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Dernier ferry pour le succès, Shinichi Sugimura

Le Tote Bag vous propose de découvrir aujourd’hui un manga paru aux éditions Le Lézard Noir qui invite ses lecteurs à voguer sur des eaux grotesques à la recherche d’un remède efficace contre le syndrome de la page blanche : Dernier ferry pour le succès par Shinichi Sugimura. 

Synopsis : 

Dernier ferry pour le succès, Shinichi Sugimura, Le Lézard Noir, 2022

Yoko est une jeune scénariste à succès récemment victime d’une polémique. En pleine période de crise, elle est censée rendre un manuscrit pour une pièce de théâtre dont la première approche à grand pas et pour laquelle elle n’a pas écrit un mot. En proie à l’anxiété, elle fuit la ville, les tabloïds et sa manager pour se rendre chez sa mère dans la campagne japonaise. 

Presque arrivée à destination, elle doit prendre un ferry qui lui fera rejoindre l’autre rive d’un petit lac afin de rejoindre le restaurant de sa mère. Mais pour une raison qui lui échappe, elle ne parvient pas à débarquer et à atteindre sa destination. Yoko s’enferme alors dans une étrange boucle sempiternelle entre l’hôtel de la rive d’en face dans lequel elle végète dans l’attente d’inspiration et le ferry, abritant des personnages toujours plus farfelus semblant nourrir une intrigue sporadique qu’elle ne parvient pas à mettre sur papier. 

Impressions : 

Ce manga est, dans son entièreté, un ovni littéraire. La manière avec laquelle la mangaka utilise l’humour afin de traiter de cette thématique universelle du syndrome de la page blanche est à la fois déroutante et magistrale ; le lecteur passe du rire à l’inquiétude en l’espace d’une seconde et ne se voit accorder aucun répit tant les étranges intéractions entre les personnages fusent à toute vitesse. 

Ces dernières, à la limite du grotesque, évoquent presque le Vaudeville. Des conversations sérieuses sont décrédibilisées par une mouette qui fiente en arrière-plan, des dialogues de sourds suivis d’échanges enjôleurs s’enchaînent sans cohérence, les personnages se passent de formalités au profit d’une proximité précoce mise en lumière notamment lors de tutoiements intempestifs, inappropriés pour la situation… Les dialogues n’ont ainsi rien de naturel ; à cheval entre Les Feux de l’Amour et Le Coeur a ses raisons, le lecteur assiste à un changement total de registres d’une scène à l’autre. En somme, ce ferry semble être le théâtre d’un immense imbroglio dont les personnages ne parviennent pas à  se défaire. 

Dernier ferry pour le succès, Shinichi Sugimura, Le Lézard Noir, 2022

L’absurdité de la situation est également mise en lumière par une théâtralité caractérisée par les réactions explosives des personnages “Ma mère tient le restaurant Kojiri” “C’est vrai?!”. Celle-ci est d’autant plus mise en lumière par le character design des personnages et la manière dont la mangaka dessine leurs expressions faciales ; le traitement des visages et des sentiments se veut représenter un ensemble outrancier à la limite de la caricature. Les visages alentours sont eux aussi extrêmement déformés, comme trop maquillés, ayant des caractéristiques faciales bien trop accentuées en mettant en lumière le peu de naturel de l’histoire. Par ailleurs, ce qui est d’autant plus frappant c’est que lorsque la mangaka ne caricature pas les visages, elle en vient à caricaturer les émotions, ce qui contribue à la théâtralité absurde de certaines situations précédemment évoquées. 

Dernier ferry pour le succès, Shinichi Sugimura, Le Lézard Noir, 2022

Fiction et réalité s’entremêlent tout au long du manga et viennent alimenter les quiproquos entre personnages alors que Yoko tente de rédiger son scénario. La grande blague survient lorsqu’elle se décide enfin à débarquer et à se rendre de l’autre côté de la rive ; impossible car le ferry est contraint à faire le tour du lac sans jamais accoster à la suite d’une note trouvée dans d’étranges circonstances, menaçant de faire exploser le bateau s’il venait à accoster… L’incohérence est cristallisée par cette mise en abyme ridicule “jusqu’à quand cette comédie va-t-elle durer ?”. 

Conclusion : 

Ce manga en vient à questionner le lecteur sur ce qu’il vient de lire ; était-ce une farce ? A-t-il été piégé par l’autrice au même titre que les personnages ? Ne devient-il alors pas lui-même un personnage à part entière dans le récit ? Impossible de rester de marbre durant la lecture du Dernier ferry pour le succès, que la rédaction du Tote Bag vous conseille fortement. 

Les éditions Le Lézard Noir continuent à nous épater par le choix pertinent de leurs parutions et nous nous régalons toujours autant lors de la découverte de leurs titres. 

Dernier ferry pour le succès Tome 1 et 2 disponibles en boutique et à la commande à la Librairie Gutenberg

Lise Semeria