nous rendre l’expérience de la perte bien plus désagréable que celle du gain. Autrement dit, perdre une certaine somme d’argent va susciter une émotion en nous deux fois plus forte que celle d’un gain d’une somme équivalente. Cela explique en partie pourquoi nous sommes presque indifférents aux améliorations extraordinaires de nos conditions matérielles alors que la simple idée de les voir se réduire irrite très fortement. Un tel biais, est très dangereux pour la préservation de notre environnement puisqu’il nous pousse à tout faire pour ne rien perdre de ce que nous avons acquis. Finalement, bien d’autres biais (conformisme, heuristique de disponibilité, effet de halo…) permettent de mieux comprendre pourquoi nous réagissons de manière inappropriée face à la crise actuelle. Cependant, ces limites du cerveau humain et le contrôle de nos instincts primaires sur nos vies ne sont pas des fatalités. Nous allons voir par quels moyens nous pouvons parvenir à les dépasser.
Comment dépasser les blocages de notre cerveau pour affronter la crise environnementale ?
La première chose à faire selon moi, c’est déjà de prendre conscience de nos limites mentales. Personne n’est parfait, nous avons tous en nous cette forme d’animalité qui nous pousse parfois à adopter des comportements dont nous savons pertinemment qu’ils ne sont pas sains. Ils font parti de nous, certes, mais lorsqu’ils compromettent l’avenir de l’humanité et d’une grosse partie des êtres vivants sur Terre, il devient urgent de reprendre le contrôle. D’autant plus que nous vivons dans une société qui s’appuie sur ces faiblesses pour nous inciter à devenir les parfaits soldats consuméristes.
Ensuite, Sébastien Bohler, dans l’ouvrage « Le Bug Humain : Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher », propose de pratiquer la méditation de pleine conscience afin d’améliorer la maîtrise de soi, la gestion de ses émotions et maîtriser les pulsions du striatum. Cette pratique présente de nombreux avantages que vous pourrez retrouver dans l’abondante littérature disponible sur le sujet (Eckhart Tolle, Fabrice Midal, Matthieu Ricard, Sharon Salzberg …). Méditer c’est aussi ralentir, reprendre le cours du temps, sortir des comportements compulsifs divertissants qui nous permettent d’oublier l’apparente médiocrité du quotidien. Dans le même ordre d’idée, il est aussi important de renforcer notre volonté. Avoir une plus grande volonté c’est aussi être plus libre, libre de choisir ce qui est bon pour nous et de rester sur sa propre voie sans en être perpétuellement écarté. Pour cela, nous pouvons par exemple commencer par réduire fortement notre usage des réseaux sociaux, en particulier lorsque nous les utilisons dans les moments d’ennui. L’ennui est précieux, c’est un moment fécond, nécessaire à toute création, source de l’imagination (cf Eloge de l’Ennui, Patrick Lemoine) ! Profitions-en, ennuyons nous !
Maintenant, il faut aussi être honnête, cette crise va nécessairement impliquer de nombreuses difficultés. Nous n’allons pas toujours passer de bons moments et vivre une utopie. C’est pourquoi il nous faut réapprendre à accueillir les émotions négatives qui ont, elles aussi, beaucoup à nous dire et à nous apprendre. Il faut sortir de cet automatisme qui consiste à repousser les moments difficiles, à les oublier en nous plongeant dans les plaisirs faciles offerts par la société de consommation. La méditation, la consultation d’un psychologue ou la confidence amicale peuvent être de bons moyens d’y parvenir. De plus, c’est devant la contrainte et la difficulté que notre force créatrice se déploie pour les surmonter.
Pour finir, je crois, comme le disait Malraux que « le XXI me siècle sera spirituel ou ne sera pas ». Les sciences cognitives nous montrent à quel point il est important de travailler sur notre psyché si nous voulons parvenir à freiner cet élan auto-destructeur. La prise de conscience de la nécessité d’agir, partagée par un nombre toujours plus grand de nos contemporains, est une opportunité formidable pour l’humanité de développer un nouveau rapport au monde, plus durable et espérons-le, plus heureux.
Sources :
Raynaud Dominique, 23/03/2021, De la découverte de l’effet de serre à la creation du GIEC,23/03/2021, Encyclopédie de l’Environnement, Mémoires de l’Académie Nationale de Metz.
Jean François Marmion, Psychologie de la Connerie, Le Livre de Poche
Sebastien Bohler ,« Le Bug Humain : Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher », Robert Laffont
Eloge de l’Ennui- Une brève histoire de nous, Patrick Lemoine, Les éditions du relié
Dylan Chiasson, 8 janvier 2021, Les limites planétaires, Le Tote Bag.
Walter Mischel, Ebbe B. Ebbesen, Antonette Raskoff Zeiss, Cognitive and attentional mechanisms in delay of gratification., vol. 21, 1972, 204–218 p. (ISSN 0022-3514, DOI 10.1037/h0032198, lire en ligne [archive]), chap. 2
Olds J, Milner P. « Positive reinforcement produced by electrical stimulation of septal area and other areas of the brain » J Comp Physiol Psychol. 1954;47:419-427, 1954.