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Littérature

Prix Goncourt : nous l’avons lu

Sur le dernier livre de Mohamed Mbougar Sarr, La plus secrète mémoire des hommes, publié par les éditions Philippe Rey/Jimsaan, 22 euros

Ce roman a obtenu le prix Goncourt 2021. Est-ce un cadeau de le lui avoir attribué, l’histoire le dira. En tout cas, c’est un livre qui provoque beaucoup de réactions dont une bonne part sont élogieuses. Pour ma part, je mettrai d’abord en avant la puissance qui se dégage de l’ensemble du roman. Car indéniablement le lecteur a affaire à un grand roman. Complexe, subtil tant dans sa structure que dans son écriture, multiple aussi par ses différents protagonistes, hommes et femmes, jeunes et vieux, et aussi par l’évocation de Paris et du Sénégal. Je ne mettrai pas en avant les références nombreuses ( Bolaño mais aussi Borgès) mais plutôt la qualité de l’ensemble.

Roman dans le roman, récits enchâssés les uns dans les autres, narrateurs multiples comme autant d’échos à la quête du personnage principal, Diégane Faye, sur la trace de l’auteur sénégalais d’un livre au titre superbe qui pourrait être le titre du roman, Le labyrinthe de l’inhumain, Elimane. Quête que d’autres que lui mènent ou ont mené, comme une journaliste et une jeune femme écrivaine. Là se trouve la clé de l’oeuvre (celle d’Elimane, celle de Diégane et celle de Mohamed Mbougar Sarr lui-même) : la nécessité de la littérature et de sa confrontation avec la vie. Les épisodes sont miroir d’autres épisodes, les différentes époques du récit renvoient les unes aux autres, la Guerre de 14 et la seconde Guerre, la colonisation et l’extermination des Juifs, le passé et le présent de l’Afrique.


Les souffrances des femmes répondent à celles des hommes, et se dessine une oeuvre complexe, mouvante, dont on se dit en refermant le livre qu’il faudra le relire. La femme rêvée, souffrante, créatrice, mère et amoureuse est au centre du roman à travers de multiples figures depuis Mossane la mère d’Elimane, Aida aimée de Diégane double de Siga, elle-même à la poursuite d’Elimane et le magnifique personnage de Maam Dib. La réception de l’oeuvre d’Elimane en 1938 ( les accusations de plagiat de la critique de l’époque) renvoie à la réception du roman de l’écrivain sénégalais en 2021. Le roman, constitué de nombreux récits enchâssés, allant d’un lieu à l’autre ( Paris bien sûr, mais aussi Dakar et Amsterdam) se clôt dans le troisième livre, par une deuxième partie dont le chapitre I est la magnifique lettre d’un ami écrivain de Diégane, Musimbwa, sur la nécessité d’écrire à partir d’un lieu ancré dans l’histoire personnelle, pour lui le puits creusé dans son village zaïrois par ses parents pour lui sauver la vie pendant une incursion de milices armées.

Ecrire doit être une nécessité et on ne peut s’empêcher, en lisant la lettre de Musimbwa, de penser que le destinataire, Diégane Faye, ressemble à Mohamed Mbougar Sarr confronté à une double culture et que la quête de son personnage est la quête de tout écrivain qu’il soit africain ou occidental. Enfin Diégane trouve la lettre à lui adressée par Elimane avant sa mort dans son village natal et le livre se referme. On n’a qu’une envie: le relire.

Sylvie Durbec