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Comptes rendus d'exposPhotographie

Les rencontres photographiques d’Arles 2021 : ce qu’il ne fallait pas manquer !

Si les Rencontres photographiques d’Arles 2020 n’ont pas pu avoir lieu en raison de la crise sanitaire, la 52e édition du festival a été l’occasion d’apporter des changements dans son organisation. Cette année le festival était partagé entre des projets de l’année dernière et de nouvelles propositions d’exposition. Cette édition sonne le glas de nouveautés artistiques : la première à noter est le changement de directeur Monsieur Christoph Wiesner qui a pris ses fonctions en septembre 2020, succédant à Monsieur Sam Strouzde en poste depuis 2014.

De plus, il faut prendre en compte l’apport considérable de la Fondation Luma dans cette exposition. Le projet mené par Marja Haufmann avec la création de sa célèbre tour à permis le réaménagement du parc des ateliers SNCF offrant de nouveaux espaces d’exposition pour le festival. Dans cette dynamique, il faut prendre en compte la création de la récente École Nationale Supérieure de la Photographie, en face de la Fondation Luma, qui marque une place forte de la photographie en France.

Ainsi, Arles affirme sa place et sa volonté de redynamiser ainsi que d’offrir un vent de renouveau à son emblématique Festival, existant depuis 1969. Nous vous proposons un parcours de 6 expositions coups de cœur de cette nouvelle édition, témoignant de la diversité et de la richesse de ce festival.

Thawra ! Révolution ! Soudan, histoire d’un soulèvement.

Documenter la résistance et la répression soudanaise tel est le pari risqué de huit photographes qui ont bravés tous les dangers pour se tenir au plus près de la population afin de suivre leur histoire et leur combat. Ils sont âgés de 19 à 30 ans, diffusent leurs images sur les réseaux sociaux, et sont à la fois acteurs et observateurs de ce bouleversement. Malgré le risque de se faire arrêter et torturer par la police politique du régime, les photographes n’ont jamais cessé de documenter les événements.

© Garance Giachini

Pour mieux comprendre ce contexte : après trente ans de dictature religieuse et militaire, et des années de guerre civile, le 11 avril 2019, les Soudanais parviennent à faire chuter Omar el-Bechir, l’homme qui leur avait imposé un règne sans partage depuis son coup d’État en 1989. L’émergence d’un sit-in démocratique, soit une manifestation non-violente consistant à s’asseoir en groupes sur la voie publique, s’est étendue sur plusieurs kilomètres. Toutefois, le 3 juin 2019, ce sit-in est brutalement démantelé par les militaires. Après plusieurs semaines de terreur, des centaines de milliers de personnes redescendent dans la rue pour demander justice. À force de persévérance, les Soudanais réussissent à obtenir l’instauration d’un gouvernement citoyen : c’est pour eux une victoire.

© Garance Giachini

Située dans l’Église des Trinitaires, l’exposition propose une immersion dans cette réalité poignante : ce lieu solennel contraste avec la dureté du quotidien des Soudanais. Les photographies rendent compte de la force combative de la population, l’entraide mais surtout l’espoir. L’espoir d’une jeunesse qui se bat pour trouver un avenir meilleur placé sous le signe de la liberté : des enfants brandissent des affiches « Je descends dans la rue, Révolution », les jeunes filles revendiquent le droit à l’éducation… Ces clichés résument l’union d’un peuple en colère, oppressé par la dictature et plus déterminé que jamais à faire tomber le régime et faire advenir leurs rêves de liberté.

En parallèle de ces photographies est projeté un extrait de vingt minutes du documentaire Soudan, retiens les chants qui s’effondrent, de Hind Meddeb. La réalisatrice se place du côté de ceux qui se révoltent et elle nous plonge au cœur de cette révolution, dans l’action. Les témoignages des Soudanais sont très poignants et nous ouvrent les yeux sur la situation de ce pays en crise.

Masculinité : la libération par la photographie

Présentée dans le complexe fraîchement réaménagé des anciens ateliers SNCF, situé dans le parc Luma, l’exposition « Masculinité » est l’une des expositions stars des rencontres photographiques d’Arles 2021. A travers un large parcours, complet et constructif, « Masculinité » tente de présenter sous toutes ses formes ce concept complexe, trop souvent stéréotypé.

© Garance Giachini

L’exposition présente les différentes formes que prend dans l’imaginaire collectif la « Masculinité » : la figure du soldat, du Cow-boy, l’hétérosexualité… Plus largement l’exposition présente un panorama photographique de la déconstruction de la figure typée de la Masculinité, en dévoilant des travaux de recherche profonds et véridiques qui nous interrogent fondamentalement sur cette notion floue.  

Le catalogue des rencontres témoigne de cette volonté de contempler ces divers aspects : « les nombreuses façons dont la masculinité a été vécue, performée, codée et construite socialement, à travers l’expression et le témoignage de la photographie et du cinéma, des années 60 à nos jours ».  

© Garance Giachini

Cette thématique actuelle, qui s’ancre dans une tendance d’une profonde remise en question du genre, apporte de nombreuses pistes de réflexion sur la place de l’homme et sa construction : la domination, les stéréotypes hétéronormatifs et plus généralement les codes liés à la masculinité, qui sont remis en question depuis les années 60 et l’avènement de nombreux mouvement d’émancipation sexuelles, raciales, sociales ».

Ainsi, « Masculinité : la libération par la photographie », offre une réflexion large qui s’ancre dans des thématiques identitaires contemporaines, avec un parcours constructif et surtout une grande diversité photographique. L’exposition est une réussite dans son propos et dans sa conception.

The New Black Vanguard : Photographie entre art et mode.

© Garance Giachini

Cette exposition haute en couleurs met à l’honneur l’art du portrait et ouvre à la discussion de la place de la représentation du corps noir dans la mode ainsi que dans la photographie. Œuvrant pour la plupart dans le domaine de la mode, les photographes sélectionnés, ayant pour la majorité un peu moins de 30 ans, écrivent une nouvelle page de l’histoire visuelle, plus ouverte et inclusive. Ils exercent depuis les États-Unis jusqu’au Nigeria.

Exposées au sein de l’église Sainte-Anne les photographies sont présentées sur des fonds jaunes et bordeaux rendant l’ensemble resplendissant. The New Black Vanguard est une exposition pleine de fraîcheur qui met en valeur la beauté des corps et offre des images réjouissantes : bijoux étincelants, costumes élégants, lunettes de soleil, poses lascives, maquillage fluo, vêtements flashy….

© Garance Giachini

Les artistes vont au-delà des idées reçues relatives aux corps ou à la beauté, souvent véhiculées par la société. Ces photographes proposent en effet de sortir des critères traditionnels de la beauté et du corps, longtemps représentés dans les magazines et dans la publicité par des stéréotypes. 

Leur travail a été diffusé dans les magazines de mode, dans des musées, dans des campagnes publicitaires mais aussi sur les réseaux sociaux. Ainsi, ces photographes noirs insufflent un nouveau vocabulaire visuel contemporain autour de la beauté et du corps : les œuvres constituent une sorte d’activisme visuel. L’ensemble de leur travail a pour objectif de légitimer leur place au sein de la mode, de la photographie et de la culture afin de construire leur propre image pour participer pleinement aux industries des arts.

JAZZ POWER ! JAZZ MAGAZINE, VINGT ANS D’AVANT-GARDE (1954-1974)

Amateur de jazz, this is your exhibition !

Présentée dans l’espace de la croisière à proximité du parc Luma, l’exposition retrace les clichés photographiques qui ont marqué le mensuel jazz magazine, véritable icône de la presse musicale.  Fondée par Frank Ténot et Daniel Filipacchi en 1954, le magazine a su s’imposer comme une presse indispensable pour tous les amateurs de jazz et/ou de blues. Ils légitiment le jazz comme pratique culturelle et en révèlent la dimension éminemment politique. L’exposition est la célébration de la diversité et de la liberté que porte la musique

© Garance Giachini

Dans le contexte d’une société américaine profondément tendue par les questions de sociétés, la musique jazz a mis en avant de grandes figures de la culture afro-américaine : Louis Armstrong, Miles Davis, John Coltrane, Nina Simone, Ray Charles… En effet, en raison des lois de ségrégation raciale aux États-Unis en vigueur jusqu’en 1964, et du difficile processus de décolonisation entamé par la France, rarissimes sont les publications de la presse hexagonale qui mettent en couverture des personnalités Afro-Américaines.

De ce fait, la jeune équipe de la revue témoigne ardemment des luttes pour les droits civiques en Amérique, comme des discriminations subies par les Afro-Américains des deux côtés de l’Atlantique.

L’exposition revient sur les réserves photographiques de jazz magazine, qui a suivi ces stars, ces piliers de la musique durant leurs concerts et leurs tournées aux États-Unis et en France.  L’ensemble n’a pu que ravir les visiteurs en voyant ces grandes personnalités en transfiguration dans leur musique !

Sabine Weiss, une vie de photographie

© Garance Giachini

Arles met cette année en avant Sabine Weiss, grande dame de la photographie, qui a fêté ses 97 ans en juillet dernier durant les rencontres photographiques. À elle seule, Weiss incarne tout ce que la photographie humaniste dans son émotion, sa vérité sensible, sa proximité intrusive peut nous apporter. Exposée dans la chapelle du nouveau musée Arlaten, qui est un véritable temple des traditions camarguaises, l’exposition réunit différents clichés de l’artiste, allant de ses travaux les plus célèbres, à des photographies intimes d’elle et de son mari Hugh Weiss avec qui elle a vécu une relation passionnée.

L’on ne peut qu’esquisser un sourire face au travail de Sabine Weiss, dont l’œuvre est l’exemple même de la grande diversité de la photographie humaniste, avec ces hommes et ces femmes pris en photo à leur insu, et dont l’image parle d’elle-même. On peut aussi être bouleversé, comme nous l’avons été devant une série photographique qui montrait une vielle dame allant enterrer seule son chien au fameux cimetière d’Asnières.

Ainsi, cette exposition reflète bien la démarche diversifiée et intense de l’artiste, qui n’a cessé de chercher dans la spontanéité de l’Homme les émotions les plus simples et profondes. C’est un bel hommage rendu à l’artiste qui est l’une des dernières figures vivantes de cette photographie humaniste des années 1950-1960 qui a profondément marqué la photographie française. Weiss, qui reste dans l’ombre de certains artistes comme Doisneau, Ronis ou Boubat, est une personnalité incontournable pour comprendre cette poésie de l’instant.

© Garance Giachini

Enfin, si nous vous avons présenté seulement les expositions qui nous ont particulièrement marqués, il faut noter que le programme des rencontres photographie d’Arles est empreint d’une volonté forte et nette de mettre en avant les jeunes créateurs et des thématiques proprement contemporaines. Ce choix courageux, de ne pas exposer que de grandes figures de la photographie, mais de réaliser des expositions collectives autour de thèmes politiques et sociaux actuels, permet aux rencontres d’Arles de s’imposer comme un centre majeur de la production photographique contemporaine. 

Nous souhaitons saluer toutes les collaborations du festival pour ce travail après la difficile édition 2020 : ils ont su rebondir en proposant un programme innovant. En espérant que l’édition 2022, proposera des évènements de la même ampleur, avec pour l’année prochaine la finalisation des travaux de la tour LUMA. Ce projet affirme définitivement la ville d’Arles comme l’épicentre de la création photographique.