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Pierre Cardin (1922-2020): L’homme qui venait d’ailleurs

Portrait de Pierre Cardin par Elisa Mayor

A la mort d’un grand créateur, nous nous posons évidemment la question de la nature de l’héritage qu’il laissera à l’histoire de la mode. Qu’est-ce qui fait une icône du vêtement?

Cela peut être une pièce emblématique déclinable à l’infini comme le tailleur de Gabrielle Chanel ou bien une silhouette aussi libérée que l’esprit comme chez Yves Saint Laurent. Pour ce qui est de Pierre Cardin, son legs est encore flou et pour cause, il n’était pas de ceux qui ont pioché dans le passé mais de ceux qui pensaient le présent au futur. Le couturier, ayant vécu la période de la conquête spatiale pensait l’espace pour les terriens tant dans le vêtement que dans le design.

Ainsi, la silhouette et le mobilier chez Pierre Cardin se veulent géométriques, le rond y est récurrent, comme une idée de l’infini et de la perfection. Les couleurs sont franches, du rouge, du jaune, du bleu, qui ressortent sur les vêtements grâce à un contraste créé par de longues manches et des collants noirs. Pierre Cardin s’adressait à ses contemporains et son message se voulait universel au point où il fut le premier à lancer, avant Yves Saint Laurent, sa ligne de prêt-à-porter de luxe en 1959.

Son parcours, symbole d’excellence, commence pourtant par une arrivée à Paris contrariée par l’occupation allemande qui le force à travailler en tant qu’apprenti tailleur sous la France de Vichy. C’est lors de la Libération qu’il atteint la capitale et les ateliers de Paquin dans lesquels il élabore les costumes de La Belle et La Bête de Jean Cocteau. Il fait ensuite une courte apparition chez Dior où il participe à la création du Tailleur Bar. A cette période, Pierre Cardin avait donc déjà œuvré pour le bien de la mode, mais toujours dans l’ombre. Et c’est donc en 1950 qu’il fonde une maison à son nom.

De là, Pierre Cardin n’est plus juste une personne, c’est une marque, une griffe, la possibilité d’un mode de vie entièrement calibré selon la vision d’une même maison. Dans les années 1970, on peut se réveiller dans une chambre entièrement meublée par Cardin, se rendre au travail dans une voiture Cardin et assister à une réunion en portant une cravate Cardin tout en prenant ses notes avec un stylo Cardin. Cette manie des licences lui a valu nombre de critiques par ses confrères du milieu de la mode, ainsi que des relations tendues avec la Chambre Syndicale de la Haute Couture.

Le saviez-vous ?

La marque Pierre Cardin apparaît dans le film Retour vers le Futur (Robert Zemeckis, 1985) lorsque Lorraine (Lea Thompson) accueille Marty Mcfly (Michael J. Fox) et pense que son nom est Pierre Cardin après avoir vu ce nom sur ses sous-vêtements… Tandis que dans la version originale, il s’agit en réalité de la marque Calvin Klein !

Extrait du film :

Cependant, le couturier et homme d’affaire a toujours défendu sa position en établissant une distinction nette entre sa personne et sa maison éponyme. Car avec le temps, Pierre Cardin est devenu une entreprise employant jusqu’à 200 000 personnes réparties en divers départements de création. Il nous est alors possible de percevoir un problème, lorsque nous analysons de près la carrière de Cardin:

Est-ce que graver son nom dans l’histoire des modes et du vêtement ne reviendrait pas à se déposséder de sa propre humanité? Est-ce que devenir une marque n’est pas une forme de suicide personnel ouvrant les portes de l’éternité?

En littérature, l’antonomase a donné le Dom Juan, l’être machiavélique et même la poubelle. Un créateur de mode, une fois consacré, prend le risque d’être la poubelle de son milieu, l’objet déshumanisé de l’œuvre de sa vie. Nous serions tentés de craindre cela pour Pierre Cardin, qui, après tout, est devenu une marque. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que pour cela, il faudrait être capable de le résumer en un seul objet, or c’est tout un inventaire qui s’ouvre devant nous quand nous y pensons bien. Il semblerait donc que pour l’instant, Pierre Cardin ait réussi le tour de force de demeurer le sujet, l’adjectif, le verbe et le complément d’une même phrase qui saura s’inscrire dans un imaginaire collectif.

Références:


-P.David Esbersole, Todd Hughes (2019) House of Cardin

Trailer:


-Les archives de la RTS, Pierre Cardin, couturier et homme d’affaires
-INA Stars, 1968: Rencontre avec Pierre Cardin
-Stupéfiant! L’interview de Pierre Cardin
-Denis Bruna, Chloé Demey (2018), Histoire des Modes et du Vêtement