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Sex & Drugs & Literature: California Dreamin’, Pénélope Bagieu

En début de semaine, Julien Raynaud vous avait présenté The Mamas & The Papas ; quatuor étasunien emblématique de la fin des années 60, dont la notoriété coïncidait avec l’émergence du mouvement hippie. Leur succès, aussi fulgurant que leur carrière fut brève, s’explique en partie grâce au titre California Dreamin, écrit par Michelle et John Phillips en 1963 et enregistré en 1965 par les deux époux, Denny Doherty ainsi que Cass Elliot. La chanson fantasme le soleil de la Californie face au froid new-yorkais, et préfigure l’état d’esprit de ce qui en 1967 fut nommé le Summer of Love, également mis en musique par John Philips avec  le hit  » San Francisco « . « California Dreamin' » est donc un des hymnes d’une jeune génération pleine d’espoir et c’est ce qui nous frappe lorsque nous lisons le bande dessinée éponyme de Pénélope Bagieu. L’autrice et illustratrice retrace au fil de 272 pages crayonnées l’histoire de Cass Elliot alias Mama Cass, co-chanteuse de The Mamas & The Papas et icône oubliée de nos contemporains. 

© California Dreamin’, Pénélope Bagieu, 2015, Éditions Gallimard Bande Dessinée

Issue d’une famille juive de Baltimore, celle qu’on nommait pendant un temps Ellen Cohen, développa très tôt son amour pour le chant. Son père Philip, épicier passionné d’opéra, encourageait son ainée à chanter, ce qui la mena rapidement à envisager une carrière d’interprète. Inspirée par Broadway et par le Jazz, Cass Elliot peine dans un premier temps à se retrouver dans la Folk, genre populaire de cette période. Cherchant cependant un groupe dans lequel elle pourrait faire entendre sa voix si unique, elle forme en 1963 The Big 3 en compagnie de Tim Rose et John Brown. Le trio subit de multiples mutations, allant du départ de John remplacé par Jimmy Hendricks (non pas lui, un autre), à la formation d’un quatuor nommé Cass Elliot and The Big Three sans Tim Rose cette fois, mais avec Denny Doherty et Zal Yanovsky.  Rebaptisé Mugwumps le groupe se sépare en 1964 et Denny Doherty collaborant déjà à cette période avec les époux Phillips les rejoint définitivement. A force de persuasion, Cass Elliot intégra le trio qui devint le quatuor que nous connaissons tous. 

Pénélope Bagieu s’intéresse donc aux très jeunes années de l’éternelle jeunesse de Cass Elliot (disparue à 32 ans) et nous offre un portrait psychologique de la chanteuse. Cette bande dessinée, biographie fictive très bien documentée, prend le partie pris de nous présenter Cass Elliot à travers les yeux de ceux qui ont croisé sa route. Qu’il s’agisse de membres de sa famille, de camarades de classe, de collaborateurs artistes ou encore de fans, chaque personnage met en avant le caractère excentrique et déterminé de la chanteuse. Bien décidée à poursuivre son rêve de devenir «  la grosse la plus célèbre du monde », nous suivons une artiste qui ne baisse pas les bras face à une industrie musicale misogyne, grossophobe et qui n’a rien d’une grande famille. 

Cass Elliot à ses débuts, © California Dreamin’, Pénélope Bagieu, 2015, Éditions Gallimard Bande Dessinée

Au cours de notre lecture, la variation des points de vue ainsi que l’absence de filtre dans les propos de Mama Cass nous invitent à nous questionner sur l’image que nous nous faisons d’une star, mais aussi à comprendre l’ambivalence qui réside dans l’image que celle-ci se fait d’elle-même. La bande dessinée s’ouvre sur un micro-trottoir où un journaliste de la radio californienne KCAL demande à un groupe de jeune si le titre « California Dreamin’ » se trouve être le morceau de l’année 1965. Tous sont unanimement d’accord et expriment leur admiration pour le groupe qui dépasse leur simple musique et s’applique à ce que les membres représentent. Ces propos reviennent à un moment crucial du récit et mettent en exergue la perte d’illusions de Cass Elliot. Le rêve californien revêt alors une dimension plus terne pour Mama Cass qui, plus que jamais seule, chante cette chanson à laquelle elle tient, même si personne ne chante avec elle.1

1. « Make Your Own Kind of Music » 1969 « Sing your own special song, Even if nobody else sings along «