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Comptes rendus d'expos

Thierry Mugler : Couturissime au MAD

Du 30 septembre au 24 avril 2022 se tient l’exposition Thierry Mugler, Couturissime au Musée des Arts Décoratifs à Paris. L’équipe du Tote Bag s’y est rendue et vous en propose un compte rendu. 

Mais qui est donc Thierry Mugler, ce couturier de génie qui a remodelé la silhouette féminine pour tantôt la rendre hermétique avec des créations-boucliers qui vont venir sculpter ces corps et en limiter l’accès, tantôt la dévoiler et exposer une vulnérabilité saisissante, accentuée par des matériaux délicats. 

Thierry qui ?

Ce n’est pas pour rien que dans son ouvrage Thierry Mugler, Galaxie Glamour, Danièle Bott qualifie Mugler de “couturier sur orbite” et emploie le champ lexical de l’espace à outrance. Cet extraterrestre de la mode est à l’origine de nombreuses créations mythiques en lien ou non avec cet infini spatial et est une figure de proue du power-dressing des années 80. Cette mode vestimentaire confère entre autres aux femmes de plus en plus présentes dans la vie active, une silhouette plus “virile” à travers des carrures imposantes et très architecturées obtenues artificiellement de par leur vêtement. 

Né en 1948 à Strasbourg et ayant reçu une éducation stricte, Thierry Mugler s’est beaucoup inspiré des femmes de sa vie et notamment de sa mère, dont l’élégance fascinante résonne dans certaines de ses créations. Enfant, il s’essaie pour la première fois à la couture avec l’une des femmes du village dans lequel se trouve la maison familiale et commence à prendre des cours de danse, discipline à laquelle il excelle. La théâtralité de ses créations prend alors tout son sens ; devenu jeune adulte, il voyage énormément et s’enrichit de rencontres décisives dont une à Paris à la fin des années 60 qui l’incite à vendre ses dessins à des maisons telles que Cacharel et Dorothée Bis. La machine est lancée, et aux commandes de cette navette spatiale innovante se trouvait un jeune Thierry Mugler au potentiel débordant.

Thierry Mugler, Couturissime : 

En franchissant le pas de la porte, le visiteur est accueilli par la pénombre. Des créations colorées, texturées et architecturées sont éclairées et rythment la visite. Avant d’atteindre le cosmos, il s’agira premièrement d’explorer la terre et les éléments qui la composent ; on pourrait penser en premier à sa végétation ou à une présence animale symbolique mais c’est un autre univers qui sera mis à l’honneur. Un univers qui cohabite avec l’humanité, la nature et le monde animal mais qui est marginalisé voire abhorré : celui des insectes. 

Tailleur ajouré en tulle et casque-lunettes « insecte », Thierry Mugler, Collection Les Insectes, Haute couture printemps-été 1997
Modèle La Chimère, Collection La Chimère, Thierry Mugler, Haute couture automne-hiver 1997-1998

Mugler propose d’abattre cette barricade de dégoût et d’aversion en fusionnant l’humain avec l’insecte. Il crée ainsi un être hybride dont la beauté résiderait dans l’association parfaite des deux espèces mettant en lumière une complémentarité esthétique insoupçonnée. 

Cette collection Haute couture printemps-été 1997 cohabite avec le reste des pièces rassemblées dans la salle et leur association avec la collection Haute couture automne-hiver 1997-1998 intitulée La Chimère ne fait que souligner ce désir de briser les barrières entre les diverses espèces peuplant la terre mais aussi notre histoire et nos cultures. 

Modèle « Méduse de bal » Thierry Mugler, Collection Les Méduses, Haute couture automne-hiver 1999-2000

Par la suite, alors que le visiteur s’aventure dans les tréfonds de l’exposition, un décor de caverne sous-marine prend forme. Sous la lumière aveuglante des projecteurs magnifiant les pièces exposées, certaines semblent étinceler et nous assistons à un naufrage d’une ostentation démesurée. Thierry Mugler nous propose de plonger avec lui dans cette Atlantide retrouvée et nous en ressortons éblouis (littéralement, cette visite ne convient pas à une personne souffrant d’épilepsie). 

Le voyage continue ensuite et nous découvrons alors un univers futuriste et profondément ancré dans son temps. La science-fiction permet à l’imaginaire populaire de visualiser un futur incertain et fantasmé, alimenté par des découvertes technologiques qui ne cessent d’émerveiller. Peut-être que la collection Hiver Buick issue de la saison de prêt-à-porter automne-hiver 1989-1990, vous permettra de comprendre la passion dévorante d’Arnie Cunningham pour la belle Christine ? De même pour les pièces métalliques et robotiques de la Collection de prêt-à-porter printemps-été 1991 nommée Superstar Diana Ross ; n’est-ce pas la perfection du remodelage métallique sur la peau imparfaite d’un simple être humain qui l’immortalise ? Le Terminator vous le dira. 

Bustier, Thierry Mugler, Collection Hiver Buick, Prêt-à-porter automne-hiver 1989-1990
Ensemble en métal, Thierry Mugler, Collection Superstar Diana Ross, Prêt-à-porter printemps-été 1991

Cette exposition se veut être une expérience sensorielle immersive ; une délicate fragrance nous mène alors dans la dernière salle du rez-de-chaussée. Dans celle-ci, votre nez sera mis à rude épreuve par des dispositifs vous permettant de sentir les différents parfums de la Maison. Il vous sera également possible de découvrir les contenants à l’esthétique si particulière, témoignant de l’intérêt du créateur pour le design.

Tailleur, Thierry Mugler, Collection Les Colonnes, Prêt-à-porter printemps-été 1996

Enfin, dans cette deuxième partie de l’exposition sont mises à l’honneur les collaborations du couturier ainsi que ses travaux de photographie. L’omniprésence d’Helmut Newton tout au long de sa carrière ainsi que ses propres réalisations permettent de prendre un peu de recul sur sa personnalité artistique. L’aspect sculptural et architectural de ses créations se retrouve dans les compositions de ses clichés ; si le couturier aime s’adonner à l’excentricité et à la profusion, il est aussi capable de sobriété comme en témoignent certaines pièces de la Collection prêt-à-porter printemps-été 1996, Les Colonnes

L’exposition est ponctuée par de petites projections et se termine sur une mise en scène immersive en lien avec la participation de Thierry Mugler à la confection des costumes de La Tragédie de Macbeth, jouée au Festival d’Avignon de 1985. Nous ne vous en dirons pas plus pour ne pas ruiner votre expérience, mais nous vous la conseillons grandement ! 

Ainsi, il s’agit d’une belle exposition, à laquelle nous pouvons reprocher une scénographie parfois bancale et une documentation assez lacunaire. Cependant, les pièces exposées sont d’une splendeur enchanteresse et il s’agit avant tout d’une expérience sensorielle intéressante que nous ne regrettons pas d’avoir vécue. 

Nous espérons vous avoir convaincus de vous y rendre et nous vous souhaitons un bon voyage dans l’univers décalé de ce couturier de talent !

Lise Semeria