Catégories
Littérature

The Poppy War (La Guerre du Pavot) de R.F. Kuang : les dures réalités de la guerre 

La trilogie de Rebecca F. Kuang, The Poppy War, dont le premier tome est sorti en 2018, n’est pas seulement un roman fantasy, marketé comme un “enemies to lovers”. C’est une analyse historique de l’impérialisme, de la guerre et de ses conséquences. L’autrice, propose une réinterprétation fantasy de la Chine du XXe siècle à travers l’Empire de Nikara et le personnage de Fang Runin (Rin).  Le titre du livre tire son origine des guerres de l’opium, en anglais “poppy tears”, un élément majeur de l’histoire chinoise.

Comment devient-on un monstre ?

Nous suivons Rin, orpheline de guerre de la pauvre province du Coq, dans son ascension à Sinegarde, la plus prestigieuse académie militaire de l’empire. Tout la distingue de ses camarades : son statut social, son accent ainsi que sa couleur de peau, plus foncée, qui trahit ses origines. Au cours de ses aventures, Rin découvre qu’elle possède une aptitude rare et mystique : le chamanisme. Elle peut manier le feu grâce au dieu vengeur qu’est Le Phoenix mais le prix à payer pour ses pouvoirs est grand. Alors qu’une troisième guerre du pavot contre la Fédération de Mugen se prépare, Rin incarne l’espoir de survie de l’empire.

Rin est une « anti-héroïne » très bien développée au cours des trois livres. Kuang l’a écrite d’une manière à ce que l’on ne supporte pas ses actions mais l’on se surprend tout de même à la comprendre. Non sans raison, elle est remplie de rage et de vengeance. On la découvre dans sa jeunesse, avant qu’elle ne prenne conscience de l’étendue de ses pouvoirs et qu’elle ne commette l’irréparable. Au fil des pages, on observe sa descente vers la folie et son combat contre elle-même. 

Kuang dresse un parallèle entre Mao Zedong et le personnage de Rin, deux figures qui ont fini à la tête d’un pays entier en dépit de leurs origines modestes.  L’autrice cherche à comprendre comment une personne devient un monstre. Dans quelle mesure leur environnement, les personnes qui les entourent, la cruauté qu’ils ont enduré jouent-ils dans ce processus ? La volonté de Rin d’arrêter la guerre se retrouve ébranlée par les choix difficiles qu’elle est amenée à prendre. Il est intéressant de voir comment sa moralité évolue avec ses pouvoirs à travers les livres. 

Le prix de la guerre et du pouvoir

“War doesn’t determine who’s right. War determines who remains.”

( ‘La guerre ne détermine pas qui a raison. Elle détermine qui demeure.’) R.F. Kuang, The Poppy War

Les romans s’inspirent de la culture et de l’histoire de l’Asie de l’Est.  L’influence de la mythologie chinoise et de la magie sont très présentes dans le monde construit par Kuang. Les provinces de l’empire sont nommées comme les douze signes astrologiques chinois et les quatre dieux renvoient aux gardiens des quatre orients :  le tigre blanc de l’ouest (Byakko), la tortue noire du nord (Genbu), le dragon d’azur de l’est (Seiryu) et l’oiseau vermillon du sud (Suzaku).

Les aspirations impérialistes du Royaume-Uni déclenchèrent les deux guerres de l’opium (1839-1842/1856-1860) et virent les défaites de la Chine impériale face à l’empire européen. Ces défaites obligent la dynastie Qing à autoriser le commerce de l’opium sur son territoire et la concession de Hong Kong. Ce fut le début des traités inégaux imposés à la Chine par les puissances étrangères, dont le Japon, dans le but de forcer une ouverture commerciale du pays.

Toutefois, la trilogie peut être dure à lire. Des scènes brutales et détaillées sont importantes et cruciales pour l’histoire mais également le développement des personnages. Kuang ne cache pas les horreurs de la guerre, un reflet de la réalité, comme les viols et les massacres dans la ville de Nankin par l’armée japonaise et les expérimentations de l’Unité 731. La propre origine de Rin et l’île de Spear, utilisée comme un pion dans les plans politiques de l’empire de Nikara, renvoient à l’histoire de l’occupation de Taïwan par le régime impérial japonais (incarné par la Fédération de Mugen). Les empires européens sont également représentés dans les livres à travers la figure des Héspériens, reconnaissables par leur impérialisme ainsi que leur volonté de domination sur le continent asiatique. 

En s’inspirant de faits réels, Kuang attire l’attention sur des événements trop souvent mis sous silence ou oubliés. Elle ne cherche pas à distinguer les gentils et les méchants mais tente de dépeindre à travers ses royaumes et personnages fictifs le tableau d’une histoire marquée par l’orgueil et la cupidité des Hommes. Le réalisme de cet univers fait d’ailleurs l’une des forces du livre, même si cela signifie aborder des thèmes difficiles tels que le racisme, le génocide, la dépression ou encore l’automutilation.

La plume de R.F. Kuang est captivante, fluide et facile à lire, si bien que les six cent pages du livre nous filent presque entre les doigts. Sa série est portée par des personnages complexes et forts. Les stratégies militaires et la géopolitique sont cohérentes, bien intégrées à l’histoire, et n’alourdissent pas la lecture. 

Le premier tome de The Poppy War (La Guerre du Pavot) a été traduit en français par Actes Sud.

Sources : 

–        Duspiva, Alyssa (2018-03-26). « R.F. Kuang Stuns With Her Debut Fantasy Novel, The Poppy War »