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Comptes rendus d'expos

Hostia : Pier Paolo Pasolini, au Museo Nazionale de Matera

A l’occasion du centenaire de la naissance de Pier Paolo Pasolini, en 1922, des expositions et des célébrations fleurissent à travers l’Italie : l’exposition Hostia : Pier Paolo Pasolini est organisée à Matera du 28 juillet au 6 novembre 2022 dans le Palazzo Lanfranchi, un site du Museo Nazionale di Matera.

A l’occasion du centenaire de la naissance de Pier Paolo Pasolini, en 1922, des expositions et des célébrations fleurissent à travers l’Italie : l’exposition Hostia : Pier Paolo Pasolini était organisée à Matera du 28 juillet au 6 novembre 2022 dans le Palazzo Lanfranchi, un site du Museo Nazionale di Matera.

Vue de la Chiesa del Carmine. © Salomé Legrand

On peut se demander en premier lieu pourquoi une exposition traitant de P.P.P., appelée Hostia (soit Ostie, le port de Rome où Pasolini a été assassiné) se tient à Matera : le lien remonte au film de 1964 du réalisateur italien, Il Vangelo Secondo Matteo tourné dans la ville de Matera, alors encore laissée à l’abandon par l’Etat et peu connue ; la ville passionne Pasolini car elle parait représenter un certain universalisme, une ville figée dans le temps. Cette exposition est aussi un moyen d’amener à des générations plus jeunes une nouvelle connaissance de P.P.P., l’œuvre de sa vie et sa contemporanéité encore aujourd’hui.

L’exposition est centrée autour de multiples œuvres sur différents supports de l’artiste polyvalent Nicola Verlato. Cet artiste est né à Vérone dans les années 1960 et a donc pu connaitre la mort de Pasolini et être marqué par cet évènement. Il a étudié la peinture, la composition et l’architecture, et produit également des sculptures dont certaines sont visibles dans l’exposition Hostia. Celle-ci se tient dans l’enfilade de la Sala Levi, une partie du cloître du palazzo et la Chiesa del Carmine, ancienne chapelle du palazzo.

Vue du cloître et des bustes exposés. © Salomé Legrand

Le choix des espaces d’exposition n’est en réalité pas anodin, le visiteur navigue à travers les âges de Matera en suivant le parcours de l’exposition et les différentes époques de construction des salles, mais aussi à travers les différents âges de Pasolini puisque sont exposés des portraits peints et sculptés de Pasolini à différents âges, ainsi que des personnages importants dans sa vie (Pétrarque, Maria Callas, sa mère). Le lien le plus symbolique entre l’espace d’exposition et les œuvres se fait dans la Chiesa del Carmine, où un grand tableau intitulé Ritrovamento del corpo di P.P.P. est placé à la place du retable. Directement en face se trouvent les esquisses des fresques pour le projet de mausolée de P.P.P. à Ostie, dessinées par Nicola Verlato :  l’atmosphère de la chapelle délaissée en redevient presque religieuse, avec la figure de Pasolini érigée comme figure quasi-christique. Le nom de l’exposition, Hostia, peut alors revêtir un autre sens et rappeler l’hostie chrétien – avec un jeu savant sur l’orthographe.

Vue de la sculpture et des esquisses pour les fresques du projet de mausolée à Ostie, exposées dans la Chiesa del Carmine. © Salomé Legrand

En s’intéressant de plus près aux œuvres exposées, le visiteur est frappé par la multiplicité des média utilisés : l’artiste s’est formé dans différents domaines et sont exposés des toiles en grand format, des bustes, de nombreuses esquisses mais aussi le projet du complexe autour du mausolée de Pasolini à Ostie, des partitions et de la musique ainsi que des maquettes. Toutes ces œuvres ont trait à Pasolini, sa vie, son œuvre et sa mort.

Au sein même des œuvres, le style de l’artiste frappe particulièrement par son hyperréalisme : les esquisses exposées permettent de comprendre les études poussées de l’anatomie, savamment représentée dans les tableaux. Le corpus des tableaux et de la sculpture grandeur nature (exposée dans la Chiesa del Carmine) présentent eux aussi des points communs : la position du corps de Pasolini, la chute et l’ombre rendue par le corps sur le sol sont des motifs récurrents – le corps et son ombre ne sont pas sans rappeler la découverte du corps de P.P.P., le 2 novembre 1975. La source de lumière dans les peintures de Verlato provient souvent des phares des voitures qui y sont représentées et qui ne sont pas, encore une fois, sans rappeler l’assassinat de Pasolini.

Assassinio di P.P.P., Nicola Verlato. © Salomé Legrand

Le style assumé, très inspiré par les grands maitres italiens comme Caravage pour la lumière ou Michel-Ange pour les recherches anatomiques, renvoie à l’apprentissage du peintre fait dans le milieu monastique. De plus, cette dynamique de production est revendiquée par l’artiste lui-même, Nicola Verlato, comme une volonté de s’extirper du fonctionnement actuel du monde de l’art et son côté mercantile exacerbé : l’artiste produit des œuvres qui se veulent avoir un sens social, une réflexion et non pas une valeur marchande par-dessus tout.

Hostia, Nicola Verlato. © Salomé Legrand

Il m’a fallu deux visites de l’exposition pour comprendre son aspect total et le poids qu’elle porte, surtout en tant que personne étrangère qui ne mesure pas pleinement l’importance, l’influence de P.P.P. à Matera mais de manière plus générale dans toute la société italienne. L’histoire de sa mort est entourée de mystère encore près de cinquante ans après et les œuvres de Nicola Verlato savent retranscrire avec brio l’ombre qui règne encore autour de cet évènement, mais aussi et surtout la figure emblématique, presque christique par moment, de l’homme de culture et de politique qu’était Pier Paolo Pasolini.