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Les Contes d’Amadou Koumba de Birago Diop : mémoires d’Afrique

À mes filles :
Nénou et Dédée
pour qu’elles apprennent et n’oublient pas que l’arbre ne s’élèvent qu’en enfonçant ses racines dans la Terre nourricière.

Birago Diop, Les Contes d’Amadou Koumba, dédicace

Né en 1906 et mort en 1989 au Sénégal, Birago Diop est un auteur relativement oublié en France. Pourtant, il a côtoyé deux figures centrales de la littérature française : Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor. Sans faire totalement partie de la Négritude, il a de profondes affinités avec ce mouvement. Son œuvre la plus connue est certainement Les Contes d’Amadou Koumba, parue en 1947, qui fait l’objet de cet article.

Birago Diop est issu d’une double formation. Il suit en effet à la fois des études coraniques, plus de 95% de la population du Sénégal est musulmane, et l’école française. Cette dualité entre tradition africaine et modernité à l’européenne va le suivre toute sa vie et se retrouve dans son œuvre.

C’est lors de ses études de vétérinaire en France qu’il rencontre Léopold Sédar Senghor. Il se noue alors entre eux une proximité intellectuelle qui va durer même après l’élection de Senghor comme président du Sénégal : tous deux souhaitent une voie de l’hybridité. Après la décolonisation, ils ne sont pas pour une rupture totale avec la France mais souhaitent maintenir un lien culturel et économique avec elle. Cette posture, souvent qualifiée de molle, voire collaborationniste, cherche à réparer les erreurs passées en construisant un futur commun plutôt qu’en abandonnant tout partenariat. Quoiqu’il en soit, Birago Diop cherche une voie de l’union, de la rencontre. Alors qu’il exerce comme vétérinaire dans la brousse, il se met à collecter les contes qu’il entend sur la route. Le long du Niger, la tradition orale est en effet encore vive et, par l’écriture, Diop vient recueillir la mémoire d’une société historiquement transmise par les griots. Ces personnes sont les conteurs et conteuses traditionnels qui portent en eux la mémoire de l’Afrique, les familles de griots se transmettant depuis plus de cent ans les récits de la région. Birago Diop vient ainsi mettre à l’écrit cette tradition orale séculaire, à la fois pour mieux la partager et pour la sauver.

L’histoire merveilleuse des bords du Niger

En études littéraires, « merveilleux » ne veut pas dire extraordinaire. Il est plutôt le signe d’un surnaturel considéré comme normal. Dans les contes notamment, personne n’est choqué de voir un loup qui parle comme dans Le Petit Chaperon rouge ou une princesse qui dort cent ans comme dans La Belle au bois dormant. De la même façon, les Contes d’Amadou Koumba sont remplis de merveilleux, que ce soient des histoires d’animaux qui parlent ou encore des sorcières qui jettent des sorts. L’histoire de l’Afrique racontée par les contes est ainsi celle d’une Afrique mythique. Les contes cherchent à expliquer le réel tout en racontant son histoire. Alors que le conte « Fari l’ânesse » explique comment les ânes ont été domestiqués par l‘homme, « Les Mamelles » donne l’origine des deux collines dakaroises.

Profondément ancrés dans le réel malgré leur dimension merveilleuse, Les Contes d’Amadou Koumba sont avant tout la proposition d’une vision du monde pour laquelle chaque chose a sa raison. Tout a une raison d’être, mais aussi des qualités et des défauts. Hautement moraux, les contes sont traditionnellement racontés par le griot au reste de la communauté et ne sont pas uniquement à destination des enfants. Ils peuvent ainsi avoir un humour parfois très gras qui se rapproche de la farce. Il ne s’agit pas de rendre tabou certains sujets mais de multiplier les niveaux de compréhension afin que chaque auditeur y trouve quelque chose à apprendre. « Un jugement » interroge par exemple le rôle du mari et de la femme dans le mariage. La morale du conte n’est d’ailleurs pas nécessairement celle à laquelle le lecteur s’attend…

Littérature de l’oralité, littérature du partage

Par son caractère oral, le conte n’a pas vraiment d’auteur. Si Birago Diop prétend ne pas avoir inventé les histoires qu’il pose à l’écrit, ce n’est pas non plus le cas d’Amadou Koumba qui puise dans un répertoire ancestral en langue wolof. Birago traduit vers le français ces contes traditionnels mais l’acte de traduire n’est pas neutre. Également poète, Diop transforme les récits wolof en contes en français. La culture devient ainsi ce qui est partagé, elle est à la fois à tout le monde et à personne. Libre, elle ne peut être attachée qu’à une seule personne. Elle est la transmission d’une sagesse qui permet de mieux appréhender le monde, comme dans le conte « Maman-Caïman » où la mère crocodile enseigne la vie à ses enfants à travers des contes qu’ils n’écoutent pas toujours, à leurs dépends.

Écrire en français, ce n’est pas seulement écrire pour les Français de métropole — le Sénégal est à ce moment une colonie — mais aussi pour tous ceux qui parlent français. En Afrique de l’Ouest notamment, le français joue un rôle important dans la naissance, en réaction à l’entreprise coloniale, d’une identité africaine. C’est au cours du XXe siècle que l’on passe d’une logique d’ethnies à une logique panafricaine. La langue dont proviennent les contes, le wolof, est la langue la plus parlée de la vingtaine de langues du Sénégal mais le français a pour avantage d’être parlé jusqu’au Congo et permet le développement d’un lectorat potentiellement très large, quoique souvent issu de classes sociales favorisées.

Sous une apparente simplicité, Les Contes d’Amadou Koumba de Birago Diop témoigne ainsi de la pensée d’une époque. Ils incarnent la voix de la paix, de la coopération et du partage. S’inscrivant dans un tissu littéraire déjà dense, ils sont devenus un classique de la littérature africaine, au même titre que les contes de Perrault ou ceux des Frères Grimm. L’auteur-poète met à l’écrit les récits des conteurs et conteuses pour mieux les partager. À propos de la suite de ces contes, Léopold Sédar Senghor écrit d’ailleurs que Birago Diop « rénove […] en les traduisant en français, avec un art qui, respectueux du génie de la langue française — cette « langue de gentillesse et d’honnêteté » —, conserve, en même temps, toutes les vertus des langues négro-africaines. »

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